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Budget 2023-24: illusion et danger

11 juin 2023, 11:16

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Le budget 2023-24 ne permet pas de résoudre les problèmes fondamentaux de l’économie, de relancer la croissance économique, de freiner l’inflation et la perte du pouvoir d’achat des plus défavorisés, de réduire le déficit commercial pour soutenir la stabilité de la roupie, de lutter contre le gaspillage des fonds publics et contrôler les dépenses improductives et de restaurer la confiance dans l’économie et freiner l’exode des jeunes vers l’étranger.

L’illusion monétaire

Le ministre des Finances tente de berner la population en prétendant que l’économie se porte à merveille, présentant des chiffres qui ne reflètent pas la réalité des principaux indicateurs économiques, tout en ignorant la dépréciation de la roupie et l’inflation. Au début du discours du Budget, il declare : «In 2022, the Mauritian economy grew at its fastest pace in over 35 years, 8.7 percent compared to an initial forecast of 7.2 percent.»

Cette croissance de 8,7% en 2022 n’a rien d’extraordinaire, puisqu’il s’agit d’un rebond normal de l’économie après une baisse de croissance de 14,6 % en 2020, due au Covid. Une croissance positive de 3,4 % en 2021, suivie de 8,7 % en 2022, ne suffisent pas à compenser le recul de 14,6 % en 2020, et à retrouver le niveau du PNB de 2019. À la fin de 2022, le PNB réel était encore à 96% du PNB de 2019. Le niveau du PNB d’avant la pandémie en 2019 ne sera atteint qu’en 2023, avec une croissance estimée à 5%.

Il n’y a pas non plus de raison valable de se vanter dans ce Budget que «Exports of goods and services amounted to Rs 320 billion, representing a surge of Rs 110 billion compared to 2021». Ce chiffre gonflé par la dépréciation de la roupie de l’ordre de 30% masque le fait que les importations ont augmenté considérablement, entraînant un déficit élevé de la balance extérieure des biens et services d’environ USD 1 Md, presque le même qu’en 2019. En outre, le déficit du compte courant de la balance de paiements s’est aggravé à USD 1,6 Md en 2022, soit plus du double du déficit de USD 0,7 Md en 2019.

Le Budget claironne que «Public sector debt stood at 79 percent of GDP (June 23), lower by 7.2 percentage points (86% in June 22)». La dette du secteur public est passée de Rs 449 Mds en juin 22 à Rs 485 Mds en juin 23, ou une augmentation de Rs 36 Mds. Sans inflation, le PNB en 2022-23 serait estimé à un montant inférieur, à Rs 563 Mds au lieu de Rs 614 Mds, et le ratio de la dette publique resterait inchangée à 86% du PNB. La diminution du taux d’endettement est ainsi entièrement attribuable à l’inflation, car rien n’a été entrepris pour rééquilibrer les finances publiques et réduire le déficit budgétaire. La réduction prévue de la dette publique à 71% du PNB en juin 24 est également imputable à l’inflation, la dette publique atteignant Rs 516 Mds, ou Rs 31 Mds de plus, sans aucun effort d’assainissement fiscal.

Le PNB nominal s’accroit avec l’inflation, ce qui réduit le ratio de la dette publique par rapport au PNB. Il s’agit d’une politique qui revient à bruler les ponts, car maintenir un déficit budgétaire élevé alimente le déficit extérieur, affaiblit la roupie et conduit à une inflation chronique. Cette situation de déficits internes et externes n’est pas viable et peut conduire à une perte de croissance, un épuisement des réserves de change et une crise généralisée. La pénurie récurrente sur le marché des devises est déjà un signe de déstabilisation.

Le discours du Budget se veut rassurant: «The main macro-economic indicators well exceed pre-pandemic levels». Effectivement, l’inflation, le déficit budgétaire et le déficit extérieur sont plus élevés qu’en 2019 !Le PNB nominal aussi, mais pas en termes réels.

Le PNB en 22-23, estimé à Rs 614 Mds, représente une augmentation de 17.7% sur le PNB de Rs 522 Mds en 21-22. Le PNB pour 23-24 est prévu à Rs 722,9 Mds, en supposant la même augmentation nominale de 17,7 %, avec une même croissance réelle de 8% et une même inflation de 9%. C’est un aveu flagrant que l’inflation restera élevée à 9%. Il serait plus réaliste de s’attendre à une croissance réelle de l’ordre de 5% en 23-24, soit le même niveau qu’en 2023.

Le Budget 23-24 fait l’impasse sur l’inflation, mais aussi sur les moyens de la combattre à travers l’introduction d’une nouvelle loi visant à reformer l’indépendance de la Banque de Maurice (BoM). L’annonce d’une nouvelle Bank of Mauritius Act dans le budget 2122, deux années de cela, est restée lettre morte. Un rapport du FMI publié en juillet 2022 prévoyait à ce sujet la présentation d’un texte de loi à l’Assemblée nationale vers la fin de 2022. Renforcer le statut et les pouvoirs de la BoM permettrait de mieux combattre l’inflation, reconnue comme la tâche prioritaire d’une banque centrale. Mais, la lutte contre l’inflation n’est apparemment pas une priorité de autorités, surtout si on veut faire croire qu’elle est seulement importée.

Le budget apparaît comme un exercice trompeur, car les chiffres sont voilés par l’illusion monétaire, résultant de la dépréciation de la roupie et de l’inflation. La roupie s’est dépréciée par plus de 20% au cours des trois dernières années, soit une moyenne de 7% par an. Depuis le début de cette année, la roupie a déjà connu une baisse de 4% vis-à-vis du dollar, malgré les rentrées de devises du tourisme. Un contrôle des changes non-officiel a été mis en place par la banque centrale pour faire face au manque chronique de devises étrangères.

L’inflation reste élevée à deux chiffres, alimentée par la dévaluation de la roupie, résultant principalement du déficit extérieur. La forte causalité du déficit fiscal sur le déficit externe est généralement reconnue, en particulier dans les petites économies ouvertes. La principale raison du déséquilibre économique réside dans un déficit budgétaire excessif.

Déficit budgétaire

L’estimation officielle du déficit budgétaire est de 3,9 % du PNB en 22-23, mais elle n’inclut pas des dépenses nettes de Rs 6,2 Mds engagées par les Special Funds, ce qui équivaut à 1% du PNB. Le déficit budgétaire, y compris les Special Funds, s’élève donc à 4,9 % du PNB. Des prêts accordés par le gouvernement à la CWA, la WMA et Metro Express, sont en fait des dépenses destinées à financer les opérations de ces institutions. En outre, le gouvernement a investi dans Metro Express et la WMA. Le déficit budgétaire en 22-23, avec ces dépenses de Rs 1,7 Md déguisées en prêts et en investissements, devrait être révisé à 5,2% du PNB.

Pour 23-24, le déficit budgétaire est officiellement estimé à 2,9% du PNB, sans compter les dépenses nettes prévues de Rs 18.7 Mds des special funds, ou 2,6% du PNB. Le déficit budgétaire incluant les special funds s’élève donc à 5,5% du PNB. Des prêts du gouvernement à la CWA et la WMA, ainsi que les investissements dans Metro Express, CWA, et WMA, financent leurs opérations et doivent être rajoutés aux dépenses.

Incluant ces dépenses déguisées de Rs 4,3 Mds, le déficit budgétaire en 23-24 atteindrait 6.1%. On peut s’attendre à une sous-exécution des dépenses, notamment sur les projets d’investissement, mais aussi à une réduction de la croissance du PNB, et donc moins de revenus.Le déficit budgétaire pour 23-24 se situerait autour de 5.5% du PNB. Malgré l’utilisation abusive de la planche à billets de la BoM, les déficits budgétaires successifs ont conduit à une dette publique très élevée, et à une note souveraine dégradée à deux reprises par Moody’s, à un cran audessus du statut de junk.

Enlever complètement la solidarity levy sans toucher au déséquilibre fiscal effréné reflète une version bien particulière du socialisme. Les plus aisés bénéficieront d’une réduction d’impôt conséquente. En revanche, les plus pauvres paieront pour des mesures sociales par des impôts indirects, incluant la VAT et des taxes supplémentaires sur l’alcool et les cigarettes, et surtout par l’inflation. Les classes moyennes ne seront pas non plus épargnées par le partage inégal du fardeau fiscal. Ce qui a valu au budget 23-24 des critiques d’un socialisme au service de l’autocratie et de la plutocratie.

Sans réforme budgétaire pour une meilleure consolidation fiscale, le déficit externe restera sous pression, avec une dépréciation continue de la roupie et une forte inflation. Les difficultés des pauvres, et même de la classe moyenne, seront accentuées, malgré les dépenses sociales généreuses, telles que la pension de vieillesse et d’autres allocations CSG.

Pensions et CSG

À la suite d’une promesse électorale, la pension de vieillesse est passée à Rs 9 000 mensuelles à partir de décembre 2019, et The Social Contribution and Social Benefits Act 2021 a ensuite prévu une augmentation additionnelle allant jusqu’à Rs 4 500 à partir de juillet 2023.

Le budget 2022-23 a rehaussé la pension de vieillesse de Rs 1 000 pour la porter à Rs 10 000, et accordé un CSG retirement benefit de Rs 1 000 à partir de juillet 2022. Il avait aussi prévu un montant total de Rs 10,1 Mds en 2023-24, pour un CSG retirement benefit mensuel de Rs 4 500. Le budget 2023-24 a de nouveau augmenté la pension de vieillesse de Rs 1 000 pour la porter à Rs 11 000, mais a maintenu le CSG retirement benefit à Rs 1 000. Les pensionnés toucheront donc un total de Rs 12 000 seulement à partir de juillet 23, contrairement à ce qui avait été promis et légiféré.

Les contributions de la CSG en 2023-24 de Rs 11 Mds étaient destinées aux personnes âgées, mais sont entièrement utilisées, en sus du retirement benefit de Rs 1 000 (Rs 2 Mds), pour payer une Income Allowance allant jusqu’à Rs 2 000 à 350 000 employés (Rs7 Mds) et une Child Allowance de Rs 2 000 à 48 000 familles (Rs1 Md) et pour payer la contribution CSG des employés du secteur public (Rs1 Md).

Toutefois, la pension de vieillesse, rehaussée de Rs 2 000 (Rs 1 000 en deux fois), représente une dépense budgétaire additionnelle de Rs 7 Mds en 2324. Les contributions de la CSG ne suffisent pas à aussi payer cette augmentation de la pension de vieillesse. En finançant différentes catégories de dépenses sociales, la CSG apparaît clairement comme un instrument de taxation plutôt qu’un cadre innovant pour une meilleure gestion des retraites. Des réformes à l’ancien système du National Pension Fund auraient été de loin préférables à la CSG.

Avec un budget expansionniste truffé de mesures populistes et électoralistes, le pays continuera à souffrir de la dépréciation de la roupie, avec un épuisement total des réserves de devises étrangères en vue, comme au Sri Lanka. En fait, la crise se profile déjà à l’horizon.

Réserves de devises

Les réserves de devises de la BoM ont chuté de USD7 Mds en fin 2019 à environ USD5 Mds actuellement, déduction faite des emprunts de la BoM, malgré plusieurs prêts étrangers du gouvernement de la BAD, de l’AFD et de la JICA en 2020 et 2021. De plus, la BoM est confrontée à un risque d’insuffisance de liquidités financières. Les interventions de la BoM sur le marché de devises se font visiblement rares ces derniers mois, malgré le manque chronique de devises.

Les réserves internationales de la BoM sont investies à hauteur de USD4 Mds dans des obligations et autres placements à l’étranger, qui ne peuvent être réalisés sans une perte de valeur importante, due à la hausse des taux d’intérêt et la chute des marchés boursiers. Garantir le bon fonctionnement du marché des changes en assurant la liquidité financière des réserves est d’une importance capitale.

Afin de couvrir les besoins en liquidité des réserves de la BoM, le gouvernement compte recourir à des financements étrangers, en empruntant massivement auprès des agences de développement, notamment, USD250 M de la BAD, USD250 M de la Banque Mondiale, EUR300 M de l’AFD, et en prenant également une facilité de crédit-relais commercial de USD250 M de la Société Générale.

Ces financements étrangers pour un montant total de plus d’un milliard de dollars, ou près de Rs50 Mds, sont requis principalement pour soutenir la balance de paiements, et il est fort étonnant que Maurice ne s’adresse pas directement au FMI. Le budget 2020-21 avait déjà programmé un financement de la FMI qui ne s’est jamais concrétisé. Le gouvernement a refusé jusqu’à maintenant l’invitation du FMI à effectuer leur mission de Consultation 2023 au titre de l’Article IV. Dans le dernier rapport de 2022 sur Maurice, la FMI avait préconisé des mesures de réforme assez sévères dans le domaine monétaire et fiscal.

Réforme à venir

Les propositions de prêts d’appui budgétaire des institutions internationales seront sans doute aussi accompagnées de certaines mesures de réforme économique pour plus de rigueur, de discipline et de responsabilité financière, mais qui iront à l’encontre des politiques actuelles. D’ailleurs, la Banque mondiale est tenue à soutenir les recommandations du FMI.

Une réforme fiscale profonde devient inévitable en raison des risques accrues d’une crise de devises. Sans volonté de réforme crédible, ce budget dépensier et illusionniste entraînera l’économie inéluctablement vers une situation de stagflation, caractérisée par un faible taux de croissance et une forte inflation.