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Économie parallèle: Ces milliards qui échappent au filet fiscal
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Économie parallèle: Ces milliards qui échappent au filet fiscal
Entendons-nous bien. Le nouveau régime fiscal progressif permettra que chaque contribuable, allant de la classe moyenne à la classe aisée, paie moins d’impôts. Et tant mieux ! Mais quid des personnes qui réussissent à contourner le système en évitant le filet de la MRA ?
Qu’on ne se voile pas la face. Ceux qui font tourner une économie souterraine avec de l’argent sale provenant de la drogue et de la corruption sont connus de tous. Ils opèrent au nez et à la barbe des autorités. Ces derniers temps, que n’a-t-on pas vu ? Ces marchands de drogue, voire ces trafiquants, ont défilé aux Casernes centrales et à l’ICAC qui s’est transformé au fil des semaines en un showroom pour Ford Raptor et autres voitures de luxe.
Leur business brasse des fortunes à travers la vente de la drogue et le blanchiment d’argent auprès de sociétés de leasing, comme on en a témoigné ces derniers mois. De l’argent sale qui transite dans le circuit économique et fait fructifier l’économie souterraine. Le Premier ministre a évalué récemment les saisies de drogue effectuées depuis 2015 à plus de Rs 13 milliards. Un chiffre, somme toute conservateur, car des experts de ce dossier estiment ce marché à plus de Rs 20 milliards.
Plus largement, cette économie souterraine, dopée en grande partie par l’argent sale de la drogue et de la contrebande, couplée à celle qualifiée de parallèle, prend des proportions alarmantes. Pour le moment, il n’y a pas a eu d’études précises sur la taille de cette économie parallèle, même si les économistes l’estiment à 20 % du Produit intérieur brut (PIB), soit presque Rs 120 milliards, sur la base d’un PIB de plus de Rs 600 milliards, selon les dernières statistiques.
Aujourd’hui, ceux qui opèrent et font fructifier cette économie sont connus. Il n’y a pas, hélas, que les trafiquants de drogue, les petits dealers ou les préparateurs et revendeurs de drogue synthétique. Car dans cette galerie de personnages hétéroclites, on retrouve de tout : marchands ambulants, chauffeurs de taxis marron, enseignants ayant érigé les leçons particulières au rang d’industrie, propriétaires de snacks, opérateurs de paris clandestins, promoteurs de Ponzi Scheme, propriétaires d’ateliers mécaniques ou encore opérateurs de transport illégaux, pour ne citer que ceux-là. Et ils sont les derniers à être inquiétés car, d’une année à l’autre, ils sont absents des radars de la MRA, au grand dam de ces 120 000 contribuables qui doivent sans broncher s’acquitter de leurs impôts.
Fazeel Soyfoo, expert fiscal et partenaire chez Andersen (Mauritius), est catégorique. Au lieu de sévir contre les contribuables de bonne foi, il serait préférable que la MRA consacre davantage de ressources à la lutte contre l’évasion fiscale, qui est illégale. «Il devrait y avoir peu de sympathie pour ceux qui franchissent la frontière entre la planification fiscale légale et l’évasion fiscale illégale.» Bien souvent, dit-il, on entend cette rhétorique qui veut faire croire que même si les impôts étaient payés, «l’argent serait de toute façon gaspillé par l’État».
Pour autant, les économistes maintiennent qu’il faut faire la différence entre une activité légalement reconnue – mais opérant dans l’illégalité – comme les marchands ambulants et celle carrément illicite et criminelle comme le trafic de drogue. Ils arguent que les marchands de quatre-saisons offrent une certaine résilience à l’économie du pays et y ajoutent du dynamisme, dans un climat d’affaires marqué bien souvent par la morosité et une baisse de la consommation. «Aujourd’hui, la consommation est tirée dans une grande mesure par les opérateurs de cette économie parallèle. Bien entendu, je ne fais pas l’apologie de cette pratique, mais on ne peut pas les mettre dans le même panier que les marchands de la mort», insiste un économiste qui a voulu garder l’anonymat.
Ces derniers qui, dit-il, sont en train d’écorner l’image de Maurice, étant donné leurs activités, avec des risques énormes pour la réputation de deux secteurs économiques qui reposent sur l’élément de confiance : les services financiers et le tourisme. Sans compter les conséquences sociales avec la recrudescence de vols et d’agressions en tout genre par des jeunes pour se payer une dose à Rs 300 ou plus, sans oublier d’autres conséquences aux effets ravageurs comme l’alcoolisme et la violence.
Aujourd’hui, le marché de la drogue rivalise avec celui des marchands ambulants et, dans certains cas, la ligne de démarcation peut même être assez mince car l’un s’en sert comme couverture pour s’adonner à l’autre. «Le milieu des marchands ambulants reste incontestablement le fer de lance de cette économie informelle, non souterraine. Cette activité est génératrice de revenus importants qui ne sont pas déclarés. Dans bien des cas, ces marchands ont un second emploi. Ils voyagent en première classe sur certaines lignes pour bénéficier d’excédents de poids. Ils règlent leurs achats avec des Gold Cards. C’est souvent un commerçant officiellement en règle et qui possède un compte bancaire qui finance la facture de ces importations contre des avances», analyse un observateur économique.
Des experts persistent et signent. La balle est dans le camp de la MRA. Il n’y a pas trente-six solutions. Il faut que l’autorité fiscale s’engage à régulariser les opérateurs de l’économie parallèle et les encourage à se joindre à l’économie réelle. L’amnistie fiscale introduite en 2006 pour la première fois par l’ex-ministre des Finances, Rama Sithanen, avait permis à la MRA d’engranger l’année suivante plus de Rs 1 milliard de revenus fiscaux. Faut-il réfléchir à un nouvel exercice, tout en traquant les évasions fiscales pour récupérer les milliards cachés dans des coffresforts bien protégés ou sous des matelas… ?
Sans doute, l’avènement de la monnaie digitale, avec le retrait graduel de certains billets des banques, couplé à de nouvelles mesures imposées par le GAFI pour l’ensemble du secteur financier, pourrait freiner l’expansion de l’économie souterraine en attaquant frontalement au blanchiment d’argent.
Quoi qu’il en soit : faut-il rappeler que la fraude fiscale et le blanchiment d’argent ne se limitent pas qu’aux finances publiques. Ils sapent la démocratie, l’État de droit et érodent la confiance des financiers dans le pays et de sa gouvernance. D’où la nécessité d’un éveil de la conscience citoyenne…
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