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Un personnage de roman

20 juin 2023, 12:19

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Comme tous les personnages du grand roman mauricien de la fin XXe-début XXIe siècle -- qui n’a pas encore été écrit -- sir Bhinod, dont la mort violente a ému beaucoup, avait sa part d’ombre et de lumière. Certes, en disant au revoir hier au grand commis de l’État qu’il a été, il est plus convenable de souligner la lumière que l’ombre. C’est pratiquement toujours ainsi quand la mort inéluctable frappe, surtout de manière tragique : on tend à encenserle défunt. C’est la norme et brosser son portrait participe aux rituels du deuil.

Comme journalistes, nous avons surtout eu l’opportunité d’échanger, au fil des législatures, avec sir Bhinod tant sur des sujets nationaux que sur des enjeux et conférences internationaux dont il avait la charge. Il maîtrisait ses dossiers sur le bout des doigts et savait reconnaître et apprécier le rôle de la presse pour informer et sensibiliser le public, tout en veillant à ne pas trahir l’Official Secrets Act. Durant de longues années, il aura été un interlocuteur de poids pour plusieurs générations de journalistes, avec une épaisseur et une profondeur qui forçaient l’admiration, et contrairement à beaucoup, lui, il ne s’attardait pas sur les petites palabres des couloirs de l’hôtel du gouvernement qu’il connaissait pourtant comme sa poche. Il n’aimait pas trop se mettre en avant, surtout depuis le terrible incendie de 1994 et le procès du siècle qui s’en est suivi, avec un panel de ténors du barreau local :sir Gaëtan Duval, Me Yousuf Mohamed et sir Hamid Moollan, qui faisaient alors le pont entre l’homme et l’opinion. Aussi quand on avait évoqué son projet de divorce avec Joyce Castellano, en mai 2017, il nous avait gentiment appelés pour nous dire, avec tact, qu’il savait fort bien que sa pétition relevait du domaine public mais qu’il ne pensait pas qu’il était une personnalité qui méritait tant d’attention. On lui avait alors répondu qu’il est bien trop humble par rapport à sa notoriété publique.

Quelques mois plus tôt, en cette année 2017, il avait fait son come-back par la grande porte au PMO, un retour lourd de sens.Pour son baptême du feu premier ministériel, Pravind Jugnauth ne voulait pas prendre trop de risques administratifs et il avait ainsi fait revenir sir Bhinod, alors septuagénaire, grandement pour sa vaste expérience acquise auprès de tous les Premiers ministres mauriciens pré et post-Indépendance, de SSR à SAJ. L’homme était unbourreau du travail, aux méthodes conservatrices, ayant une maîtrise certaine de la laborieuse machinerie gouvernementale.

Bacha a toujours aimé être au cœur du pouvoir. En décembre 2014, après la chute du régime de Navin Ramgoolam, il avait fait pas mal de lobby pour demeurer Special Adviser au PMO. Et alors que tous les conseillers de Ramgoolam avaient soumis leur lettre de démission, Bacha, lui, avait refusé de soumettre la sienne, estimant qu’il a encore «beaucoup à offrir au pays» – et en le faisant savoir dans la presse, au grand dam des hauts fonctionnaires qui se sentaient étouffés. Mais SAJ, vieux renard politique, ne voulait pas lui donner une prolongation, en raison peut-être de leur fin de cohabitation tumultueuse (dans le cadre de l’incendiaire affaire) et de l’association subséquente d’un Bacha, libéré et requinqué, avec Navin Ramgoolam.

Mais Pravind Jugnauth, lui, a choisi de le repêcher après le départ de SAJ, même si l’influence du Special Adviser n’était pas au goût des hauts fonctionnaires, dont une bonne partie pense que des personnages comme Dev Manraj et Bacha ne favorisent pas l’éveil et l’émergence des jeunes talents au sein de la fonction publique. Et puis quand on bosse aussi dur à l’âge de + 80 ans, des questions se posent sur l’âge de la retraite pour tous…

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À Maurice, durant les premières années de la naissance de la fonction publique, un officier anglais semait la terreur. Il s’appelait Freebairn Liddon Simpson et incarnait le symbole de la discipline anglaise de l’époque. Il devait marquer sir Bhinod et ses contemporains. Un mot s’imposait à l’époque : discipline. Ainsi chaque file devait être annoté, signé, daté et rangé convenablement.

Depuis Simpson et l’Indépendance, les choses ont évolué, mais dans le mauvais sens. Les politiciens, y compris le MMM révolutionnaire de 1982, ont pris la fonction publique en otage et y ont casé leurs proches, agents, mignons et mignonnes. La Public Service Commission est elle-même surpolitisée et les recrutements et promotions continuent à suivre une logique politicienne et souvent castéiste. La corruption est devenue morale et systémique. Les tentatives de réforme sont tuées dans l’œuf. Sir Bhinod a été un témoin de tout cela mais il a su naviguer en se rendant indispensable auprès des PM.

Si la nation doit une fière chandelle à Sir Bhinod et aux hauts fonctionnaires qui ont permis à Maurice de sortir des limbes, elle a tout intérêt aujourd’hui à revoir le système, afin de rendre leur indépendance d’action et d’esprit aux grands commis et, partant, d’améliorer la transparence, l’innovation et la productivité. Pour cela, il faut avant tout dépolitiser la fonction publique et remettre la méritocratie au cœur du système. Car un seul SBB ne suffit malheureusement pas, d’autant que nous sommes tous des mortels, devant laisser la place aux autres. Pour que la machinerie ne s’arrête pas.