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Partenariat Maurice-Inde: entre charme et enjeux électoraux
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Partenariat Maurice-Inde: entre charme et enjeux électoraux
Cela n’a échappé à personne, pas même aux observateurs politiques, ni aux dirigeants de l’opposition, cette surmédiatisation de l’actuel Premier ministre indien, Narendra Modi, lors de ses récentes visites officielles aux États-Unis, en France, aux Émirats arabes unis ou en Australie, diffusées par la télévision nationale. Cette opération de charme envers la Grande péninsule, largement commentée dans certaines sphères, répond à un positionnement bien calculé avec à la clé des bénéfices politiques probables pour le régime en place à l’approche des échéances électorales.
Certes, ce phénomène n’est pas nouveau, mais le choix éditorial de la MBC de privilégier les images de la tournée internationale du dirigeant indien, où tous ses faits et gestes sont rapportés, loin sans doute des préoccupations quotidiennes de la population, interpelle les uns et les autres et invite à des réflexions. Si certains n’ont pas encore compris le sens de cette proximité du gouvernement en place et de son Premier ministre, Pravind Jugnauth, envers son homologue indien et son parti, le BJP, c’est qu’ils n’ont jusqu’ici rien compris. Car c’est ce positionnement qui sera davantage privilégié par le pouvoir en place à chaque jour qui nous rapproche du prochain scrutin.
Pour autant, cette posture n’est pas nouvelle pour Maurice et ses dirigeants. Dans le passé, d’autres gouvernements ont également fait preuve d’une prudence souvent excessive dans leurs relations avec Mother India, pour ne pas, entend-nous bien, froisser les susceptibilités de la population d’un pays de peuplement. D’ailleurs, il est fréquent que les nouveaux dirigeants du pays, après une victoire électorale, visitent en premier l’Inde, une manière de rassurer le peuple millénaire indien et de sa classe politique que les valeurs et la sécurité de plus de la moitié de la population sont respectées et sont entre les bonnes mains. Un exemple notable est la visite d’État de feu sir Anerood Jugnauth et de Paul Bérenger après l’installation du nouveau gouvernement MMM-PSM en 1982.
Hier, c’était Indira Gandhi et Rajiv Gandhi. Aujourd’hui, c’est Narendra Modi qui cherche à incarner les aspirations de la diaspora indienne dans le monde et à s’appuyer sur celle-ci pour exercer son influence à l’échelle internationale. Sans aucun doute, Pravind Jugnauth pourrait compter sur le soutien de Modi pour renforcer sa position face à l’alliance de l’opposition en 2024. Cependant, il reste à voir si cet appui sera suffisant, car les intérêts de l’un ne rejoignent pas nécessairement ceux de l’autre…
Qu’on ne se voile pas la face. Modi a besoin de Maurice pour réaliser sa vision géopolitique dans la région, notamment pour contenir l’influence chinoise, particulièrement en Afrique. Et personne ne pourra nier que dans cette stratégie, Agaléga est une carte maîtresse, d’où la forte présence des Indiens et les équipements qui y sont installés. Malgré les démentis officiels des autorités, des responsables politiques comme la presse internationale croient dur comme fer qu’au final, Agaléga ne serait ni plus, ni moins, qu’une base militaire qui servirait les intérêts indiens.
Du coup, on peut constater que dans la hiérarchie des priorités de Modi, Maurice est loin derrière et ne pèse pas lourd face à son ambition internationale. Le leader indien, se positionnant comme une figure de proue de la région du «Sud Global», s’appuie sur la présidence indienne du G20, qui ouvre ses assises en septembre pour devenir un partenaire incontournable des Occidentaux et des pays en développement du continent africain. Sa décision de demander l’adhésion de l’Union africaine au sommet du G20 s’inscrit dans cette logique. Dans le même souffle, on peut se demander pourquoi, au cours des dernières années, sur les 25 nouvelles ambassades ou consulats ouverts par l’Inde, 18 se trouvent en Afrique. Sans compter la tenue du Voice of Global South en février, réunissant 48 pays africains au sommet.
Il faut être naïf pour ne pas comprendre que derrière cette offensive sur les terres africaines, il y a une lutte d’influence face à la Chine, à laquelle l’Inde se livre impitoyablement sur le front de la géopolitique en avançant ses pions. Un rapport récent de l’agence Bloomberg, repris dans la presse internationale, montre que 42 pays africains ont reçu environ 12 milliards de dollars, soit 38 % de tous les crédits accordés par l’Inde au cours de la dernière décennie. En comparaison, Pékin a promis jusqu’à 135 milliards de dollars aux pays africains, selon les données du Global Development Policy Center de l’université de Boston, soit 11 fois plus que l’Inde.
Il va de soi que pour rattraper leur retard, les dirigeants indiens ont multiplié l’organisation de sommets et de rencontres afin de définir un partenariat stratégique avec les pays de cette région et les entrepreneurs du secteur privé. Le sommet qui s’est tenu à Maurice la semaine dernière répondait à cette logique.
Par ailleurs, le déploiement des initiatives indiennes en Afrique s’organise autour du bras armé financier qu’est l’Export Import Bank of India. Cette banque se veut être l’instrument par excellence de la diplomatie économique de l’Inde avec de nombreuses lignes de crédits ouvertes pour financer des projets dans le continent africain. Dans la foulée, on peut citer l’implication de l’Exim Bank dans le financement de plusieurs projets à Maurice, dont le Metro Express au coût de plus de Rs 33 milliards, des exportations d’autobus de l’Inde vers le Sénégal, un projet d’électricité en Gambie, le parc industriel au Togo ou encore la transformation d’aluminium par le groupe indien Gravita. Le commerce bilatéral entre l’Inde et l’Afrique a atteint près de 100 milliards de dollars en mars 2023 alors que gouvernement vise à le porter à 200 milliards de dollars d’ici à 2030.
Leader charismatique
Personne ne conteste que Narendra Modi, comme le visage de l’Inde d’aujourd’hui et peut être de demain, demeure un leader charismatique mais souvent autoritaire qui est respecté par les grands de ce monde, allant de Vladir Poutine à Joe Biden, de Xi Jinping à Justin Trudeau, en passant par Emmanuel Macron, Rishi Sunak ou encore le cheikh Khaled ben Mohamed ben Zayed Al- Nahyane. D’une puissance nucléaire, l’Inde est en passe de devenir la troisième puissance économique mondiale après les États-Unis et la Chine. Mieux : Modi assoit son autorité sur le pays le plus peuplé au monde avec 1,4 milliard d’habitants et compte bien y faire son principal atout et non sa faiblesse, cela, en exportant de la main-d’oeuvre dans les quatre coins du monde, mais aussi des experts aux États-Unis et au Canada. Parallèlement, depuis son arrivée au pouvoir en 2014, il a fait de la promotion du yoga et de la médecine ayurvédique un axe majeur de sa politique culturelle et diplomatique, un outil du soft power à l’indienne. Dans une récente interview au journal Les Échos, pour marquer sa visite en France le 14 juillet, il soulignait : «Nous n’avons jamais exporté la guerre où l’assujettissement mais plutôt le yoga, l’ayurvéda, la spiritualité, la science, les mathématiques et l’astronomie.»
Autant le Premier ministre indien s’appuie sur sa forte personnalité et sa grande qualité d’orateur pour rallier une large frange de la population indienne et de la diaspora à travers le monde, autant sa politique fondée sur une idéologie nationaliste hindoue depuis son arrivée au pouvoir, en 2014, est décriée par certaines minorités qui y voient leurs droits lésés, victimes d’une forme de persécution du gouvernement central et confrontée à une insécurité grandissante. À tel point qu’après deux mandats et presque dix ans de règne sans partage, l’opposition a constitué une plateforme élargie baptisée I.N.D.I.A, réunissant 26 partis, dont la locomotive devrait être le parti du Congrès de Rahul Gandhi, avec pour objectif de faire partir Narendra Modi en 2024. S’il faut dresser un parallèle avec Maurice, le même scénario est en préparation autour d’une alliance PTr-MMM-PMSD avec le même objectif.
Et dire que la pérennité d’un partenariat économique dépasse largement souvent les acteurs qui peuvent composer son casting entre deux élections…
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