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Au-delà d’un changement d’appellation
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Au-delà d’un changement d’appellation
Bien plus qu’un simple changement d’appellation, c’est au contraire un changement d’hommes et de femmes à la tête des principales institutions du pays que la population recherche terriblement aujourd’hui, tout comme la société civile et la classe politique. C’est d’ailleurs le sens de leur interrogation depuis que le ministre des Services financiers, Mahen Seeruttun, est venu présenter et définir les grands axes de la nouvelle Financial Crimes Commission (FCC), une mégastructure qui viendra théoriquement chapeauter trois institutions qui luttent contre les crimes financiers liés principalement au trafic de drogue. Soit l’Independent Commission against Corruption (ICAC), l’Asset Recovery Unit, attachée aujourd’hui à la Financial Intelligence Unit (FIU), et l’Integrity Reporting Services Agency (IRSA).
La mise en place de cette nouvelle commission sera une réalité après l’adoption d’un projet de loi à être présenté à la reprise parlementaire en octobre. Selon le ministre des Services financiers, l’ébauche de son cadre légal est déjà prête et a été soumise aux différents stakeholders – personnes comme institutions concernées, voire partis de l’opposition, pour des consultations en vue de dégager un large consensus sur sa raison d’être.
Initialement, c’est la mise en place d’une Financial Crime Division (FCD) qui avait été privilégiée dans le temps par le régime en place. Évoquée pour la première fois en juin 2016 par feu sir Anerood Jugnauth, alors Premier ministre, et répétée dans le Budget 2022-23 par le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, la FCD, dotée de pouvoirs élargis, devrait regrouper l’ICAC, la Financial Services Commission (FSC) et la FIU. Sanjeev Ghurburrun, légiste et alors adviser au bureau du premier ministre (PMO), avait été chargé de jeter les bases de la nouvelle institution.
Aujourd’hui, la nouvelle configuration nous renvoie la FCC, mais sans la FSC et la FIU, celles-ci auront sans doute bataillé dur pour ne pas se retrouver au sein de cette instance et garder probablement leur indépendance. Toujours est-il que Mahen Seeruttun justifie aujourd’hui la pertinence de cette nouvelle institution par le fait que l’écosystème actuel, couplé à l’arsenal légal, ne répond plus aux complexités des crimes financiers opérant à l’échelle globale et qui réussissent à abuser le système en ayant recours aux moyens les plus sophistiqués. À l’express, il confie cette semaine que «la création de la FCC traduit la volonté du gouvernement à venir avec de nouvelles dispositions légales pour lutter efficacement contre les crimes financiers», insistant dans la foulée «qu’il y a un besoin urgent d’harmonisation d’institutions différentes, ayant un objectif commun de combattre la corruption, le blanchiment d’argent, les fraudes et autres crimes financiers liés à la drogue, des failles que le dernier rapport sur la drogue (NdlR: rapport Lam Shang Leen, 27 juillet 2018) avait relevéeset que le gouvernement veut éliminer justement avec la mise en place de la FCC». Dans ce combat, ajoute-t-il, il ne faut pas perdre de vue le statut de la juridiction mauricienne avec une soixantaine de lois déjà amendées et renforcées pour que Maurice soit conforme aux exigences du GAFI et de l’Union européenne… et éviter ainsi qu’elle ne sombre de nouveau dans la liste grise ou noire…
Sans doute, Mahen Seeruttun a la volonté de traquer les crimes financiers avec la FCC. Toutefois, il ne peut pas non plus faire croire qu’avec l’ICAC, opérant éventuellement sous cette institution, elle gagnera par magie la confiance de la population et de la société civile et que subitement elle deviendra une institution foncièrement indépendante, loin de l’image de «cover-up machine» que lui attribuent les membres de l’opposition. Et dont le leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval, avait réclamé la fermeture le 25 avril dernier au Parlement en proposant la création d’une institution «qui ne serait pas influencée par le pouvoir politique».
Reza Uteem, avocat d’affaires et porteparole économique du MMM, n’est pas a priori contre la création d’une nouvelle entité, d’un «apex body» au sein duquel opérera l’ICAC et d’autres institutions. Mais à la seule condition qu’elle soit gérée par des professionnels indépendants qui ne prennent pas d’ordres de l’Hôtel du gouvernement. «Nous voyons aujourd’hui comment des institutions n’opèrent pas en toute indépendance avec des enquêtes freinées en raison de clashes entre les personnes à la tête à l’ego souvent surdimensionné.» Cependant, n’ayant pas encore vu l’ébauche, il préfère ne pas s’aventurer dans une analyse, insistant toutefois qu’il est important que la nomination du directeur général de la FCC et celle des autres postes de cette mégastructure soit faite par un comité de sélection institué par le Parlement.
Une proposition à laquelle souscrit Rajen Narsinghen, légiste et professeur de droit à l’université de Maurice. Toutefois, il s’oppose à la création d’une FCC qui ne serait, ni plus, ni moins, qu’un doublon de l’ICAC et qui «risque d’engloutir des millions et caser des petits copains et copines». Il estime que le pays a déjà des institutions avec des attributions larges comme l’ICAC pour traquer trafiquants et autres fraudeurs impliqués dans des transactions illicites. Mais aussi la FIU pour enquêter sur les mouvements suspicieux de fonds ou encore l’IRSA pour épingler ceux disposant de richesses douteuses et inexpliquées.»
Par ailleurs, Rajen Narsinghen rappelle que la Prevention of Corruption Act (POCA), qui a donné naissance à l’ICAC,était calquée sur le modèle hongkongais considéré comme un des meilleurs dans le combat contre la corruption. Or, «malgré des millions de roupies englouties avec des salaires mirobolants pour ceux à la tête, les résultats sont peu flatteurs», dit-il. Il s’interroge sur l’état des enquêtes initiées contre les VIP ou VVIP. Ce qui l’amène à observer que peut-être «l’ICAC saute sur les petits opposants du régime ou encore sur les petits poissons tels que les petits ou moyens fonctionnaires».
Pour autant, le timing de l’établissement de cette FCC ne peut occulter le fait qu’en réduisant l’ICAC comme une entité en son sein, le pouvoir enlève une thématique de campagne de l’opposition, tant sa gestion occupe le débat politique et attire des critiques les plus acerbes des politiciens de l’opposition. Attendons voir.
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