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Coût de la vie: entre les chiffres et la réalité

16 août 2023, 09:00

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Coût de la vie: entre les chiffres et la réalité

S’il existe un sujet qui ne fait pas débat et qui suscite en même temps étonnamment et indignation populaire, c’est le coût de la vie à Maurice. Il s’est imposé au fil des mois, voire des années, comme le «talk of the town» au quotidien, vu qu’il est devenu incroyablement cher ces dernières années, touchant presque toutes les catégories sociales et professionnelles. Doit-on attendre encore le pire qui forcerait à l’appauvrissement d’un segment important de la population malgré les aides sociales accordées par l’État ? Les conclusions d’enquête réalisée actuellement sur les ménages par Statistics Mauritius devraient fournir prochainement certaines pistes de réflexions. 

Pour autant, il ne faut pas rester insensible au constat de certaines familles ayant émigré il y a une dizaine d’années ou plus en Europe ou au Canada et qui sont revenues pour des vacances ces derniers temps. Elles restent pour le moins dubitatives, choquées par la cherté de la vie. Et s’interrogent à juste titre : «Comment les ménages mauriciens peuvent supporter un tel niveau de vie, avec les salaires dont ils disposent, face à cette explosion de prix dans les supermarchés et les coûts souvent exorbitants imposés par des professionnels pour certains services, dont ceux de la santé ?» Elles ne comprennent pas comment les prix de certains articles, allant des fruits à certaines denrées alimentaires en passant par des fastfoods coûtent relativement plus chers à Maurice que dans des pays accueillant la diaspora mauricienne. 

Si l’indice des prix à la consommation suit une tendance baissière, tout comme l’inflation en glissement annuel à 5,9 % le mois dernier contre 11 % en juillet 2022, est-ce à dire que les prix devraient de facto accuser une baisse ? Paradoxalement, ils prennent au contraire l’ascenseur… Les experts ont une explication simple pour faire comprendre ce phénomène. S’il y a une baisse de l’inflation, c’est par rapport à l’année dernière, où elle était à deux chiffres, ce qui fait dire aux économistes que le pays bénéficie d’un effet de base statistiquement élevé de l’inflation comparé à l’année dernière. «Il y a une inflation mais sa marge d’augmentation a baissé, donc il n’y aurait pas à première vue une baisse automatique de prix des articles de consommation. On peut s’attendre à un tassement au niveau de certains prix», explique l’économiste Rajeev Hasnah. 

Comme explication, on ne peut faire mieux, même s’il y a peut-être une rationalité, voire une logique économique que les spécialistes peuvent comprendre entre eux mais en encore faut-il la faire comprendre aux consommateurs et qu’ils en soient convaincus ! Eux, ils voient que le pot de yaourt a grimpé à Rs 25 ou plus alors qu’ils le payaient jusqu’à tout récemment Rs 12 ; qu’ils paient le lait en poudre à 50 % plus cher qu’il y a trois ans ; que le kilo de raisin importé d’Afrique du Sud est à Rs 120 ou plus ou encore que la banane cultivée à Maurice vaut Rs 12 l’unité, si elle n’est pas introuvable dans bien des cas. Quelques prix tirés au hasard mais qui donnent le tournis aux consommateurs, ne sachant pas à quel saint se vouer. 

Certes, on peut comprendre que la crise inflationniste mondiale dans le sillage de la guerre russo-ukrainienne, en février 2022, causant une envolée du cours des produits énergétiques et des denrées de base, ait eu raison des prix de certains articles de consommation. Tout comme la situation liée à la pandémie entraînant une rupture de la chaîne d’approvisionnement à l’échelle mondiale. Toutefois, il ne faut pas tout mettre sur le dos de ces deux crises, même si elles ont contribué à précariser la vie de nombreuses familles dans le monde, dont à Maurice. 

Dépréciation de la roupie 

Les spécialistes imputent en grande partie cette baisse du pouvoir d’achat du Mauricien moyen à la dépréciation de la roupie ces dernières années, une politique à laquelle certains gouverneurs, qui se sont succédé à la Banque de Maurice (BoM), se sont livrés, avec des résultats souvent mitigés, pour doper la compétitivité des exportations mauriciennes, particulièrement le textile, à la grande satisfaction des opérateurs de ce secteur. 

Ils notent que dans le sillage de la crise pandémique, cette dépréciation de la roupie s’est accentuée suivant le transfert des Rs 60 milliards, en mai 2020, de la Banque de Maurice à la caisse du Trésor public par le biais de la planche à billets. Plus particulièrement, quand le FMI a exigé de la Banque centrale de retirer ce montant de son bilan financier. 

Depuis cette transaction, soit plus de trois ans, la roupie s’est dépréciée de presque 30 % par rapport au dollar. Certains diront que c’est une dévaluation déguisée. Or, à travers cette politique de dépréciation de la roupie, la BoM, disent les experts, a pu recueillir un montant semblable de Rs 60 milliards sous l’item de «Gain on Revaluation of Foreign Currencies /SDR/ Gold» comme détaillé dans ses rapports annuels de 2021 et 2022. On sait que le gouverneur de la Banque, Harvesh Seegolam, a justifié ce transfert, maintenant que la BoM, comme d’autres institutions durant cette période, a dû avoir recours à cette méthode peu conventionnelle pour soutenir l’économie et assurer la stabilité financière du pays. 

Toujours est-il que depuis décembre 2013 à la fin de juillet dernier, la roupie a perdu plus de 50 % de sa valeur face au billet vert. Un argument souvent avancé par les commerçants pour justifier la hausse des prix dans les supermarchés, d’autant plus que le pays importe en dollars plus de 75 % des produits que sa population consomme. Encore que les produits «Made in Maurice» ne disposent que de peu de valeur ajoutée dans certains cas. Résultat, une augmentation de 60 % en trois ans, atteignant un record de Rs 191 milliards l’année dernière, soit 33,5 % du Produit intérieur brut (PIB). Idem pour le compte courant, qui est aussi déficitaire, de 12,2 % du PIB en 2022 contre 3,6 % du PIB en 2015, selon les statistiques de la Banque de Maurice. 

À travers une série de mesures sociales et fiscales, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, a essayé de désamorcer une éventuelle crise sociale, en soulageant financièrement les ménages au bas de l’échelle et ceux de la classe moyenne. Son avant-dernier Budget en contient quelques-unes, que certains qualifient volontiers de cadeaux électoraux : une allocation mensuelle de Rs 2 000 à quelque 200 000 ménages et de Rs 1 000 à 150 000 autres ; une baisse d’impôt sur le revenu pour 150 000 contribuables et aucun impôt pour ceux touchant jusqu’à Rs 30 000 ; un soutien financier pour les enfants de Rs 2 000 pour 48 000 personnes ; un revenu minimum garanti de Rs 15 000 pour 85 000 bénéficiaires ou encore des pensions accrues pour 350 000 bénéficiaires. Sans compter, rappellent souvent le ministre Padayachy et son Premier ministre, le maintien des subsides sur les denrées de base. Et si certaines familles sont plus chanceuses, elles pourront avoir droit à un logement social. Plus d’une trentaine de sites avec, à la clé, 8 000 unités à livrer d’ici la fin de l’année prochaine

Or, autant ce méga projet national peut être salué, même si les allocations de contrats auraient pu faire l’objet de certaines interrogations, n’empêche que le démarrage des travaux est susceptible d’exercer de fortes pressions sur les prix de matériaux, voire les coûts de construction eux-mêmes. Les professionnels de ce secteur s’interrogent sur la disponibilité des matériaux pour les particuliers qui veulent investir dans la rénovation, voire la construction d’une maison. Julien Moutou, directeur des ressources humaines chez Transinvest, souligne dans l’interview qui suit  que «la flambée des prix des matériaux constitue un défi majeur pour notre secteur». Voilà de quoi faire réfléchir un jeune, marié ou pas, qui souhaite se payer la maison de son rêve. 

Visiblement, il aura à sacrifier 25 ans de sa vie s’il a recours à un prêt. Une situation qui s’ajoute à cette pression sur les jeunes qui veulent aujourd’hui fuir vers d’autres pays où ils peuvent aspirer à réaliser leur rêve. Hier, comme aujourd’hui et probablement demain, le coût de la vie sera appelé à durcir face à des facteurs qui sont peut-être hors du contrôle des dirigeants du pays. Mais, bien souvent, l’approche et la capacité de surpasser les défis font la différence. À l’aube des élections, le coût de la vie deviendra une thématique préférée de campagne et chacun tentera de changer le quotidien de la population en 100 jours.