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Analyse : Fatale omniscience

22 février 2010, 00:00

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En tant que monopole public d’émission de la monnaie, la Banque centrale semble être indispensable au bon fonctionnement d’une économie. Pourtant, les autorités monétaires qui ont gagné en crédibilité dans le monde sont généralement celles qui ont préservé leur indépendance du pouvoir politique. La bonne gouvernance dans une banque centrale, c’est l’indépendance, oui, mais dans la responsabilité car, qui veillera sur les gardiens ?

La loi régissant la Banque de Maurice (BoM) accorde à celle-ci une certaine indépendance dans sa gestion. Il est écrit que le gouverneur est le seul à représenter l’autorité de l’institution. Il est un Executive Chairman, présidant à la fois le comité de direction et le conseil d’administration. Néanmoins, il est comptable à celui-ci, qui est nommé par le gouvernement.

La notion d’Executive Chairman peut être discutable dans des compagnies privées, surtout si elles sont cotées en bourse, mais elle a toute sa pertinence dans une banque centrale, voire dans une banque commerciale. Il est un fait que plus de 90% des banques américaines sont gérées par un Executive Chairman, ce qui n’a jamais posé de problème de gouvernance.

C’est aussi le cas de la Banque mondiale, qui est calquée sur le modèle américain. Le problème de la BoM est tout autre. Là où la loi fait mention de “the Bank”, fait-elle référence dans son esprit au gouverneur ou au conseil d’administration ? C’est la grande question qui mérite d’être clarifiée. Son interprétation diverse aura été la cause des conflits entre la direction et le conseil.

Cependant, il y a aussi la personnalité du gouverneur. Rundheersing Bheenick avait peut-être une trop forte personnalité qui n’était pas conforme au profi l plutôt modeste des administrateurs. C’est pourquoi il est extrêmement important que le choix de ces derniers reflète davantage leur compétence réelle que leur appartenance ethnique.

Certains membres actuels du conseil sont sans doute compétents pour cette fonction. Mais face à un gouverneur qui déteste la médiocrité, des conflits de personnalité surgissent inévitablement.

La tâche d’un banquier central est défi nie par trois mots : monnaie, banque et infl ation. Ceux-ci ont pour fi l commun la confi ance du public dans le banquier central. Pour gagner cette confiance, celui-ci doit avoir la capacité d’exercer une autorité intellectuelle et morale. Intellectuelle, en ce sens que chaque phrase qu’il prononce a l’effet désiré sur ses locuteurs. Morale, dans la mesure où chacune de ses décisions commande le respect.

Ainsi, sur le plan intellectuel, un banquier central est-il par nature conservateur, le qualificatif “conservateur” signifiant qu’il aime moins l’inflation que les autres. Le modèle de Rogoff (1985) propose qu’au lieu d’adopter une règle monétaire rigide, on place à la tête de la Banque centrale quelqu’un dont l’aversion pour la hausse des prix est supérieure à celle de ses concitoyens. M. Bheenick a démontré qu’il avait ces qualités requises, à ceci près qu’il changeait de position trop rapidement. Une politique monotone est plus rassurante que l’activisme.

Sur le plan moral, la Banque centrale est un temple de la vertu où priment la rectitude et la discipline. Le métier du banquier central exige qu’il soit autoritaire, sanctionnant tout écart de conduite, sans verser dans l’autoritarisme. Il doit demeurer discret mais ferme dans son approche. Or, M. Bheenick a multiplié trop d’interventions publiques, et ce, dans un style flamboyant qui a effacé le caractère austère que requiert sa fonction.

Dans sa logomachie monétaire, M. Bheenick a projeté une omniscience déplacée. Un banquier central ne connaît qu’une infime partie des informations complexes que traitent les individus en temps réel. Certes, en tant que président de la Fed, Alan Greenspan était respecté comme un dieu par les investisseurs. Mais il se savait faillible. Après tout, le banquier central n’est pas un dieu.


(Source : l’express ID – Lundi 22 février 2010)