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C’est quoi une mafia ?
Dans un premier temps, face à la crise économique, beaucoup de Mauriciens ont sympathisé avec le ministre des Finances lorsqu’il a affirmé que 95 % de nos difficultés émanaient de l’étranger. Le pourcentage indiqué est sûrement exagéré, mais l’idée que nous n’avons guère de contrôle sur les événements qui bousculent la gestion nationale ne nous est pas apparue choquante.
Devant les révélations de ces derniers jours, je crains, toutefois, que ce capital de sympathie ne se soit évaporé. Il ne serait pas surprenant que les Mauriciens en soient venus à conclure maintenant que 95 %
de nos problèmes sont plutôt dus à l’incurie et aux carences de nos propres dirigeants.
Les scandales qui éclaboussent « Air Mauritius » mettent en évidence les trois maux qui rongent la société mauricienne et l’entraînent vers le déclin : le clientélisme politique, d’abord ; son corollaire, l’incompétence arrogante, ensuite ; et, à l’origine de ces maux, le communalisme tacticien des carriéristes de la bourgeoisie d’Etat. Ces travers expliquent pour une très large part les dysfonctionnements de la machine gouvernementale et les déficiences organisationnelles de la nation.
Le clientélisme politique est le principal responsable de la gestion médiocre d’un très grand nombre d’organismes publics et parapublics. Il n’est pas l’apanage des travaillistes – tous les gouvernements en sont coupables – mais peut-être est-il pratiqué plus ouvertement et plus cyniquement par le présent régime.
Précisons ce qu’il faut entendre par « clientélisme » ; il s’agit pour un homme politique ou un parti, de chercher à asseoir son pouvoir en attribuant des avantages, des postes, des faveurs à des gens censés se montrer redevables par la suite. De très nombreux cadres dirigeants de notre pays doivent leur nomination à ce calcul politicien. Et beaucoup de Mauriciens ne rechignent pas à exploiter la faiblesse des gouvernants à y céder.
Il serait naïf d’attendre des hommes politiques qu’ils fassent totalement abstraction des considérations politiciennes dans l’exercice de leur pouvoir. Ils ne le font pas. Ni ceux d’aujourd’hui ni ceux d’hier ; ni ceux d’ici ni ceux d’ailleurs. Mais le clientélisme a ses limites. Lorsqu’elles sont ignorées des gouvernants, il faut craindre de graves conséquences pour eux-mêmes et pour les pays qu’ils dirigent.
Quand leurs nominés n’ont pas la compétence nécessaire aux responsabilités qui leur sont confiées, quand ils ne possèdent aucune des vertus attendues d’eux dans les fonctions qu’ils exercent, quand ils se mêlent de ce qui ne les concerne pas, drapés dans l’arrogance empruntée à leurs parrains, non seulement ils ruinent l’intérêt général mais ils discréditent leurs maîtres politiques. L’affaire « Air Mauritius » en est la preuve quintessenciée.
Sans insinuer que tous les cadres dirigeants d’« Air Mauritius » sont des incompétents – ce serait injuste –, ni que tous ses employés sont pistonnés – ce n’est pas le cas –, la compagnie nationale d’aviation est néanmoins peuplée de centaines d’employés, du sommet à la base, recrutés par des gouvernements successifs uniquement sur le critère clientéliste. De même, de nombreux administrateurs nommés par l’Etat le sont grâce à leur affiliation politique. C’est ce qui a vicié et perverti la gouvernance de l’entreprise avec la complicité silencieuse des actionnaires du secteur privé.
L’affaire du « hedging » (en l’occurrence l’achat de carburant pour se mettre à l’abri de l’inflation) en est la dernière illustration en date. On voudrait bien savoir, par exemple, lequel des membres du conseil d’administration a réclamé au président du « Risk Management Committee » les informations qui s’imposaient ?
La question est une de gouvernance en premier lieu. J’ai d’ailleurs le sentiment que l’on est peut-être injuste à l’égard de la compagnie sur cette affaire. A moins qu’il y ait des faits inconnus du public, je ne trouve ni scandaleux ni criminel que le management d’« Air Mauritius » ait cherché à assurer ses arrières dans l’environnement financier précaire que l’on connaît. Excès de prudence ? Peut-être. Au bout du compte, cela coûtera sans doute excessivement cher. Mais les responsables de cette « erreur » de gestion ne méritent pas l’opprobre de la nation et il est même convenable que tous les responsables en tirent les conséquences. En particulier les nominés politiques qui ont joué aux experts.
Le plus désolant, c’est ce que j’appellerais le « hedging social ». C’est le système qui consiste à vouloir assurer son avenir personnel et la satisfaction de ses ambitions, ainsi que celles de son clan, en anticipant et provoquant l’élimination de tous ceux qui n’appartiennent pas à la race élue. Avec, en prime, toujours les premières places.
Les Mauriciens viennent de faire la brutale découverte de ce dont il s’agit ainsi que du mode opératoire des carriéristes de l’Etat travailliste et des motivations de leurs actions. Je ne sais si ce que nous avons
lu et entendu tombe sous la définition légale de « complot », mais je sais que personne n’a de doutes sur ce qui s’est tramé dans les salons de la Commissaire de l’ICAC. Il n’y a pas à en douter parce que les choses ont été dites de manière explicite : Sanjay Bhuckory et Dan Maraye, deux princes de la cour, ont discuté du meilleur moyen de piéger le patron détesté d’« Air Mauritius » afin de le contraindre à abandonner son poste. Son crime : il n’est pas du sérail rouge et il n’a pas non plus un bon profil. Pour ce faire, les conspirateurs expliquent combien il est aisé de mobiliser des soutiens au sein de l’appareil d’Etat. Je n’ai pas le sentiment que Mme Indira Manrakhan ait fait partie du complot au départ, même si l’ancien président du « Bar Council » a bien cherché à l’embrigader. Et a peut-être réussi, nous ne le savons pas.
La Commissaire de l’ICAC a, en tous cas, manqué de réserve ; elle a perdu toute crédibilité, elle doit en tirer les conséquences. Autrement, le Premier ministre ne pourra pas ne pas agir.
J’hésite à reprendre le mot qu’avait utilisé Bert Cunningham pour dénoncer cette pratique. Si elle existe, on voit mieux maintenant comment fonctionne une « mafia » d’Etat. Définition : « Groupe occulte de personnes qui se soutiennent dans leurs intérêts par toutes sortes de moyens » !
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