La facilité déconcertante avec laquelle l’opposition MMM a été, une fois encore, roulée dans la farine sur la foi de certaines assurances ramgoolamiennes, puis comme d’habitude carrément larguée par le Premier ministre et amenée à revenir toute déconfi te vers son pis-aller, le MSM, a quelque chose de non seulement pathétique mais également d’extrêmement dangereux pour une démocratie mauricienne de moins en moins fonctionnelle.
On a, jusqu’ici, tout dit de l’opposition MMM, sauf qu’elle était ridicule. Or, on n’hésite plus aujourd’hui à le dire. Et compte tenu du poids de la politique dans la vie mauricienne, c’est absolument dramatique ! Il faudrait commencer à se poser brutalement quelques questions. Avons-nous encore, à Maurice, une opposition digne de ce nom, bien à l’aise dans sa tête et dans son rôle, qui est celui d’être une alternative, ou alors avons-nous affaire avec le MMM et le MSM à des acteurs sagement assis dans le « waiting room » du pouvoir, attendant d’être choisis pour un second rôle dans le prochain fi lm mis en scène par Navin Ramgoolam ?
Paul Bérenger, malgré son immense stature et tout ce qu’il incarne aux yeux de tant de Mauriciens, a-t-il encore le fl air et l’acuité nécessaires pour monter un challenge credible et effi cace au régime en place ou alors le rapport complexe qu’il entretient avec
Navin Ramgoolam et son obsession à partager le pouvoir sont-ils en train de lui faire perdre toute lucidité politique et de l’exposer à être constamment « outsmarted » par son adversaire ? Quand un leader national vient dire, euphorique, qu’on est à un cheveu d’un grand accord, en révèle malhabilement en public tous les détails, puis dit s’être trompé totalement sur les intentions réelles de son interlocuteur, quelle valeur accorder demain à ses facultés d’analyse et à son jugement dans des situations difficiles ?
L’important pour un chef n’est pas d’être en tout temps populaire mais surtout d’être toujours respecté. Posons alors la question : Paul Bérenger, après ses extraordinaires contorsions stratégiques, ces dernières semaines, estil aujourd’hui encore autant respecté qu’hier par amis, alliés et adversaires ? Ou n’apparaîtil, de plus en plus, depuis 2010, que comme un soupirant d’age mûr déjà éconduit, mais accourant comme un collégien à son premier rendez-vous, au moindre clin d’oeil d’une tentatrice qui l’aguiche mais qui, au fond, se joue de lui et le fuit aussitôt qu’il croit l’affaire faite ? Le MMM a-t-il encore la volonté de se battre ou est-il, depuis 2010, dans une logique de ménagement des uns et des autres qui determine désormais chacun de ses positionnements ? Le parti a-t-il une stratégie d’avenir ou est-il devenu l’esclave de ses calculs, ne faisant plus de la politique que comme on joue aux échecs ?
La politique mauricienne est devenue un immense bazar assourdissant, dominé non plus par l’adhésion à une vision du pays mais par l’émotion et où ne subsiste plus qu’une seule certitude : celle que le PTr, constamment en « survival mode », n’a absolument aucune intention d’abandonner ou de diluer son emprise sur le pays. Tout le reste est subordonné à cette considération. Nos partis, qui ont toujours su cristalliser les aspirations populaires depuis les premières élections en 1886, ne sont plus des espaces privilégiés de discussion, de réfl exion et de formation civique mais ont été aujourd’hui réduits à l’état de fan clubs d’admirateurs inconditionnels de Navin Ramgoolam, Paul Bérenger, Anerood Jugnauth ou Xavier Luc Duval, adulant et idéalisant en permanence leurs héros plutôt que réfl échissant sur l’état du monde et l’avenir de leurs enfants.
La politique mauricienne tourne graduellement au psychodrame : Ramgoolam voudrait bien oser mais est clairement l’otage de forces conservatrices qui bloquent toute avancée. Le PTr est toujours prêt par nécessité à prendre les autres à bord, quitte à les pervertir, mais en retenant le contrôle absolu du jeu.
Le MMM, lui, vit une perpétuelle frustration d’être si près du pouvoir mais jamais tout à fait là. Au grand mécontentement de ses troupes, il est oblige de payer beaucoup plus cher (30 tickets) que le PTr (17 tickets) un soutien marginal mais supposément indispensable du MSM, ce qui limite ses ambitions, et il déteste les Jugnauth pour cela. Le MSM, cyniquement, revendique en permanence un rôle autrement plus important que sa taille mais se sert froidement de tout le monde. Les petits partis deviennent paranoïaques, à force de voir les gros comploter pour les mettre hors-jeu.
Le divorce entre les politiciens et la nation se creuse ainsi. Le peuple a de moins en moins de repères. Il commence à ne plus croire en rien. Il faut remettre de l’ordre dans les esprits, savoir en quoi chacun croit, quelles valeurs chacun représente, où se situent les convergences et les divergences. Rarement la politique, l’expression par excellence de la volonté nationale, a-t-elle autant eu besoin de clarté, de sobriété, de salubrité.