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Election partielle : le jour d’après

22 février 2009, 15:59

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Ce n’est qu’un divertissement, les Mauriciens ne tarderont pas à s’en rendre compte. C’est même un divertissement de mauvais goût, un tango cruel sur le pont de nos ambitions naufragées. Une guerre qui n’est pas la nôtre non plus. Son dénouement changera tout pour l’un ou pour l’autre mais rien pour nous. Cette élection partielle de Moka-Quartier-Militaire est trompeuse et dérisoire ; elle n’est pas d’un grand intérêt pour le pays, sauf par ce qu’elle nous cache.

Partout dans le monde - et vraiment aucun pays n’y échappe - le seul débat politique qui se déroule ces temps-ci porte sur l’angoissante question de la crise économique. Une crise sans précédent par son ampleur, sa complexité et ses conséquences. Une crise qui montre les limitesde l’action politique mais aussi le rôle et le poids vitaux des Etats. Une crise qui bouscule les certitudes idéologiques, qui incite à de sérieuses remises en question. Il est surréaliste de constater que les deux principaux partis de l’opposition qui s’affrontent dans cette élection, qui cherchent à améliorer leurs chances d’accéder au pouvoir, ignorent le plus souvent cet enjeu majeur, sinon pour débiter quelques banalités sur la gravité de la situation. Deux raisons expliquent ce silence embarrassé des oppositions.

La première est que, face à la crise qui s’approfondit, et qui va faire de plus en plus mal aux Mauriciens, l’opposition quelle qu’en soit la version, n’a pas de propositions économiques alternatives à formuler. Ce n’est pas forcement une critique ; il n’y a pas, en fait, beaucoup d’options aux mesures de stimulation de la croissance proposées par le gouvernement. Il se peut qu’à la périphérie de la stratégie existe quelques possibilités de faire autrement, mais sur le fond, compte tenu de la configuration de notre économie ouverte sur l’extérieur, le ministre des Finances fait ce que la situation internationale lui impose, avec les moyens que le budget de l’Etat lui permet. Encore heureux que les caisses soient plutôt bien garnies, même si ce n’est plus pour longtemps.

Quand je postule que l’opposition, le MMM et le MSM – je ne parle pas de l’Union nationale, cette fiction farfelue d’Ashock Jugnauth qui ne sert que son projet personnel – quand je dis que les deux partis n’ont pas de propositions alternatives, c’est plutôt pour souligner qu’ils se situent tous les deux dans la même mouvance idéologique que le gouvernement de l’Alliance sociale. Les deux partis ont déjà exercé des responsabilités gouvernementales ; ils ne remettent pas en cause le système, ils en sont les défenseurs et ils mesurent parfaitement combien étroite est, dans cette crise, la marge d’un gouvernement, qu’il soit de gauche, de droite ou de nulle part.

Ce n’est pas, non plus, que nos partis d’opposition soient devenus tout à coup responsables et raisonnables. Ils sont bien tentés par la surenchère et la démagogie, et ils s’y laissent aller de temps à autre. Mais leur apparente retenue sur l’enjeu économique trouve aussi son explication – c’est la deuxième raison – dans leur calcul post-élection partielle. L’un ou l’autre parti est en train de vivre ses derniers mois dans l’opposition. L’un et l’autre aspirent à une alliance électorale avec les partis de gouvernement. Les uns et les autres savent que la gouvernance des prochains mois, et peut-être des prochaines années, va être rude et chaotique, quelle que soit l’équipe au pouvoir.

Voilà comment l’élection de Moka-Quartier-Militaire est en elle-même un exercice restreint. C’est l’après qui importe. Et l’après ne sera pas déterminé totalement par les résultats de la partielle. Navin Ramgoolam a manoeuvré pour garder ouvertes ses options même si sa préférence politique ne fait aucun doute. La question qui mérite d’être posée, à ce stade, est celle de savoir ce qui convient le mieux au pays dans les circonstances actuelles. J’ai déjà dit ma préférence : la situation est suffisamment grave pour justifier un gouvernement de coalition tripartite, où les Travaillistes s’allieraient au MMM et au MSM ou à défaut, une alliance capable de produire la plus large adhésion possible.

Il faut cesser de décrier les gouvernements de coalition. Ils existent dans de nombreuses démocraties matures et servent bien l’intérêt national. Leur objectif principal est généralement d’obtenir un large consensus populaire, en particulier lorsqu’il s’agit de faire face à une crise grave, militaire, économique ou sociale. De même quand les autorités gouvernementales doivent prendre des décisions pénibles et impopulaires.

Et dans les sociétés pluriethniques comme la nôtre, ils servent surtout à rassurer les populations que leurs intérêts divers et parfois concurrents seront pris en charge. En temps de crise, la concurrence entre groupes s’exacerbe et devient malsaine parce que les clivages ethniques se superposent aux divisions de classe. Les sociologues et les anthropologues connaissent bien ce réflexe et cette menace. Ces risques ne doivent pas être sous-estimés. A Moka-Quartier-Militaire, l’ancien partenaire de Paul Bérenger est engagé dans un « remake » coûteux et ostensible de 1983, cette campagne sournoise qui n’avoue pas son nom. Elle est toujours aussi efficace, peut-être plus encore aujourd’hui, contre un Bérenger dépouillé par le temps qui passe de son auréole ancien et soutenant un candidat que le MMM d’une autre époque eut voué aux gémonies.

C’est donc une fois de plus Navin Ramgoolam qui scellera le sort du pays. Au lendemain de la partielle, s’il est fidèle à sa parole, il devra se hâter et lancer enfin les discussions sur la nécessaire réforme de la loi électorale pour y introduire une dose suffisante de représentation proportionnelle et décider de la configuration de sa prochaine alliance électorale.

Les résultats de la partielle, les marges entre forces en présence ne serviront qu’à la table des négociations.
Il reste à savoir qui y sera invité. A moins que se dresse une autre table, malgré l’autre Jugnauth…

 

Jean-Claude de l''Estrac