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Le choix d’éclairer

4 mai 2010, 09:30

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A J-1, décompressons. Petite virée en Grande-Bretagne.

Petite incursion dans une autre campagne… Nous sommes au prestigieux «Guardian». Il y a une semaine, le rédacteur en chef de ce journal a annoncé sur le site web qu’il s’apprête à réunir ses journalistes pour qu’ensemble ils décident quel parti soutenir. Un journal indépendant n’a-t-il donc pas l’obligation d’être neutre ?

Non, pas en Grande-Bretagne, pourtant notre démocratie de référence. A chaque élection, le «Guardian» choisit quelle position politique adopter. Cette année, il innove. Il estime normal, pour un journal qui n’a d’allégeance qu’envers ses lecteurs, d’inviter ceux-là à être partie prenante de ce choix.

Les commentaires des lecteurs et internautes vont presque tous dans un seul sens. Dans leur grande majorité, ils disent ceci : «If the Guardian, like the people, want to see real change in the political system, surely we must endorse the Liberal Democrats.» Les lecteurs sont convaincus, après avoir entendu le candidat Nick Clegg, à la télé, de sa sincère volonté à changer le système électoral, dossier jugé prioritaire pour la Grande-Bretagne. «We need a pluralist electoral system that will reflect pluralist opinion», lit-on encore sur le forum*. Ils demandent à leur journal de prendre position.

Le «Guardian» a souvent été pro-travailliste. Il a des réserves sur les libéraux-démocrates. Mais le journal admet que le positionnement et le projet de ce parti rejoignent les opinions et les valeurs que défend le «Guardian».

Sur l’Irak, sur les libertés civiles, sur les droits humains, sur l’écologie. Dans un éditorial, le 1er mai, le rédacteur en chef explique qu’il a été sensible au souhait largement exprimé de son audience et annonce son soutien officiel aux libéraux-démocrates.

Navin Ramgoolam l’a échappé belle. L’audace de la presse britannique aurait pu nous avoir donné des idées.

Des idées qui auraient risqué de nuire à ses chances. Rien, pourtant, ne nous empêchait de donner des «consignes de vote». Nous n’avons pas, contrairement à certains de nos concurrents, une obligation d’être asservie aux maîtres du jour. Nous ne sommes financés par aucun groupe dont il faudrait sauvegarder les intérêts. Notre survie économique ne dépend pas de la couleur du gouvernement. Il dépend du lecteur. Oui, nous aurions pu déclarer ouvertement notre soutien au parti qui nous semble le moins dangereux pour les libertés civiles, par exemple.

Nous aurions pu… Mais ce n’est pas dans nos traditions.

Ce qui l’est, c’est de soutenir les idées qui font progresser le pays et de dénoncer celles qui nuisent au bien commun. Indépendamment des couleurs politiques. Et si certains ont étiqueté «l’express» «pro-travailliste» quand il a soutenu SSR et son projet d’indépendance, et «pro-MMM» quand il a réclamé que SSR quitte le pouvoir pour laisser la place aux idées révolutionnaires dont le pays avait besoin pour décoller, c’est tant pis. Ou tant mieux.

Dans cette campagne qui s’achève, nous avons comme hier souvent été étiquetés «pro-MMM». Pas par ce que nous avons soutenu outre mesure le discours politique de ce parti. Malheureusement, les manifestes se ressemblent ; à quelques différences près, ce sont les mêmes projets, diversement emballés. L’étiquette tient davantage au fait que la tonalité générale de «l’express» est «anti gouvernement ». Mais mettre en perspective le bilan du gouvernement sortant, lui réclamer des comptes, laisser s’exprimer de part et d’autre les opinions qui disent ce qu’il faut corriger pour avancer, ce qu’il reste encore à faire, c’est ce que fait tout journal indépendant. Il n’y a rien d’anormal à cela. De même, la radio privée, donc indépendante, reçoit des appels, non pas de celui qui est satisfait, mais de celui qui a des choses à redire, qui est frustré et qui a besoin de se libérer de sa colère.

A quelques heures de la fin de cette campagne, les journalistes ne sont pas sûrs d’avoir écrit les plus belles pages de notre histoire politique, malgré la maturité de notre démocratie.

Dommage. Ils se consolent de savoir qu’ils ont fait de leur mieux pour aider le citoyen à faire un choix éclairé.

Ariane Cavalot-de Lestrac