Publicité

Le procès de l’arrogance

22 juin 2013, 20:27

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Les journalistes ont pris la mouche et leur colère a entraîné celle de leurs lecteurs et auditeurs. Tout le monde s’offusque désormais des paroles de l’honorable Anil Bachoo, qui a jugé que les journalistes ne sont que des « zanimo » et des « malades mentaux ». Puisque nous allons faire le procès de l’arrogance, commençons par nous excuser de la nôtre. Les propos du vice-Premier ministre sont-ils en effet aussi graves et insultants qu’on le pense ? Peut-être pas.

 

C’est que le bestiaire de la presse locale est riche. On y trouve de vieux hiboux sages dont les analyses sont avisées. Des loups, qui ont organisé et dirigé de nombreuses chasses à l’information et dont la connaissance du terrain est profonde. Une foule de fouines et de renards qui ne cessent de renifler afin de remonter jusqu’à la nouvelle fraîche. La faune de la presse comprend également quelques chevaux fous qui ruent dans les brancards ainsi que des vautours prêts à fondre avec appétit sur des cadavres. Tragiquement, quelques chiens galeux y ont aussi trouvé refuge. Ceux-là vendent leur plume au plus offrant. Pas de doute donc, les « zanimo » pullulent bien dans la presse.

 

Les fous aussi ! Benjamin Franklin, l’un des pères fondateurs des Etats-Unis, avait une belle définition de la folie : «  faire et refaire la même chose et s’attendre à un résultat différent. » Si ce n’est pas le portrait craché des « malades mentaux » de la presse indépendante, cela y ressemble beaucoup. Avec la même ardeur, les journaux et radios privées révèlent des « affaires » : les zones fantômes de Jin Fei et Neotown, Medpoint, CT Power, Boskalis, le cas Soornack, les Ponzi Schemes, les responsabilités des inondations meurtrières, la saga CNT, MITD, Sarako, les radars routiers… La liste est non exhaustive !

 

Pourtant, malgré la litanie des faits perturbants, les responsables politiques et administratifs des institutions continuent à jouir d’une sorte d’immunité qu’aucune enquête – quand il y en a une – ou fact-finding committee n’arrive vraiment à mettre à mal. Qu’importe, les « malades mentaux » se bousculent pour s’intéresser au prochain scandale. Sans se soucier du fait que leurs révélations restent souvent sans suite administrative ou judiciaire. Pendant ce temps, le pouvoir, drapé de toute son arrogance, reste hermétique à la critique et incapable d’afficher un quelconque sens des responsabilités.

 

Le Premier ministre a sans doute contribué de manière décisive à installer un climat d’impunité et d’irresponsabilité au sein de sa majorité en faisant très peu de cas des révélations de la presse. Ramgoolam se satisfait amplement de balancer des « to pou kone ar moi » aux gratte-papiers et de dénigrer leurs capacités de « semi-intellectuels » faisant preuve d’une « ridicule imbécilité ». A coups de tsunami annoncé, mais jamais venu, et de menaces à l’encontre des ministres médiocres jamais mises à exécution, le Premier ministre complète la démonstration de l’impunité régnant au gouvernement.

 

C’est probablement conditionné par ce climat que l’ancien Attorney General Yatin Varma s’est laissé aller à penser que  sa fonction lui offrait une sorte d’immunité totale ‑ une assurance tous risques ‑ contre laquelle un gamin inconscient et toute une bande de « zanimo » ne peuvent rien. Il sait désormais qu’il a eu tort.

 

A vrai dire, aucun homme ne mérite la descente aux enfers que connaît Yatin Varma. Quelque part, même si les Mauriciens le jugent sévèrement, ils saisissent aussi la tragédie que vit l’homme, le mari, le père et le fils qu’il est. Ainsi, le bons sens nous conduit à envisager cette toute autre voie que Varma, alors Attorney General, ne semble même pas avoir vue : celle de l’humilité. Il faut en effet se demander où en serait cette affaire, si Varma, quelques jours après s’être emporté contre Florent Jeannot, avait organisé une conférence de presse durant laquelle il aurait simplement et sincèrement présenté des excuses publiques pour son comportement. 

 

Les Mauriciens apprécient les hommes qui assument leurs responsabilités. Nous pouvons affirmer que cet épisode aurait été oublié si Varma avait agi ainsi. Nous pouvons aussi penser que la meute de « zanimo » et de «malades mentaux » serait aujourd’hui en train de courser un autre scandale. C’est ce qui aurait pu se produire. Mais l’arrogance est passée par là.