Publicité

Les maires mendiants

25 octobre 2009, 07:56

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Tout cela est pathétique. Une « affaire de corruption » illustre la déliquescence des pouvoirs de nos administrations régionales. La question doit être posée. Ceux que l’on appelle pompeusement les « Premiers magistrats » de nos villes et Conseils de districts (CD) seraient-ils devenus de vulgaires commis au service du pouvoir central ? L’affaire Raj Aubeeluck tend à la prouver…

Que reproche-t-on exactement au maire de Beau-Bassin – Rose-Hill ? De ne pas avoir suffisamment d’argent dans les caisses de sa mairie pour financer sa participation à l’assemblée générale de l’Association internationale des maires francophones (AIMF) ? Et d’avoir donc sollicité l’aide d’une entreprise afin qu’elle paye directement à l’agence de voyage une partie du coût d’un billet d’avion ? On reproche, en fait, à Aubeeluck de n’avoir pas respecté un article de la « Local Governement Act » (LGA) de 2003. Qui dispose : « a local authority shall not accept without the consent of the Minister any donation in kind, gift or property of a value of more than 25,000 rupees or such other sum as may be prescribed. » Cet article est particulièrement ridicule pour
deux raisons.

D’abord, la somme prescrite est anormalement basse. Repeindre un petit bâtiment, ou acheter des équipements de sport rudimentaires pour un modeste gymnase peut représenter le double de cette somme ! Du coup la LGA, au lieu de dynamiser le fonctionnement des collectivités locales, les emplit de lourdeur. Et empêche les maires d’agir de manière proactives en mettant en place des partenariatscadre avec des sponsors appelés à les financer sur une base ad hoc… sans qu’il faille aller à chaque fois frapper à la porte du ministre des collectivités locales. afin d’obtenir son seing pour accepter quelques machines de musculation ou dizaines de pots de peinture !

Ensuite, il paraît évident que cet article vise à contrôler la corruption dans les administrations régionales. Du coup, il en devient encore plus risible. Ainsi, un maire ou président de CD pourrait recevoir chaque semaine des petits « cadeaux » valant Rs 10 000 ou Rs 20 000, sans devoir rendre de compte à personne. Mais le voilà horsla- loi s’il s’avise de conclure – sans l’aval du ministre - un accord de parrainage de Rs 100 000 avec une entreprise – pour le bien de ses administrés. En prime, il aura l’Independent Commission against corruption à ses trousses !

Loin de nous l’idée de dire qu’il ne faut pas combattre la corruption dans les collectivités locales. En effet, la lutte doit être permanente. Il y a bien des pourris qui sévissent dans les mairies et CD. L’actualité nous le rappelle bien assez souvent. L’enjeu est donc la mise en place d’une administration régionale de qualité. Gérée par des cadres permanents formés et compétents. Eux mêmes dirigés par des élus placés à la tête de ces institutions en raison de leur capacité de gestionnaire et de policy-maker.

Mais la pratique est autre depuis plusieurs années. L’on devient maire ou président pour service rendu ou grâce à sa proximité – voire sa servilité – avec les puissants du jour. On obtient donc la possibilité de ronger un os, exercer un peu de pouvoir ou rassembler quelques « cadeaux » pendant un an ou deux. Peu importe les idées que l’on apporte à la collectivité locale, peu importe le bilan. Ce qui compte, c’est d’avoir pu obtenir son dû. D’ailleurs si on ne l’obtient pas en temps et en heure… on peut même menacer de brûler sa chemise rouge au Plaza. L’effet est garanti. Le règne des sousfifres est installé.

Toutefois, certains essaient de faire remonter le niveau. Michael Sik Yuen à Curepipe, Tangavel Thodda à Vacoas- Phoenix et Mahen Gondeea à Port- Louis semblent vouloir exercer leur fonction au mieux de leur capacité. Mais la vérité demeure : ils sont tous soumis à l’autorité de leur ministre - James Burty David. Et certaines de leurs décisions - aussi saines et courageuses soient-elles – peuvent être cassées du jour au lendemain. Après l’intervention d’un senior minister ou du Premier ministre. Pour des raisons
de clientélisme politique.

En infantilisant et en dénigrant à ce point les administrations régionales, le pouvoir en place insulte l’idée même de la démocratie. Un conseiller municipal ou de district est élu au suffrage universel direct. Au même titre que les ministres. On ne peut donc nullement leur enlever leur légitimité populaire. C’est paradoxal, selon cet étalon, Tangavel Thodda a plus de légitimité que James Burty David. Le ministre, a été élu best loser dans sa circonscription en juillet 2005 avec 49 % des suffrages en sa faveur. Tangavel Thodda a lui été plébiscité par près de 70 % des électeurs de son arrondissement à Vacoas-Phoenix en octobre 2005 ! Plus que les lois, c’est la relation entre le pouvoir en place et les dirigeants de collectivités locales qu’il convient de redéfinir. Toutefois, rien de changera tant que le pouvoir continuera à voir dans les maires et les présidents de CD de vulgaires sous-fifres. Ils deviendront enfin des élus légitimes et appréciés quand le pouvoir central leur permettra de fonctionner – et non pour plaire aux puissants du moment – dans le seul intérêt des administrés des villes et des villages. Malheureusement, il y a encore beaucoup de chemin à faire pour arriver à cet état d’esprit.

Rabin BHUJUN