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Lettre ouverte à Edwy Plenel - Aux élections, chaque matin...

4 mars 2014, 08:21

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Cher Edwy Plenel,

 

Culture et Avenir, cellule du bureau du Premier ministre, vous a invité à participer, cette semaine, à une table ronde qui porte le thème, pertinent à souhait Une presse libre et indépendante : L’utopie de nos démocraties ?

 

Comme pratiquement partout dans le monde, la presse écrite mauricienne vit des jours difficiles. Hausse des coûts de production pour le journal papier, ventes et recettes publicitaires en baisse puisque les supports se sont multipliés, investissement et recherches dans un nouveau modèle économique à trouver (probablement fondé sur la publicité et dépendant des algorithmes de Google, Facebook, Twitter et Amazon, mais pas idéalement) pour financer le virage numérique que nous avons déjà amorcé, qu’on sait inéluctable. Le papier n’est pas encore mort et le bébé Web n’est pas encore né, comprend-on.

 

À cet égard, votre expérience personnelle et celle de Mediapart seront éclairantes à plus d’un titre, vous qui incarnez un peu cette exception économique dans la presse française, un peu comme un Canard enchaîné sur la Toile qui, justement, veut se défaire de ses chaînes de financement et de réseaux occultes.

 

Votre farouche indépendance est tout à votre honneur. Comme lecteurs, nous avons été impressionnés par votre travail assidu pour révéler l’existence du compte en Suisse de l’ancien ministre français du Budget, Jérôme Cahuzac, en décembre 2012, alors que toute la presse généraliste et politique de votre pays, gauche et droite confondus, refusait de vous prendre au sérieux. L’affaire Cahuzac est venue confirmer votre désir d’incarner la citation liminaire d’Albert Camus dans Combat (en 1944) : «Notre désir, d’autant plus fort qu’il était souvent muet, était de libérer les journaux de l’argent et de leur donner un ton et une vérité qui mettent le public à la hauteur de ce qu’il y a de meilleur en lui.»

 

Ici, à l’express, nous sommes bien d’accord avec vous : l’information est un bien public inestimable et incontournable, d’où notre combat quotidien pour une information libre de toute ingérence politique et politicienne. La démocratie a besoin d’une presse vivante et pluraliste, sans dépendance de l’argent public ni de puissants groupes privés, sans aveuglements partisans. Vous avez pour slogan : «Seuls nos lecteurs nous achètent.» Nous pensons pouvoir en dire autant, malgré les tentatives de bâillonnement de notre groupe par ce même gouvernement qui vous a invité. C’est, je l’avoue, un sujet un peu gênant, dont vos hôtes, peut-être, ne vous parleront pas. D’où cette lettre ouverte, puisque nous voulons bien croire que vous n’êtes pas homme à sacrifier votre indépendance d’esprit pour un voyage en classe affaires et l’hébergement dans un de nos hôtels de luxe, financés par les sous des contribuables et de quelques mécènes qui croient en l’utilité de la culture, malgré tout.

 

À Maurice, l’octroi, ou pas, de la publicité dite gouvernementale est devenu un moyen pour les partis politiques au pouvoir de financer les journaux qui sont complaisants envers eux et de punir ceux, comme nous, qui ne le sont pas. Ce problème ne se pose pas pour la télévision, qui demeure, toujours, en l’an 2014, le monopole de l’État. Mais le gouvernement veut se donner un air moderniste, en annonçant récemment la télévision privée. À une condition : elle devra être sans informations ! Vous imaginez-vous le site web de Mediapart publiant tout sauf des infos ?!

 

Au nom de la démocratie, notre groupe a engagé un premier procès, au nom de l’express, contre le boycott publicitaire gouvernemental. Cela s’était soldé par un engagement signé du gouvernement, fin 2012, d’accorder à l’express de la publicité gouvernementale selon ses «legitimate expectations» (attentes légitimes). Mais le gouvernement n’a pas respecté cet accord solennel (qui a ainsi trahi sa propre signature !), ce qui nous a obligés à recommencer un nouveau procès…

 

Le gouvernement, lui, bloque les fonds d’une institution, le Media Trust (à visiter si vous avez le temps, car la longue histoire de la presse mauricienne y est exposée), et paralyse ainsi la formation des journalistes. Pire, les délits de presse sont toujours considérés chez nous comme des délits criminels et les hommes au pouvoir traitent les journalistes d’«animaux». Et si Reporters Sans Frontières nous relègue de 16 places dans son classement annuel de presse libre en deux ans ; nos dirigeants balaient, avec une superbe suffisance, cet indice d’un revers de la main… La presse n’est pas parfaite, bien évidemment, elle a les faiblesses des humains qui l’animent, mais elle ne vise pas à imposer sa loi à qui que ce soit. Nous sommes en vente libre.

 

Bien évidemment, comme Mediapart, nous n’avons absolument rien à craindre d’une nouvelle campagne de punition, puisque nous, nous allons aux élections générales chaque matin, comme aimait à le rappeler le Dr. Philippe Forget. Et comme Mediapart, seuls nos lecteurs peuvent nous acheter !

 

En vous souhaitant une bonne conférence et de gentilles discussions de salon.

 

Cordialement,

 

Nad SIVARAMEN