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In memoriam

Coincés dans nos ancestralités. Quitte à retrouver celles qu’on a longtemps rejetées, presque dans un esprit de compétition primaire : à toi l’Inde, à toi l’Europe, à toi la Chine, donc à toi l’Afrique.
Le problème de nos mémoires, c’est qu’elles s’opposent, qu’on les instrumentalise, qu’elles s’affrontent parfois, et qu’on les simplifie trop souvent. Aujourd’hui 1er février, cela fait 176 ans que l’esclavage a été aboli. La majorité de ces esclaves étaient originaires d’Afrique.
La majorité ne signifie pas tous : une partie non négligeable venait des côtes du Bengale et de Malabar. La nation souffre d’un trouble bipolaire : le discours unitaire entretient une volonté d’un vivre-ensemble et, parallèlement, l’oeuvre politique et sociale morcelle dans un esprit de reconnaissance d’une diversité cloisonnante.
L’universitaire Jocelyn Chan Low pointe bien le paradoxe : «Le discours multiculturaliste a été institutionnalisé à travers la création ou le soutien public de divers centres culturels particularistes et de composite shows, suscitant une manie obsessionnelle de ‘l’héritage’, des ‘racines’, des ‘pays de peuplement’, alors que la mémoire nationale se fragmentait en une multitude de mémoires particulières» (in Les enjeux actuels des débats sur la mémoire et la réparation pour l’esclavage à l’île Maurice, Cahiers d’études africaines janv. 2004).
N’empêche, on doit bien reconnaître que les descendants d’esclaves, africains en particulier, n’ont pas pu construire une identité tirant sa sève d’un méta-récit comme les autres. «Le rapport [au(x) pays d’origine] est bien plus complexe pour les Créoles. Renvoyé à la violence de l’esclavage et au déni de la créolisation, leurs origines sont perçues comme refoulées, oubliées, incertaines. L’histoire et la culture des descendants d’esclaves sont caractérisées [...] par ce manque de ‘capital ancestral’ ; sans cesse renvoyé et comparé aux communautés dont les capitaux culturels, sociaux, religieux, économiques sont plus élevés et qui auraient su préserver leur mémoire et leur histoire» (Sandra Carmignani, Figures identitaires créoles et patrimoine à l’île Maurice, Journal des anthropologues, 2006).
Il y a donc distorsion d’une mémoire créole, entre africanité revendiquée et métissage intrinsèque. Cette distorsion est nourrie des faux pas politiques et idéologiques.
On ne peut que le constater dans l’approche, maladroite et trompeuse, des lieux de mémoire devenus patrimoines mondiaux. L’Aapravasi Ghat n’est pas plus indo-mauricien que Le Morne n’est créole. La vérité fait bondir. Le dépôt d’immigration, tel qu’aurait dû être rebaptisé l’Aapravasi Ghat selon les recommandations de l’UNESCO en 2006, a vu passer des hommes et des femmes de toutes origines. Quant au Morne, les esclaves qu’il a abrités n’étaient pas tous Africains.
En clair, les plaies de nos mémoires ne sont pas encore pansées et parfois mal pensées. Parce que nos origines multiples sont un frein quand on limite la question d’une juste attention aux démunis à des considérations ethnicistes et fi nancières. Dedans il n’y a que controverse et frustration.
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