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Pouvoir et contre-pouvoirs

9 mai 2010, 01:20

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Il faudra bien que Navin Ramgoolam s’en accommode : en démocratie, le pouvoir des élus est contrebalancé par différents contre-pouvoirs dont le principal est la presse libre. Le Premier ministre a du mal à l’accepter. Le soir même de sa belle victoire, on l’a vu s’en prendre non pas à l’adversaire politique qu’il venait de terrasser, mais au journal « l’express ». Est-il normal que les relations entre le pouvoir et la presse libre soient aussi confl ictuelles ? Réponse courte : oui !

C’est Sydney Jacobson, un célèbre éditeur britannique, qui a le mieux résumé, à mon  sens, la nature des rapports de ce couple infernal. Au cours d’un débat à la Chambre des lords, il a déclaré un jour : « My Lords, relations between politicians and the press in this country have deteriorated, are deteriorating, and should on no account be allowed to… improve. » C’est exactement la situation dans laquelle nous nous trouvons, et je ne vois pas pourquoi les relations entre « l’express » et le pouvoir devraient s’améliorer.

Il y a un principe fondamental qui explique les raisons de cette relation malaisée. En démocratie, les citoyens lisent les journaux pour savoir comment ceux qui exercent un pouvoir – les politiques, les fonctionnaires, les entrepreneurs – s’acquittent de leur tâche. Et les journalistes savent que l’information, c’est ce que « quelqu’un, quelque part,ne voudrait pas voir publier ou diffuser… » La presse libre, quand elle assume son rôle, est par conséquent perçue comme « adversarial » pour reprendre une expression des journalistes américains. Nous, notre certifi cat de bonne conduite, ce n’est pas de la SADC que nous le tenons.

Navin Ramgoolam tente de faire croire que la posture critique de « l’express » est un règlement de compte personnel, pis encore, que le journal lui est hostile parce qu’il est « un Ramgoolam ». Deux infamies.

D’abord, lors de son premier mandat, quand il ne pouvait avoir aucun compte à régler, Navin Ramgoolam avait affi ché la même hargne à l’égard du journal. Il y a dix ans, le 1er mai 2000, il s’attaquait à des journalistes dans les mêmes termes : « Nou pou bizin pran zot kont biento. » Le journal rapporte que Ramgoolam a « critiqué les journalistes qui, selon lui, sont à la solde de l’opposition et, à l’approche des élections, dénichent des scandales…  Il a pris à partie le rédacteur en chef de “l’express”, Jean Claude de l’Estrac, pour le contenu critique de ses éditoriaux ». Eclairant ! Rien n’a changé en dix ans parce que rien ne peut changer tant que chacun reste à sa place.

L’autre accusation indigne du Premier ministre consiste à taxer la presse libre de sectarisme. Les faits le contredisent. Même si pendant une courte période, quand Paul Raymond Bérenger a été Premier ministre, en alliance avec le MSM, il a été pareillement et pour les mêmes raisons la cible de la presse libre, et en particulier de « l’express ». Il a réagi publiquement, accusant lui aussi le journal de parti pris hostile à son égard. Il a menacé de punir les radios privées qui, disait-il, « jouent un mauvais rôle » dans le pays. Bérenger a même présidé le 5 août 2004 une réunion du Conseil des ministres qui a institué un comité spécial chargé de faire « sanctionner les abus » des radios privées.

Comme Ramgoolam, réagissant aux critiques contre son gouvernement, Bérenger déclarait : « Il ne faut pas croire tout ce qui est dit à la radio et tout ce qui est publié dans les journaux. » Comme Ramgoolam, sa cible principale était « l’express » qu’il accusait, dans des meetings politiques, d’être injuste à son égard et de « manipuler » la publication de sondages pour le desservir. Le Premier ministre Bérenger est alors tellement remonté qu’il boycotte le journal et refuse d’accorder toute interview à ses  journalistes, mais sans jamais menacer de les envoyer en prison.

On le voit bien : il ne s’agit pas d’une querelle de personnes. La presse libre n’est pas le faire-valoir du pouvoir politique, quel qu’il soit. L’honneur de « l’express », c’est d’avoir été la cible de tous les Premiers ministres, Anerood Jugnauth, Paul Bérenger, Navin Ramgoolam aujourd’hui.

Cela dit, faisons notre mea culpa. Le journal n’est pas sans reproche. J’ai relevé moi- même deux bourdes dans « l’express » au cours de la présente campagne, l’une défavorable à Ramgoolam, l’autre au détriment de Bérenger : la première concerne les chiffres des cotes des partis chez les bookmakers. Un jeune journaliste inexpérimenté s’est laissé manipuler, « l’express » a manqué de rigueur, mais c’est une erreur commise de bonne foi. L’autre est une affaire plus tordue : le contenu de l’interview commémorative du président de la République devenu promoteur politique.

Un dernier point : Ramgoolam accuse maintenant « l’express » de vouloir « semer la zizanie » entre lui et son allié du MSM. Je sais d’où il tient cette fausse information. Mais c’est une autre affaire…

 

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