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Presse et pouvoir
L’actualité est ainsi faite que dans la même parenthèse de temps, le Premier ministre répond à une question parlementaire sur la liberté de la presse en baisse, selon Reporters sans Frontières, que Geoffrey Robertson QC présente ses recommandations préliminaires pour moderniser le secteur des médias et que le gouvernement va se taper cette semaine un nouveau procès pour atteinte à la liberté de la presse.
Commençons par le commencement.
Le PM a raison de dire que l’opinion de Reporters sans Frontières n’est pas nécessairement une parole d’évangile, même si son «World Press Freedom Index» est très respecté.
Mais le PM choisit, pour étayer ses dires, de citer d’abord un rapport de l’«Economic Intelligence Unit» sur l’Afrique subsaharienne et, ne comparant plus Maurice au reste du monde, mais à seulement 44 pays africains, semble très satisfait que nous soyons premiers de cette classe-là. Cette même classification placerait notre pays au 18e rang sur 167 pays au monde sur son index de «démocratie ». Remarquez que l’on est ainsi passé d’un «Press Freedom Index» à un «Democracy Index», ce qui équivaut tout de même à comparer des sardines à du poisson, tant il est vrai que la liberté de la presse n’est qu’une composante de la démocratie…
Me Robertson annonce, quant à lui, de bien bonnes choses et il faut reconnaître que c’est à la demande de Navin Ramgoolam qu’il nous soumettait ce samedi ses recommandations préliminaires qui sont, finalement, sans trop de surprises quand on connaît son parcours de QC : éclairées, libérales, modernes, elles se conjuguent avec ce qui se fait de plus progressiste au monde. Me Robertson nous promet d’ailleurs que l’adoption de ses recommandations nous mènerait, sans difficultés, dans le peloton de tête des «Global Rankings for the Press», publié par «Freedom House» où Maurice, (tiens ! tiens !)est classée… 62e ! Le PM se garde bien de mentionner cela au Parlement, citant cette même source, par contre, pour se gloser du fait que Maurice n’est qu’un de cinq pays «libres» sur 49 en Afrique subsaharienne.
Comme quoi, ceux qui lui préparent ses réponses sont capables de sélectionner ce qui leur convient… Comme démonstration de fair-play et d’objectivité, on peut sans doute faire mieux ! Ce qui est par contre un peu plus surprenant avec ce rapport préliminaire, c’est le contraste entre son contenu et ce que le PM pré-annonçait, menaçant, depuis des mois, avec des promesses de révéler la vie privée des journalistes, d’aller en guerre contre la presse, d’en continuer le boycott etc… Comment expliquer cela ? Très simplement, probablement Navin Ramgoolam, adorant les interfaces avec les «grands» de ce monde et étant, probablement aussi, très sincèrement impressionné par leurs réflexions progressistes et intelligentes mais seulement jusqu’au moment où il faut prendre des décisions, d’autant si celles-ci menacent d’impacter son pré-carré politique…
Finalement, le procès intenté à l’Etat par «l’express» en 2009, lui reprochant un boycott publicitaire discriminatoire et illégal, avait mené à un accord ayant valeur de jugement le 6 août 2012. Celui-ci, signé en toute bonne foi, reconnaissait le «legitimate expectation» de «l’express» d’avoir un «fair share» de la publicité gouvernementale, en ligne avec son taux de lectorat (que le gouvernement avait d’autre part tenté de réduire de plusieurs manières et en causant, par exemple, des annulations d’abonnement dans de nombreux services gouvernementaux, y compris des librairies publiques !)
Cette bonne foi ayant été trompée (le boycott publicitaire perdurant) et le gouvernement n’ayant pas reculé devant le «contempt of court» et le non-respect de sa propre signature, de nouveaux procès leur seront servis à partir de cette semaine.
Le PM a raison quand il dit que la presse doit être «responsable, objective et balancée». Comme le gouvernement d’ailleurs. C’est ainsi que répondant à Steeve Obeegadoo, quant à ce boycott inique ; (puisqu’un chef de parti règle ainsi ses comptes partisans en utilisant son mandat de chef d’Etat), le PM choisit non pas de répondre à la question posée, mais dans un grand classique du «Pa mwa sa, li sa» de dire que Bérenger avait, en son temps, dit des journalistes qu’ils devraient tous être emprisonnés.
A la vérité, TOUS les hommes au pouvoir n’aiment pas la presse libre, c’est clair. C’est même normal et prévisible, si la presse fait son travail. Mais certains hommes au pouvoir causent et d’autres agissent. La censure de la presse sous SSR, le «Newspaper & Periodicals Act» de Jugnauth/Duval, le boycott publicitaire et les tentatives de déstabilisation de la presse libre de Ramgoolam sont des faits. Avec Robertson, Navin Ramgoolam a l’occasion de rectifier le tir et de redorer son blason.
Dans ce journal, on le jugera sur… les faits.
(extrait de l’express, édition du 15 avril 2013)
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