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Recalés à vie
Du pain et des jeux. Pour distraire les esprits, les empereurs romains organisaient des jeux du cirque et des distributions de farine. Cela contribuait à donner au peuple de Rome, qui vivait alors dans la misère, une impression de sécurité et de prospérité.
En ces temps modernes, les dirigeants qui veulent exploiter la naïveté populaire remplacent les gladiateurs par des stars de la chanson. La méthode n’a guère changé. Elle repose sur le même principe : détourner le peuple des vrais problèmes.
Qui a pensé, pendant la fête grandiose qui se déroulait au Domaine Les Pailles, dans la nuit de samedi à dimanche, aux milliers d’enfants qui deviendront ce matin les nouvelles victimes de l’effroyable machine du CPE ? Il y aura de la désolation chez un grand nombre de familles, dont un enfant a pris part à cet examen en octobre dernier. Quelques gosses verseront des larmes parce qu’ils ne figurent pas sur la liste des 1 715 élèves admis dans les seize collèges d’élite. Pour beaucoup d’autres, le verdict sera plus sévère, foudroyant. Ce sera l’échec. Ceux-là vont devoir porter, à partir d’aujourd’hui et pour le reste de leur vie, le terrible stigmate du «recalé».
Si l’on se base sur le taux moyen de réussite, on peut prévoir qu’un élève sur trois sera privé ce matin de ce fameux sésame qui ouvre la porte à l’enseignement secondaire. Pour cet enfant, la vie s’arrête à 11 ans. Il est rejeté précocement du système. Il n’y aura pas de rattrapage pour lui. Il est marqué à vie.
Le système est inhumain. D’ailleurs, même ceux qui parviennent à décrocher le CPE n’en sortent pas indemnes. Un processus de sélection à 11 ans est mauvais pour tout enfant. L’impitoyable compétition laisse des séquelles tant chez les vaincus que chez les vainqueurs. Même l’enfant qui obtient de brillants résultats académiques ne parvient pas à un épanouissement complet. Il aura reçu une éducation dépouillée de ses perspectives culturelle, civique et artistique.
Il serait dangereux de croire que l’on puisse régler le problème grâce à de petits expédients. On aura beau construire des écoles d’enseignement professionnel et augmenter les classes «prevoc», cela ne guérira pas le cancer. Il faut éliminer le CPE et repousser la compétition à l’âge de 16 ans, à l’entrée en «Form VI».
On ne peut déterminer l’élite à l’âge de 11 ans. D’autant plus que les chances ne sont pas égales. Ceux qui n’ont pas les moyens de se doper à coups de leçons ne partent pas sur la même ligne que les autres. Et les dirigeants ont osé parler d’égalité des chances durant ce week-end de festival.
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