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Si Kalyanee devenait ministre

11 septembre 2011, 05:21

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Avouons-le, cette affaire Kalyanee Juggoo nous a inspiré un brin de sympathie. Non pas à l’égard de la députée elle-même. Si son ambition est certes légitime, sa position n’est pas acceptable ; lorsqu’on a démontré sa capacité de travail, son sens du service, ses qualités de gestionnaire, une attitude affable, des valeurs affirmées, il est parfaitement normal de prétendre à d’autres défi s, de vouloir prendre de plus grandes responsabilités, de chercher à savoir pourquoi on n’est pas considéré pour tel poste. Mais une fois l’explication obtenue, soit on accepte et on se range, soit on part. On ne « boude » pas.


Non, l’élan de sympathie, ce sont les mandants qui l’ont suscité. Il y avait dans ce mouvement d’indignation d’électeurs solidaires de leur députée lésée, quelque chose de bienfaisant. Des personnes animées par de réels principes d’« equal opportunity », portées par des sentiments de reconnaissance, outrées par la grossièreté du « deal » avec la députée Martin, qui n’hésitaient pas à se dresser contre l’autorité de leur parti... voilà de quoi nous rassurer, nous qui croyions la population indifférente aux manoeuvres peu éthiques des politiques. Ainsi, donc ils auraient un peu plus de valeurs que nos dirigeants, ces électeurs ? Est-ce vrai ? Cette démonstration était-elle désintéressée ? Pas si sûr.


L’allusion persistante et sans ambigüité à la « circonscription orpheline », quand elle n’a pas de ministre, révèle la vraie nature de ce mouvement. En vérité, il est fort probable que ce qu’ils veulent, ces mandants, c’est un ministre « pour eux ». Parce que ministre égale faveurs, récompense pour services rendus, « enn ti travaiy, enn tilisens, enn ti kontra... ». Toutes ces heures sacrifi ées à coller les affiches ou à rameuter les électeurs, elles doivent se payer, et il ne peut en être ainsi que si le député « gagn pouvwar ». Cette analyse fort cynique, qui sans doute ne s’applique pas à l’ensemble des manifestants de Kalyanee, est une réalité hélas étendue.


S’il faut donner une preuve de l’existence de ce clientélisme facile, rappelons l’affaire de la Cleansing Unit du ministère du Tourisme, il y a deux ans. L’opposition s’insurgeait alors contre le recrutement d’une centaine de personnes venant de deux circonscriptions précises. Les soupçons devaient se confi rmer lorsqu’au moment de la fermeture de cette unité, à l’arrivée d’un nouveau ministre, ces employés ont été invités à suivre une formation pour être redéployés ailleurs. Leur réaction : « Pa ti bizin suiv formasion kan ti al kol lafi s ». Ils devaient bel et bien leur poste à « leur ministre », celui à qui ils avaient réclamé et de qui ils avaient obtenu récompense pour services rendus.


Ce n’est pourtant pas ainsi, en démocratie, que les choses doivent se passer. Il ne doit pas y avoir de confusion entre les rôles de député et de ministre. Rappelons la distinction entre ces fonctions. Un député en a trois : législateur, il étudie et vote les projets de loi ; contrôleur, il veille à l’action de l’exécutif ; intermédiaire, il traite les demandes des citoyens et fait valoir les besoins de sa circonscription auprès des ministres. Ceux-ci détiennent finances et pouvoir. Législateurs aussi, ils sont régis par un seul principe, celui de la responsabilité envers le Parlement.

On parle de séparation des pouvoirs entre l’exécutif (les ministres) et le Parlement (les députés) pour s’assurer que l’un ne fasse rien qui ne puisse être contrôlé par l’autre. Si le ministre agit en député, en usant de son pouvoir de ministre pour distribuer des faveurs à sa circonscription, dans le but de s’assurer un soutien futur ou de récompenser un coup de main passé, il piétine un principe sacro-saint.


Ces risques d’accident, c’est la faute à la faible séparation de pouvoirs inscrite dans nos textes fondateurs. Il en va apparemment ainsi des parlements de culture westminstérienne, alors que la Constitution française insiste de manière très explicite sur cette séparation de pouvoirs, forçant gouvernement et Parlement à assumer chacun la plénitude de ses attributions. On peut lire dans cette Constitution : « Les fonctions de membre du gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle ». Le mot incompatibilité est fort. Il implique que lorsqu’un ministre est nommé, il démissionne comme député. L’indépendance est assurée.


C’est aussi la faute aux gouvernements eux-mêmes, qui entretiennent cette confusion des genres parce qu’ils y trouvent leur compte. L’habitude même qu’ils ont de s’assurer que chaque circonscription a son ministre est suspecte. Que le débat sur la seconde république soit alors l’occasion de corriger cette perversion. Nous éviterions ainsi bien des actes de corruption et nous assurerions au ministre une plus grande sérénité dans sa fonction. Plus la proximité  a été grande entre députés et mandants, plus les risques de pression sont grands. On imagine sans mal à quoi se serait exposée Kalyanee si elle avait été ministre..

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