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Une question de temps

L’avancée démocratique espérée avec la réforme électorale ne se réalisera probablement pas.
En l’état actuel des réticences (à la fois politiques et sociales), la réforme est en effet déjà très largement compromise, sinon condamnée. Il ne reste plus littéralement qu’à en signer l’acte de décès.
Depuis que le chef du gouvernement a dit éprouver « beaucoup de difficultés » à suivre la nouvelle logique du MMM (dont le soutien parlementaire lui serait indispensable pour toute initiative), ce n’est plus qu’une question de temps pour qu’on conclut à l’échec.
Si personne n’ose encore le faire et que chacun fait semblant d’y croire toujours un peu, c’est que la classe politique mesure bien la désillusion populaire suscitée et que nul ne veut en assumer seul la responsabilité. Mais on se rend déjà à l’évidence : le débat tourne en rond.
Pourquoi ? Parce que le différend est, en apparence, sans issue :
Si on souhaite une représentation parlementaire basée d’abord sur l’équilibre ethnique, avec un mécanisme constitutionnel vérifiable assurant un nombre garanti de sièges à travers le Best Loser System (BLS), alors il est absolument incontournable que tous les candidats soient au départ formellement catégorisés communalement pour pouvoir, après le scrutin, les enfermer dans d’éventuels quotas au moment d’établir les équilibres.
On n’y échappe pas. C’est donc un non-sens de venir dire, comme le MMM, qu’on souhaite d’une part éliminer l’obligation des candidats de déclarer leur communauté et proposer en même temps le maintien du Best Loser System qui repose précisément sur l’indispensable catégorisation préalable des candidats.
Si, inversement, on souhaite éliminer l’obligation de déclarer sa communauté pour être candidat, alors il faut porter ce raisonnement jusqu’au bout et abolir le Best Loser System dans sa forme actuelle puisqu’on ne pourrait plus l’appliquer puis intégrer les objectifs de représentation du BLS discrètement dans le mécanisme des 20 sièges de Représentation Proportionnelle, comme le propose Sithanen. Cette disposition s’appliquerait toutefois sans garanties constitutionnelles communales, en faisant confiance aux partis pour assurer sur leurs listes la représentation de tous les groupes.
L’absurdité de la discussion actuelle est que cette répartition de candidatures, de circonscriptions, de sièges de ministres, etc. s’effectue déjà, hypocritement certes mais assez efficacement. Depuis 45 ans à Maurice se sont en effet développés des « unwritten conventions », des « unspoken arrangements », se sont dessinées des lignes invisibles entre partis pour que leurs listes de candidats et d’officiels se ressemblent comme des frères jumeaux, avec des dosages au millimètre près en termes de communautés, religions, castes etc. Ce n’est pas le BLS qui occasionne ces subtiles dosages, mais un contrat sociopolitique non écrit et inofficiel entre partis et chefs, une reconnaissance implicite, inavouée qu’il y a un prix à payer pour la paix politique et que tous les partis sont prêts à payer ce prix.
On se rend ainsi de plus en plus compte que le débat est désormais largement conditionné par une question centrale, de laquelle beaucoup d’autres découlent : soit on doit déclarer sa communauté pour participer aux élections, soit on n’a pas à le faire. La réponse, dans un cas comme dans l’autre, a d’importantes conséquences.
Le Premier ministre s’est, lui, aligné sur le raisonnement de Sithanen, partiellement par conviction et partiellement parce qu’il sait bien que ce n’est plus qu’une question de mois avant que le Privy Council ne statue sur l’obligation de déclarer sa communauté pour pouvoir être candidat aux élections à Maurice est anti-constitutionnelle et indigne d’un pays respectueux des droits humains. Ce qui présenterait donc le gouvernement Ramgoolam avec l’obligation formelle d’abolir cette loi (dans lequel cas le BLS s’écroulerait de toute façon).
Anticipant cela, Navin Ramgoolam ne va donc pas accepter de « delink » les questions de la Party List et du Best Loser System, comme le lui demande Paul Bérenger. Il serait politiquement fou de le faire, pour se retrouver demain laminé politiquement en milieu musulman comme celui qui aurait affaibli la garantie de sièges parlementaires aux minorités, et laissant un boulevard à Paul Bérenger pour récupérer ce milieu.
Quant au leader MMM, il a été trop loin pour revenir en arrière sur le BLS.
Il y a donc, sur cette question, très peu de chances d’un accord possible. La réforme électorale va mourir de sa belle mort. Confirmant une fois encore que la société mauricienne, malgré le vernis moderniste qu’elle aime exhiber, demeure l’otage des états majors politiques et, par son conservatisme ambiant, irrémédiablement bloquée…
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