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Une réforme laminée
Au fil des «réticences» exprimées, des «craintes» formulées et des invitations au «réalisme politique», la réforme électorale envisagée est en train de se rapetisser comme une peau de chagrin.
Quand tous les intérêts auront été pris en compte par Rama Sithanen pour son rapport final et que les propositions de synthèse de celui-ci auront été à leur tour «décortiquées», probablement décrédibilisées, par les uns et les autres, qu’en restera-t-il en termes de substance ? Probablement plus grand-chose.
L’intérêt ne réside plus désormais tout à fait dans ce que la réforme électorale apportera d’original pour une revitalisation démocratique mais plutôt dans ce qu’elle laisse commodément de côté, dans la boîte des tabous et sujets «sensibles» – ce que les négociateurs appellent généralement les «too hard cases !».
Rama Sithanen a sans nul doute les meilleures intentions du monde, une maîtrise des enjeux politiques que Carcassonne n’imaginait même pas et la vivacité intellectuelle lui permettant de donner forme à un condensé des sensibilités mauriciennes.
Mais, ancien politicien, il reste lui-même prisonnier des automatismes politiques locaux qui paralysent et momifient tout bonnement le système. Ses premières interventions médiatiques témoignent d’ailleurs des limites du chantier qui s’offre à lui et des restrictions du mandat inofficiel qui est le sien. M. Sithanen est un réaliste qui sait ce qui lui est possible et ce qui ne l’est pas.
Il ne va certainement pas, sur la réforme, faire rêver le pays et sa jeunesse. Il est d’ailleurs maintenant acquis que toute réforme Sithanen maintiendra dans les faits l’élection des premiers 62 députés selon le système actuel, dit «First Past the Post». Or, ce système ne permet, de la part des partis et candidats, aucune erreur d’appréciation, aucun risque. Il favorise au contraire des victoires décisives, des majorités nettes et s’appuie donc, pour assurer la victoire, sur des alliances pré-électorales qui – on l’a vu – faussent le jeu politique. On continuera ainsi à voir, dans tout schéma Sithanen (du fait du maintien du «First Past the Post»), des partis à soutien minimal mettre le couteau sous la gorge d’alliés éventuels et vendre le même canard aux uns et aux autres à des prix politiques outrancièrement différents.
L’élection post-réforme se jouerait, d’autre part, dans exactement les mêmes circonscriptions (21), avec exactement les mêmes délimitations, perpétuant des situations d’aberration où certaines circonscriptions ont trois députés pour 30 000 électeurs, d’autres trois députés également mais pour
60 000 électeurs. L’élection reposera aussi sur un système à trois votes favorisant vote ciblé, communalisme ou castéisme. Le maintien sous une forme ou une autre du «Best Loser System» de huit parlementaires exigé par le MMM est aussi acquis. Or, comme ces huit députés supplémentaires doivent obligatoirement équilibrer des communautés, on n’échappera, donc, pas à une défi nition obligée d’un moyen pour ceux qui les choisissent (quels qu’ils soient) afi n de catégoriser chaque candidat sous un label communal, rendant inopérable la volonté d’éliminer toute déclaration d’appartenance communale des candidats. Disparues aussi de la réforme les questions sensibles du recours contre le transfugisme, du financement des partis et des campagnes, de l’utilisation abusive de l’appareil d’Etat et de l’audiovisuel.
Une fois ces tabous respectés et les 62 parlementaires et huit «best losers» désignés avec le maintien du système actuel, quelle marge restera-t-il en pratique pour toute réforme électorale proposée par Sithanen ? Réponse : seulement 12 députés supplémentaires dans un Parlement élargi de 82 membres pour à la fois (a) corriger le ratio suffrages-sièges et assurer une représentation minimale des partis (b) nommer quelques parlementaires féminines supplémentaires, mais cela pourrait intervenir sans aucune réforme, si seulement les leaders voulaient bien placer une candidate par circonscription (c) peut-être assurer un peu mieux la représentation des divers groupes ethniques.
La marge de manoeuvre réelle de Paul Bérenger, Navin Ramgoolam et Pravind Jugnauth dans toute réforme proposée par Sithanen est donc véritablement de 12 sièges seulement sur 82, soit 14 % du nouveau
Parlement.
Et il faudrait, face à cette dilution constante d’objectifs de justice, tressaillir d’impatience ? La classe politique, dans ses stratégies actuelles de survie, est en train de se couper de plus en plus du pays réel. Dans tout le débat actuel, on n’a entendu que les politiciens professionnels. Et si on écoutait un peu plus ce qu’ont à dire les citoyens, tous ces autres Mauriciens qu’ils disent représenter ?
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