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Zéro de conduite

26 juin 2011, 06:12

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Semi-échec, notre lutte contre la mortalité sur les routes. Avec une moyenne de 150 victimes par an, nous ne sommes, certes, pas dans le rouge sur l’échelle mondiale de cette épidémie, décrétée la plus violente du siècle à venir. Mais les résultats ne sont pas à la mesure de notre effort de conscientisation, de reconstruction des infrastructures et de sophistication des techniques. En dix ans, alors que la France, par exemple, a réduit de moitié le nombre de ses morts, de 8 000 à 4 000, nos chiffres ont à peine évolué. Même si, par rapport au nombre de véhicules sur les routes, ce taux a diminué. Pourquoi ?

La dernière séance parlementaire a amené certains éléments de réponse. Une vague maîtrise des données sur l’insécurité routière, pourtant abondantes ; la tentation de réagir émotionnellement après les drames, au détriment d’une analyse rationnelle des causes plus profondes… Dans l’échange entre le Premier ministre et le leader de l’opposition, le premier a répété qu’il ne possédait pas des chiffres, pourtant en apparence élémentaires, se risquant même dans un cas à avouer qu’il ne croyait pas que la police les avait. Le second, lui, s’appuyant sur le drame de dimanche dernier où deux femmes ont été tuées sur des passages cloutés, a limité le débat à ces circonstances. Sa question nous a privés de savoir pourquoi autant de piétons (dont deux autres dans cette même semaine) décèdent… hors des passages cloutés.

L’arme première dans la lutte contre l’insécurité routière est incontestablement l’analyse qui est faite des données, laquelle est devenue désormais une science, l’accidentologie. Nos statistiques, du moins celles qui sont publiques, se sont certes affinées au fil du temps ; la fameuse PF 178 permet de savoir, par exemple, que 54 % des accidents fatals ont lieu le jour, par beau temps, que les plus exposés ont entre 21 et 40 ans, que l’heure la plus dangereuse est 18h-19h, que le choc frontal entre deux véhicules est le plus commun des cas de figure, qu’il y a autant de risques en week-end qu’en semaine... Il est probable que nous ayons à disposition toutes les données utiles à la compréhension de ce taux de mortalité ou, du moins, les moyens de les établir.

Mais la disponibilité est une chose, le traitement, une autre. Ces données, les fait-on « parler » ? Sont-elles informatisées, étudiées, croisées de manière à inspirer les actions ? Les solutions sont-elles véritablement dessinées à partir de la spécificité des problèmes mis en évidence ? Des analyses complémentaires sont-elles faites pour mieux saisir les causes ? Il n’est pas sûr. Revenons notamment aux piétons, puisqu’ils font tristement l’actualité. Ils constituent 40 % des  victimes, contre 30 % de motocyclistes et 17 % de passagers de voitures. Un taux – le même depuis dix ans – extrêmement élevé. En France, c’est 13 % de piétons (contre 50 % de véhicules), en Australie 14 % et aux États-Unis, 11 %. Qui en est responsable, le conducteur ou le piéton ? L’impunité, l’alcool, l’absence de trottoirs, les marchands ? Avons-nous des chiffres détaillés au fi chier « piétons » ? Le Premier ministre n’a pas pu le dire…

Pourtant, à en croire ce chiffre, le piéton est un problème majeur, et nous devrions y concentrer notre énergie : sanctions ? éducation ? routes piétonnières ? nouvelle considération pour le piéton ? ralentisseurs ? Cette équation a sans doute la faiblesse d’être simpliste – l’accidentologie est bien une science – mais elle veut faire ressortir que l’action ne sera efficace qu’inspirée par une réelle exploitation des données sur le comportement sur nos propres routes. Sans une telle observation de nos réalités, il y a un risque que nous importions des solutions insuffisamment efficaces. Est-il bien justifié, par exemple, ce grand déploiement d’énergie et de moyens sur les autoroutes alors que 80 % des accidents fatals ont lieu sur les « routes Royale » et autres grandes artères à deux sens dans ou entre villes et villages. Les accidents fatals sur les autoroutes ne dépasseraient pas 4 %. C’est pourtant là que les « criminels » sont épinglés chaque jour.

Il ne faut certes pas sous-estimer le danger de la vitesse. Qui est sans doute en grande partie la cause des décès du piéton. Avec un choc à 60 km/h, celui-ci risque déjà la mort. Mais il ne faut pas, non plus, que la vitesse nous épargne la tâche de mettre en évidence les autres causes. Hier, dans les Digests du trafic, elles étaient disséquées – on découvrait d’ailleurs avec surprise que la vitesse était fautive dans… 2 % des accidents, et la conduite hasardeuse dans 184 % ! Aujourd’hui, la tendance est de considérer que tout accident a pour origine « une combinaison de facteurs ». Résultat : seuls les « grands » fléaux, ennemis supranationaux, sont retenus : la vitesse, l’alcool, le téléphone au volant. S’ensuit arsenal de caméras et radars – outils développés par les pays occidentaux et adaptés à leurs problèmes – qui sont utiles, assurément, mais qui ne suffi sent pas à répondre à nos réalités.

L’utilisation intelligente des statistiques peut nous servir à bien d’autres niveaux encore. On considère qu’une fois le permis passé, on sait conduire. Mais fort de la connaissance sur les circonstances des accidents, on peut rappeler les automobilistes sur les bancs des Casernes pour apprendre une conduite plus défensive, qui montre à sentir les dangers et à les éviter. Le remède au mal, le Premier ministre a raison, doit être à plusieurs niveaux. Mais l’approche intégrée ne sera efficace que si chaque action d’un vaste plan est pertinente. Et elle ne sera aussi efficace que si les forces sont aussi « intégrées » dans une seule unité. Comité Buntipilly, la police, le ministre du Transport, est-ce très efficient, cette dispersion ?

Par Par Ariane Cavalot de lEstrac