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Centre for Biomedical and Biomaterials Research | Archana Bhaw-Luximon
«Il est crucial de retenir nos chercheurs formés»
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Centre for Biomedical and Biomaterials Research | Archana Bhaw-Luximon
«Il est crucial de retenir nos chercheurs formés»
Archana Bhaw-Luximon, directrice du Centre for Biomedical and Biomaterials Research
À la tête du Centre for Biomedical and Biomaterials Research (CBBR), la professeure Archana Bhaw-Luximon dirige l’équipe de chercheurs mauriciens et étrangers de ce nouvel établissement basé à Réduit. Malgré un emploi du temps chargé, rythmé par la recherche de financement, la conclusion d’accords avec l’industrie et la collaboration avec des scientifiques internationaux, elle s’érige peu à peu en figure emblématique dans son domaine. Cependant, elle considère l’humilité comme un pilier indispensable à tout développement. Son aspiration la plus profonde est de voir le centre devenir un véritable vivier d’entreprises émergentes.
Aujourd’hui, vous êtes à la tête du CBBR après plusieurs années passées dans l’enseignement et la recherche. Il semble que très peu de femmes à Maurice aient atteint ce niveau. Parlez-nous de votre parcours.
Mon parcours a débuté pendant mes études secondaires, où j’ai développé un intérêt passionné pour les sciences, en particulier la chimie. Cette passion m’a conduite à poursuivre des études supérieures dans ce domaine avec l’obtention de mon diplôme en chimie. Cette étape a été cruciale car elle m’a permis d’acquérir une base solide dans cette branche des sciences, qui est un fondement indispensable pour toute recherche future. Après avoir terminé mon doctorat en chimie des polymères, j’ai choisi de me spécialiser davantage en entreprenant des études postdoctorales. C’est ainsi que je suis devenue la première femme à occuper un poste de chercheuse postdoctorale à l’université de Maurice. J’ai ensuite été recrutée par l’université de Maurice en tant qu’enseignante-chercheuse au département de chimie. Cette nouvelle phase de ma carrière m’a confrontée au défi stimulant de combiner recherche et enseignement. Cela a été un équilibre délicat, mais gratifiant.
Après plusieurs années d’enseignement et de recherche, il est devenu évident qu’un centre de recherches dédié était nécessaire pour approfondir nos travaux. Ainsi, en 2011, le CBBR a vu le jour. Ma passion pour la recherche m’a ensuite poussée à explorer de nouvelles collaborations internationales, notamment avec le Massachusetts Institute of Technology, où j’ai commencé à travailler avec le professeur Robert Langer et le professeur Ram Sasisekharan en 2022. Cette collaboration a été une occasion précieuse d’apprentissage et de développement professionnel. Ensemble, nous avons élaboré des projets novateurs qui ont contribué à enrichir notre écosystème de recherche.
Qu’en est-il du développement du CBBR depuis son installation à Réduit ?
À partir de 2020, nous avons entamé une collaboration fructueuse avec l’industrie, une initiative rendue possible grâce à nos installations de pointe et notre équipe talentueuse. Nos partenariats stratégiques incluent une collaboration de recherche de cinq ans avec RT Knits Ltd et d’autres partenariats avec des entreprises locales, telles qu’Ingenia Ltd. Le Chief Executive Officer de RT Knits Ltd, Kendall Tang, qui est un visionnaire, a été le catalyseur de nos réflexions sur l’évolution de la recherche appliquée à Maurice. Cette synergie nous a permis de passer du stade de laboratoire à la phase pilote, notamment dans le développement de nano-vaccins pour les plantes à Maurice. Le financement que nous recevons joue un rôle crucial dans la transformation de nos recherches en applications concrètes. C’est ainsi que nous avons initié des travaux dans la nano médecine. Malgré les défis initiaux, nos collaborations nous ont permis de franchir plusieurs étapes significatives dans ce domaine, et aujourd’hui, les possibilités semblent illimitées.
Le CBBR compte plus de femmes que d’hommes. De plus, certains sont des Mauriciens revenus au pays pour continuer la recherche. D’autres sont des étrangers qui effectuent des recherches à Maurice. Selon vous, qu’est-ce qui a permis cet accomplissement ?
L’importance d’un leadership solide est indéniable. Nous avons constaté le retour de nombreux Mauriciens titulaires d’un doctorat dans divers domaines, provenant de pays tels que le Canada, la France, le Royaume-Uni et l’Australie, malgré les opportunités qu’ils auraient pu avoir à l’étranger. Cela témoigne du fait qu’ils ont trouvé en Maurice un lieu où ils peuvent s’épanouir, développer leurs idées et se sentir chez eux. Par exemple, nous avons un ingénieur qui est rentré d’Australie il y a deux ans et qui travaille sur des projets innovants. De même, nous collaborons avec une Espagnole sur un projet en partenariat avec le secteur privé. Notre centre prône une politique d’inclusion, qui se reflète dans la diversité de notre équipe, qui compte notamment une chercheuse originaire de Rodrigues. Nous avons mis un accent particulier sur l’inclusion des femmes, qui représentent une part importante de notre effectif.
Toutefois, il est essentiel de veiller à ne pas perdre les chercheurs que nous formons, car nous ne disposons pas encore de ressources humaines en quantité suffisante. Pour ce faire, nous encourageons la mobilité internationale de nos chercheurs afin qu’ils puissent acquérir de nouvelles compétences et connaissances, tout en veillant à maintenir un environnement attractif et stimulant au sein du CBBR. Nous sommes convaincus que cela renforcera notre attractivité et nous permettra d’attirer des partenariats avec de grandes entre- prises pharmaceutiques. Par ailleurs, notre laboratoire est ouvert aux entrepreneurs qui ont des idées innovantes pour des start-up, leur offrant la possibilité de collaborer avec nous ou d’établir des contrats de recherche.
Vous avez beaucoup œuvré pour que le centre devienne ce qu’il est aujourd’hui. Selon vous, y a-t-il une particularité dans le leadership de la femme pour arriver à certains objectifs ?
La clé du succès réside dans une vision claire et à long terme, indépendamment du genre. L’élaboration d’un plan stratégique sur plusieurs années est essentielle pour franchir de nouvelles étapes. Dans notre centre, nous fonctionnons comme une famille, où chaque chercheur se sent pleinement intégré. Cependant, atteindre ce niveau de cohésion n’a pas été sans ses défis. Les démarches pour obtenir du financement sont souvent ardues, et il est naturel de ressentir des moments de découragement. Cependant, il est crucial de toujours trouver un aspect positif, car l’expérience nous apprend à surmonter les obstacles. Le fait que le CBBR soit maintenant financé à 90 % par l’industrie est un témoignage de la confiance que les gens ont dans notre vision.
Dans notre environnement, les femmes se sentent à l’aise et sont encouragées à prendre des initiatives. Comprendre les défis auxquels font face les chercheurs, en particulier les femmes, est crucial. Les responsabilités multiples auxquelles elles sont confrontées nécessitent une compréhension et un soutien particuliers. Nous nous efforçons de créer un environnement où les chercheurs, quel que soit leur genre, peuvent s’épanouir et prendre des responsabilités. Nous croyons fermement que cela contribuera à renforcer leur confiance et à les aider à réaliser leur plein potentiel.
Comment envisagez-vous que vos recherches contribuent aux avancées dans le domaine de la santé des femmes ?
L’importance des thématiques spécifiques, telles que la santé des femmes, est indéniable. Ces sujets revêtent une pertinence particulière car ils touchent directement le bien-être et les préoccupations des femmes. En s’engageant dans des domaines qui les concernent directement, les femmes sont plus susceptibles de s’investir et de s’intéresser activement à la recherche menée. Dans cette optique, nous avons toujours accordé une attention particulière à la recherche sur le cancer, un domaine qui continue d’être d’une importance capitale pour la santé des femmes.
Pouvez-vous partager certains des défis auxquels vous avez été confrontée en tant que femme dans le domaine de la recherche biomédicale ?
Le financement s’est avéré l’un des défis les plus importants que j’ai rencontrés. Même après l’avoir obtenu, les difficultés auxquelles j’ai été confrontée ont été considérables. Cette expérience m’a enseigné l’importance de trouver des solutions créatives face à l’adversité. C’est ainsi que j’ai décidé de m’ouvrir à l’industrie, réalisant l’importance de passer de la théorie à la pratique. Bien que sortir de ma zone de confort ait été un défi, cette expérience m’a incitée à franchir le pas. Aujourd’hui, je trouve beaucoup plus facile de collaborer avec l’industrie. J’encourage vivement les chercheurs postdoctoraux à sortir de leur zone de confort et à envisager des collaborations avec l’industrie. Je leur fais égale- ment comprendre que je les pousserai dans cette direction si nécessaire. En revanche, j’ai été agréablement surprise de constater que lorsque j’ai sollicité de l’aide à l’international, j’ai bénéficié d’un soutien total, témoignant ainsi de l’appréciation de mes efforts par la communauté internationale.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes intéressées par une carrière dans les sciences, la technologie, l’ingénierie ou les mathématiques (STEM) ?
Une carrière dans les STEM peut être exigeante, mais les récompenses qui en découlent sont inestimables. Vous aurez l’occasion de rencontrer des personnes inspirantes, de découvrir des opportunités passionnantes et même de contribuer à sauver des vies. Construire quelque chose de tangible et avoir un impact concret sur le monde est une expérience gratifiante. Un exemple qui illustre bien cette importance est celui de Mel Ziman, une professeure en Australie, qui m’a fait prendre conscience que le progrès d’un pays dépend en grande partie de sa capacité à former des ingénieurs et des scientifiques compétents. J’encourage vivement les jeunes filles à surmonter leurs appréhensions et à envisager une carrière dans les STEM. Bien que le chemin puisse parfois être difficile, les opportunités qui en découlent sont extraordinaires et peuvent se transformer en véritable passion. L’important est de se lancer et de s’accrocher à chaque étape, même lorsque certains obstacles se présentent sur notre chemin.
Y a-t-il des scientifiques femmes qui vous ont particulièrement influencée ou inspirée ?
Mel Ziman a profondément influencé ma façon de voir les choses. Son parcours remarquable, partant d’une chimiste pour devenir une source d’inspiration, est une véritable leçon d’humilité et de réflexion. Sa capacité à communiquer avec empathie et à encourager les autres sans les décourager est remarquable. Ayant moi-même été témoin de l’importance d’une communication respectueuse et adaptée à la diversité des étudiants, je comprends désormais l’impact significatif que cela peut avoir. Les qualités humaines que j’ai acquises grâce à Mel Ziman, telles que l’humilité et la considération pour les autres, sont devenues des piliers fondamentaux de ma propre approche. J’encourage un esprit de collaboration et de construction sur les réalisations de ceux qui nous ont précédés, afin de favoriser un environnement où chacun peut s’épanouir et contribuer au progrès commun.
Comment conciliez-vous votre travail en recherche biomédicale avec d’autres aspects de votre vie?
Ce travail demande un investissement considérable de temps et d’énergie, souvent au détriment des week-ends et des soirées. Pour réussir dans un tel environnement exigeant, il est crucial d’avoir le soutien d’un écosystème familial solide. Cela implique parfois des sacrifices importants de la part de chacun. Néanmoins, c’est ce soutien qui permet de maintenir l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, et d’aller de l’avant dans les moments difficiles.
À votre avis, quels sont les problèmes les plus pressants auxquels fait face la santé des femmes aujourd’hui, et comment la recherche biomédicale peut-elle contribuer à les résoudre ?
Le cancer du sein est un domaine qui nous passionne particulièrement. Dans le passé, nous avons consacré nos efforts à l’étude de cellules cancéreuses du sein in vitro, et aujourd’hui, nous sommes déterminés à approfondir cette thématique. Nous avons déjà mis en place un projet pour avancer dans cette di- rection. Notre objectif est d’entreprendre une étude approfondie pour mieux comprendre les facteurs de risque spécifiques au cancer du sein chez les femmes de notre population, qui peut différer des populations d’autres régions. Cette diversité rend nos recherches d’autant plus intéressantes et pertinentes. Par ailleurs, nous sommes conscients des défis supplémentaires auxquels les femmes sont confrontées, notamment en ce qui concerne le stress, étant donné leurs multiples responsabilités. Nous sommes déterminés à prendre en compte ces aspects dans nos recherches pour mieux répondre aux besoins de notre communauté.
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