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Pénurie de main-d’œuvre

Il est minuit moins cinq

30 avril 2025, 06:15

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Il est minuit moins cinq

Il n’existe plus aujourd’hui un seul secteur économique à Maurice qui ne se lamente pas du manque de maind’œuvre. De la canne aux claviers, des usines aux hôtels, des chantiers aux bureaux de services, partout, c’est le même refrain : «On manque de bras.» Ce constat, alarmant, n’est pas nouveau. Mais ce qui était jusqu’ici un grincement discret est devenu un hurlement généralisé. Et pendant que les entreprises étranglées cherchent désespérément à recruter, le gouvernement, lui, improvise des rafistolages successifs qui peinent à inverser la tendance de manière durable.

En mars, dans l’Hémicycle, la gravité de la situation a éclaté au grand jour. Face à la PNQ de Joe Lesjongard, le ministre du Travail, Reza Uteem, a levé un coin du voile : plus de 48 000 travailleurs étrangers sont présents sur notre sol, mais 4 827 d’entre eux sont en situation irrégulière. Plus inquiétant encore : l’absurdité de notre marché du travail où, selon ses propres mots, «recruter un étranger coûte parfois moins cher qu’embaucher un Mauricien».

Ce paradoxe n’est pas que comptable : il est aussi démographique, éducatif et social. Depuis 20 ans, nous assistons sans réagir à un double phénomène. D’un côté, la population active se contracte, victime d’un taux de natalité en berne et d’un exode des talents vers des terres plus prometteuses. De l’autre, les jeunes qui restent boudent certains métiers jugés pénibles ou dévalorisants, tandis que l’appareil éducatif échoue à arrimer ses formations aux besoins réels du marché.

Résultat : Maurice est devenue dépendante d’une main-d’œuvre étrangère toujours plus nombreuse… et toujours plus précaire. Les départs massifs de travailleurs bangladais, les disparitions de migrants clandestins et les abus rapportés dans le dernier rapport du Département d’État américain sur la traite des personnes en sont des symptômes criants.

Peut-on continuer ainsi ? Non. Car ce déficit structurel, s’il n’est pas corrigé d’urgence, va étrangler notre croissance économique, dégrader notre compétitivité et fragiliser notre cohésion sociale.

Alors, que faire ? Première urgence : réconcilier les jeunes Mauriciens avec le travail. L’école doit cesser d’être une usine à diplômes inutiles pour devenir un incubateur de compétences utiles. Il faut massivement investir dans la formation professionnelle, dès le secondaire, en y réinjectant la culture du métier manuel, de la technicité et du savoir-faire artisanal. Le MITD et les établissements techniques doivent être revalorisés et alignés avec les attentes des entreprises.

Deuxième levier : réformer notre politique migratoire. Le chaos actuel profite à une mafia du recrutement et à des employeurs peu scrupuleux. Le système doit être revu pour mieux protéger les travailleurs étrangers tout en assurant un alignement entre leurs compétences et les besoins stratégiques du pays. Oui à une immigration choisie, encadrée, contrôlée. Non à l’importation sauvage de travailleurs vulnérables laissés à l’abandon.

Troisième impératif : accélérer l’automatisation et la montée en gamme. Là où les bras manquent, les machines et l’intelligence artificielle doivent prendre le relais. L’industrie, l’agriculture, la construction doivent se moderniser. Le pays doit encourager, via des incitations fiscales, les investissements dans les technologies de productivité (IA, robotisation, mécanisation). Ne plus dépendre uniquement du nombre de bras disponibles : telle doit être l’ambition.

Quatrième axe : changer le logiciel du management. Les entreprises doivent comprendre que le modèle «cheap labour» appartient au passé. Pour attirer et fidéliser les travailleurs, mauriciens comme étrangers, il faudra offrir non seulement un salaire compétitif, mais aussi des perspectives d’évolution, de la considération et de la dignité au travail. Un ouvrier ou un employé d’hôtel ne doit plus être vu comme un «consommable», mais comme un partenaire du projet d’entreprise.

Enfin, cinquième condition : une véritable stratégie nationale. Cela suppose un pilotage au sommet de l’État, avec des objectifs clairs : combien de travailleurs étrangers devons-nous accueillir ? Dans quels secteurs ? Sous quelles conditions ? Quels objectifs de formation locale devons-nous atteindre dans cinq, dix, 20 ans ? À défaut, Maurice risque de devenir un champ de bataille social où la pénurie alimentera la précarité, et où l’exploitation nourrira le ressentiment.

Le plus inquiétant dans cette crise de la main-d’œuvre n’est pas qu’elle soit là : c’est que nous continuons de l’affronter sans vision, sans plan, sans courage.

Maurice est devenue experte à recruter des excuses. Il est temps de recruter des solutions. Il est encore temps. Mais il est minuit moins cinq.

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