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Bruno Dubarry

«Il faut produire tout en favorisant la biodiversité»

24 janvier 2024, 20:00

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«Il faut produire tout en favorisant la biodiversité»

Bruno Dubarry, président et team leader chez Le Vélo Vert.

Après les pluies dévastatrices de novembre dernier et celles accompagnant le cyclone Belal la semaine dernière, la vulnérabilité du secteur agricole a été mise en exergue, soulignant l'urgence de trouver des solutions durables. Le président et team leader du Vélo Vert offre une perspective inédite sur les répercussions sur les cultures et les prix des légumes à travers l'île. Dans cette entrevue, il explicite l'engagement actif de l’ONG à renforcer la résilience économique des agriculteurs face aux changements climatiques, tout en plaidant pour l'agro-écologie comme pilier essentiel de la durabilité alimentaire future de Maurice.

Comment Le Vélo Vert aborde-t-il les défis du secteur agricole à Maurice ?

Avec responsabilité, car il est nécessaire de préparer les sols et les esprits à une réforme des pratiques agricoles ; avec méthode, car l'impréparation est préjudiciable ; et avec ouverture, car il est essentiel de revisiter les notions de partenariat, de valorisation territoriale, d’entrepreneuriat, de marché et d’alimentation.

En quoi les pratiques agricoles durables sont-elles cruciales, notamment pour la sécurité alimentaire ?

Un changement majeur s'opère dans les pratiques, car nous redécouvrons l'importance de nous nourrir tout en freinant une tendance à l'extinction massive des espèces. Promouvoir des pratiques réduisant l'impact sur l'environnement et la santé n'est plus suffisant dans la situation actuelle. Il faut produire tout en favorisant la biodiversité pour renforcer la résilience des écosystèmes face aux stress climatiques et dépasser les pratiques reposant sur des intrants chimiques ou biologiques.

Pouvez-vous détailler comment Le Vélo Vert encourage l'adoption de pratiques agro-écologiques à Maurice ?

Le Vélo Vert accompagne la transition agro-écologique à Maurice en agissant à deux niveaux : la production et l'expérimentation menées sur nos fermes et celles de nos partenaires, ainsi que la formation et la labellisation assurées par notre académie et notre label qualité. Nous facilitons également la mise en place d'audits pour les entreprises souhaitant lancer des gammes de produits agro-écologiques. Notre action s'étend sur deux échelles territoriales – sur le territoire mauricien et aspirant à le faire bientôt à Rodrigues – ainsi qu'au niveau international dans le sud-ouest de l'océan Indien.

Quels sont les avantages économiques que vous observez pour les agriculteurs ?

Il convient de distinguer trois catégories : l'agriculture "raisonnée", qui réduit l'usage des produits chimiques sans les abandonner ; l'agriculture "bio", qui maintient une dépendance aux traitements mais n'utilise que des produits certifiés biologiques ; et l'agriculture agro-écologique, qui favorise la biodiversité et la vie dans les sols pour limiter l'usage à des produits certifiés biologiques, et cela, uniquement en cas d'attaque. En évitant cette dépendance, l'agro-écologie permet de réduire les coûts, y compris ceux de certification "bio", en les remplaçant par des systèmes locaux de garantie qualité tels que le label du Vélo Vert. Comme il s'agit d'une transition, les trois catégories peuvent se succéder dans le temps, mais les données économiques de plus en plus soumises à l'incertitude (conflits, climat, santé) rendent les étapes "raisonnée" et "biologique" plus difficiles à imposer comme des modèles nationaux, même avec des aides publiques, car elles dépendent de facteurs exogènes et subissent l'inflation importée et les difficultés d'approvisionnement. Il est donc quasiment impératif de mettre l'accent sur l'agro-écologie si Maurice souhaite remédier à la fragilité de son système agroalimentaire.

Comment les récents cyclones ont-ils affecté le secteur agricole à Maurice sur le plan économique ?

Le phénomène est bien connu. La destruction des cultures entraîne une raréfaction des produits, provoquant une augmentation des prix pour les acheteurs et le consommateur final. Ce problème ne trouve pas de solution immédiate et peut persister pendant plusieurs semaines, en fonction de l'état des sols et des produits à replanter. Une course à la production se manifeste, entraînant une surutilisation de traitements chimiques, dont une grande partie du coût est prélevée dans le budget national, tout comme l'importation urgente de produits agricoles pour répondre à la demande. Les chiffres circulant font état de 75 % de la production maraîchère directement affectée, la production fruitière n'étant pas épargnée.

Quels sont les défis financiers rencontrés par les agriculteurs suite aux événements climatiques ?

L'impact est direct sur les revenus destinés à payer les loyers, salaires et services. Les agriculteurs, généralement de petites surfaces, rarement bénéficiaires, sont souvent exposés avec des aménagements limités (peu de haies pour limiter l'impact des vents violents et de canaux adaptés pour gérer les pluies torrentielles) ; les parcelles agricoles sont fragiles. Les aides réservées aux petits planteurs constituent un mode de fonctionnement bien intégré, et les enveloppes d'urgence viennent alléger le fardeau. Mais le fond du problème demeure : les pratiques agricoles, l'aménagement du territoire face aux risques inhérents à une région subtropicale et le régime alimentaire.

Avez-vous observé des fluctuations importantes dans les prix des légumes après le passage de cyclones et l’impact que cela a sur les consommateurs et les agriculteurs ?

Les augmentations observées sur la vente au détail varient de 20 % à 100 %. La situation est toujours délicate, avec le sentiment pour le producteur d'être injustement rémunéré et le sentiment pour le consommateur d'être lésé sur le prix final ; et l'État intervient en urgence via l'AMB en fournissant des quantités importées pour ceux qui ne sont pas disponibles localement.

Comment travaillez-vous à maintenir ou améliorer la qualité des légumes malgré les défis climatiques ?

La réponse est à la fois simple et complexe : il faut faire évoluer notre régime alimentaire et nos pratiques agricoles, car les dégâts du dérèglement climatique sont déjà connus et observables. Certains produits agricoles devront être progressivement réduits, voire abandonnés, tandis que d'autres devront être favorisés et consommés davantage ou différemment.

Comment Le Vélo Vert travaille-t-il à renforcer la résilience économique des agriculteurs face aux changements climatiques, en particulier les cyclones ?

Dans l'académie du Vélo Vert, dès le début, une réalité est enseignée : travailler le sol, favoriser notamment la vie à l'intérieur (bactéries, champignons, insectes), la couverture végétale pour une température et une humidité optimales, la biodiversité pour que les espèces se rendent service dans la croissance, la fertilisation et la résistance aux bio-ravageurs, enfin l'aménagement pour gérer l'arrivée massive d'eau en cas de cyclone. Ainsi, les parcelles du Vélo Vert dans le sud ont résisté au choc des 15 et 16 janvier.

Existe-t-il des stratégies pour atténuer les perturbations économiques ?

À l'échelle nationale, nous observons des tactiques focalisées sur la gestion de crise et le redémarrage des activités agricoles après un cyclone. Pour parler stratégie, il faut remonter d'un niveau et poser des questions plus larges, définir des orientations ou respecter des temporalités. Je pense qu'une prise de responsabilité de l'État et des choix pour la prochaine décennie, en termes d'évolution de l'alimentation et de planification économique, est nécessaire pour y répondre.

Comment le programme EMBEROI III contribue-t-il à renforcer l'économie locale, en particulier dans le secteur agricole ?

Le programme EMBEROI III, financé par l'Union européenne, contribue au renforcement de l'économie locale dans le secteur agricole par l'apport de connaissances capitalisées, la mise en réseau des acteurs, la création d'outils pédagogiques et la collaboration à des projets régionaux axés sur la valorisation et l'amélioration des pratiques. Cette démarche qui s'effectue en étroite collaboration avec le terrain et les institutions   représente une étape préalable importante conduisant vers une future transition agro-écologique.

Peut-il stimuler l'activité économique régionale ?

L'activité économique régionale résultera de référentiels communs en termes scientifiques et entrepreneuriaux. Cela implique des formations croisées entre les îles, des projets de recherche partagés, la mise en place d'observatoires des pratiques, des échanges continus entre agriculteurs, ainsi que des plaidoyers communs auprès d'instances régionales telles que la COI, visant à faire évoluer les agendas publics.

Comment les partenariats du Vélo Vert avec des entreprises telles que la MCB et le groupe Eclosia soutiennent-ils les aspects économiques de l'agriculture durable ?

La MCB et le groupe Eclosia, sponsors historiques du Vélo Vert, contribuent au soutien de l'agriculture durable. La MCB a choisi de prolonger son engagement en faveur de l'agro-écologie à travers le programme EMBEROI III, en fournissant une aide à l'achat de produits agricoles via une future web application. De plus, elle sensibilise son personnel grâce à des chantiers organisés sur les fermes. Le groupe Eclosia mobilise une partie de son cluster production alimentaire pour des coopérations directes concernant les pratiques agricoles, notamment à travers la formation, la labellisation et la vente de produits.

En plus des avantages en matière de santé, comment la vision d'une île en pleine santé contribue-t-elle à renforcer l'économie mauricienne ?

Pour le secteur agricole, redevenir attractif, en particulier auprès des jeunes entrepreneurs et des femmes, est essentiel. Cela nécessite de répondre à la demande croissante du marché, garantissant des produits sans traitements chimiques, à des prix abordables, adaptés aux climats locaux, peu énergivores et faciles à cultiver. Ainsi, l'approche axée sur "produire sain et manger sain" répond pleinement à l'objectif essentiel pour tout pays : une population en bonne santé qui adopte des modes de production et de consommation responsables.

Comment Le Vélo Vert perçoit-il l'évolution des pratiques agricoles à Maurice par rapport à l'adoption croissante de l'agro-écologie ?

L'agriculture, en tant que secteur à long terme, nécessite une approche expérimentale, comme celle actuellement menée par Le Vélo Vert. Il est crucial de tirer des conclusions viables de cette expérimentation pour permettre une série de passages à l'échelle, favorisant ainsi la conversion des terres et des pratiques agricoles, ainsi que l'installation croissante de producteurs en agro-écologie.

Quels sont les avantages économiques pour les agriculteurs ?

Pour l'agriculteur, les avantages économiques comprennent une diversification des revenus, l'adoption d'un ensemble de solutions écosystémiques réduisant les risques liés au dérèglement climatique (sécheresse, ravageurs, inondations), et la génération de matière valorisable autrement que pour la consommation humaine, telle que des compléments alimentaires pour animaux, des matériaux énergétiques et de construction, des textiles et des plantes aromatiques.

Pouvez-vous nous parler de l'efficacité des programmes de formation du Vélo Vert pour les agriculteurs mauriciens ?

Le programme complet "Agro-écologie et Agripreneurs : Parcours et Pratiques", fruit d'une collaboration avec FormaTerra (La Réunion) et le FAREI, est constitué de 12 modules avec une approche composée à 70 % de pratique et 30 % de théorie. L'amélioration des compétences et des connaissances est considérée comme indispensable, selon les participants, pour acquérir la confiance nécessaire dans leur transition agricole. Le format du programme évoluera pour s'adapter aux entrepreneurs en activité et aux porteurs de projet, avec l'ajout d'un guide pédagogique et de fiches techniques. En outre, un réseau national de fermes affiliées à l'académie se met en place pour exposer les participants à une diversité de modèles et de pratiques, favorisant ainsi la formation dans chaque région.

De quelle manière Le Vélo Vert intègre-t-il l'innovation technologique ?

L'analyse microbiologique, introduite dans les activités du Vélo Vert grâce à un partenariat avec Bancella sur un terrain test à Rivière-des-Anguilles, offre l'opportunité d'accéder à des analyses locales et internationales. Cette approche permet de mieux maîtriser les interventions au niveau des sols cultivés. Bien que les technologies modernes soient susceptibles de stimuler l'efficacité économique de l'agriculture durable, le Vélo Vert considère qu'éviter une dépendance excessive de la technologie est essentiel pour éviter des vulnérabilités énergétiques et d'équipement.

Comment Le Vélo Vert travaille à faciliter l'accès des agriculteurs aux marchés ?

Répondre à une demande croissante jusqu'aux villages, où les habitants s’interrogent déjà sur la présence de pesticides, constitue la principale démarche du Vélo Vert. Les bazars, les grandes surfaces commerciales, les hôtels et les restaurants recherchent activement des offres locales. Ainsi, la demande pour les produits agro-écologiques est mature et le Vélo Vert travaille actuellement sur le déploiement d'une web application permettant l'achat direct auprès des producteurs locaux, garantissant la qualité agro-écologique.

Comment Le Vélo Vert s'engage-t-il dans la recherche pour adapter les bonnes pratiques agro-écologiques aux conditions spécifiques de Maurice et quels sont les résultats attendus ?

L'engagement dans la recherche appliquée se réalise avec des partenaires variés, dont les agronomes du Vélo Vert, des entreprises spécialisées dans les services agricoles, et des établissements de recherche tels que le CIRAD Réunion – Océan Indien. Quatre collaborations directes avec le CIRAD seront actives en 2024. L'objectif à l’horizon 2025 est de développer un réseau de solutions locales et régionales permettant la diffusion de modèles agro-écologiques documentés et publiés scientifiquement, prêts à être appliqués par les agriculteurs sur leurs terres.

Comment Le Vélo Vert travaille-t-il à développer des filières économiques durables autour de l'agriculture agro-écologique à Maurice ?

Le développement de filières économiques durables autour de l'agriculture agro-écologique se fait par leur intégration territoriale. Cela implique la production de denrées alimentaires conformes aux normes agro-écologiques, à des prix abordables, pour un accès au plus grand nombre de consommateurs. La confiance dans les pratiques, l'absence de coûts liés aux traitements chimiques, la stabilité dans la fourniture des marchés, et des volumes croissants sont autant de facteurs favorisant cette intégration. D'autres aspects comprennent un agri-preneuriat local soutenu par des ONG, la mise à disposition de foncier privé pour des projets agro-écologiques collectifs et encadrés, ainsi que la substitution des matières premières importées dans l'industrie manufacturière par une offre agro-écologique.