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Interview de ...Jérôme Boulle
«Il faut un ‘rethinking’ complet du mode de fonctionnement de la MPA et de la CHCL»
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Interview de ...Jérôme Boulle
«Il faut un ‘rethinking’ complet du mode de fonctionnement de la MPA et de la CHCL»
Le récent classement de notre port à la 327ᵉ place (sur 344 ports) par la Banque mondiale soulève des questionnements légitimes quant à sa position, son efficience et ses performances. En tant que nouveau président de la Mauritius Ports Authority, Jérôme Boulle répond à nos questions relatives aux défis à relever pour sortir de l’impasse. Il souligne que sous peu, les consultants travaillant sur la mise à jour du «Port Masterplan» remettront leur rapport. Il prévoit ainsi d’inviter l’ensemble des parties prenantes des activités portuaires à engager une réflexion large afin de retrouver une dynamique de développement pouvant positionner Port-Louis comme un acteur majeur de cette partie du monde…
Notre port se retrouve à la 327ᵉ place sur 344 ports, selon le dernier rapport de la Banque mondiale, «The Container Port Performance Index 2022». Vous venez de prendre le fauteuil peu envié de président de la Mauritius Ports Authority (MPA)…
Parlons d’abord de ma nomination à la présidence du conseil d’administration de la MPA. Je ne sais pas si l’on peut parler de fauteuil. LOL ! Je tiens à préciser deux choses. D’abord, je suis part-time chairman ; donc, il n’y a pas de traitement princier comme l’affirment certains sur les réseaux sociaux. Ensuite, cela fait bientôt 30 ans que j’ai arrêté la politique active. Depuis, je n’ai cultivé aucune proximité avec quelque leader ou formation politique. J’ai répondu positivement à la sollicitation pour être chairman de la MPA dans le seul but de servir mon pays. Je dois dire qu’au cours de l’entretien que j’ai eu avec le Premier ministre (PM) avant ma nomination, à aucun moment n’avons-nous discuté politique. Le PM m’a seulement fait part de ce qu’il pense devraient être les grandes orientations de l’organisme. Et à ce jour, le board travaille sans contrainte.
Êtes-vous surpris par ce mauvais classement ?Quelles sont les principales raisons pour expliquer cette mauvaise performance ?
Comme tout le monde, je me suis senti interpellé par ce classement. Le rapport s’intitule The Container Port Performance Index 2022 – A comparable Assessment of Performance Based on Vessel Time in the Port. Je pense qu’avant de commenter le rapport, il faut le lire en entier et ne pas s’arrêter au seul classement. Je note que des ports comme Hambourg, Manille, Durban, Cape Town, de grands ports réputés, sont classés après Port-Louis. Je souhaite mieux comprendre le raisonnement et la méthodologie utilisés pour établir ce classement avant de formuler un commentaire et de parler de bonne ou de mauvaise performance.
Il faut savoir que le classement ne concerne pas seulement le temps passé par un porte-conteneurs dans un port pour la manutention des conteneurs, mais aussi pour des services annexes comme le pilotage, le soutage, l’approvisionnement, le nettoyage et parfois les réparations. Au port, l’accostage des navires au terminal des conteneurs est basé sur des fenêtres fixes allouées aux armateurs. Il arrive que parfois les opérations sur des navires ne soient pas complétées à temps pour diverses raisons, causant des attentes. Par ailleurs, Port-Louis étant un port de transbordement, des feeder vessels doivent attendre l’arrivée des différents gros-porteurs transportant leurs conteneurs destinés aux différents ports de la région. Et ce calendrier est géré par les armateurs. Les techniciens m’expliquent que dans ces cas-là, ce n’est pas l’autorité portuaire qui décide du calendrier de ces navires en attente, mais les armateurs.
Quelles sont les mesures de redressement déjà en cours et d’autres qui seront entreprises pour répondre aux critiques liées aux retards ?
À Maurice, le principal pourvoyeur de services à un porteconteneurs est la Cargo Handling Corporation Ltd (CHCL). C’est un organisme indépendant, concessionnaire de la MPA, qui a la responsabilité de cette opération. La MPA en tant que régulateur a convenu avec la CHCL d’un niveau de productivité. Quand celuici n’est pas atteint, des correspondances sont échangées et des réunions organisées. J’ai discuté avec son chairman et il m’a fait part des contraintes auxquelles est confrontée la CHCL. Il est établi que celle-ci fait face à un manque d’équipements et de personnel. Je sais que le président de la CHCL et son conseil d’administration travaillent d’arrache-pied pour trouver des solutions aux problèmes confrontant l’organisme.
Selon le rapport de la Banque mondiale, Port-Louis, en termes d’efficacité, se retrouve en mauvaise posture face aux pays de la région, notamment Toamasina, le port de Madagascar, qui occupe la dixième position, Victoria (Seychelles – 13ᵉ), Mayotte (15ᵉ) et La Réunion (22ᵉ)… Ces données soulignent-elles l’urgence d’une réévaluation des pratiques et des processus opérationnels dans le port ?
Au-delà du classement établi par la Banque mondiale, il y a un impératif d’amélioration de la performance pour que Port-Louis puisse préserver sa position de leader dans la région. La modernisation du port de Toamasina, à Madagascar, va se révéler un défi pour notre port. Il faut prendre garde, sinon nous risquons de perdre tous les avantages comparatifs qui font de Port-Louis le port de préférence dans la région. Il est essentiel que l’on soit préparé à bien réagir dans la conjoncture avec la situation en mer Rouge et dans les ports d’Afrique du Sud. Sinon, on risque de passer à côté d’opportunités réelles.
Quelles sont les améliorations significatives nécessaires pour renforcer la compétitivité et la performance du port face à cette concurrence régionale ?
À mon humble avis, il faut un rethinking complet des business models et du mode de fonctionnement de la MPA et de la CHCL. Port-Louis est notre unique port, donc le passage obligé de tout le trafic maritime du pays. Il faut y ajouter les activités de transbordement, de bunkering, de réparations et de bateaux de croisières. Tous les stakeholders membres de la communauté portuaire sont unanimes que l’immobilisme conduira à la perte de notre leadership dans la région. Bientôt, les consultants travaillant sur la mise à jour du Port Masterplan vont remettre leur rapport. Parallèlement, je compte inviter toutes les parties prenantes des activités portuaires à engager une réflexion avec l’objectif de définir un plan d’action offrant à PortLouis la possibilité de retrouver une dynamique de développement. Nous prévoyons des actions vigoureuses et des initiatives innovantes.
La conjonction de ces résultats inquiétants et les tensions internes actuelles à la CHCL compliquent la donne. Que comptez-vous faire pour la réputation du port ?
Je ne pense pas que la réputation de Port-Louis soit totalement entachée. Cependant, tous les interlocuteurs doivent comprendre que l’immobilisme nous y conduira. En ce qui concerne les relations tendues entre le syndicat et le management de la CHCL, je ferais un appel public aux deux parties pour un changement d’attitude de part et d’autre. Nos postures doivent être à la hauteur des enjeux. Quand je suis arrivé à la MPA, il y a un mois et demi, une de mes premières préoccupations a été d’assurer l’instauration d’un climat industriel paisible. Mes premiers interlocuteurs ont été le management et les représentants syndicaux. L’avenir de toute entreprise dépend surtout de la cohésion entre les équipes. À la MPA, nous offrons notre collaboration à la CHCL pour qu’elle puisse opérer dans des conditions favorables à son développement. Des décisions courageuses et innovantes sont attendues.
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