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Questions à... Julien Moutou

«Il manque de formations pour les compétences recherchées dans les métiers manuels»

21 mai 2024, 19:00

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«Il manque de formations pour les compétences recherchées dans les métiers manuels»

La Journée internationale des ressources humaines, célébrée hier, met l’accent sur la promotion d’une culture d’excellence sur le lieu de travail. Julien Moutou, directeur des ressources humaines, est chargé de la gestion opérationnelle et stratégique du capital humain de Transinvest Construction Ltd. Il s’occupe de l’accompagnement et du développement des talents composant l’effectif de plus de 1 000 femmes et hommes dans leur quotidien. Dans l’entretien qui suit, Julien Moutou explore les stratégies clés mises en œuvre par la compagnie pour promouvoir une culture d’innovation et d’adaptation, pour encourager le développement professionnel continu, pour attirer et retenir les jeunes talents, ainsi que pour favoriser la diversité et l’inclusion sur le lieu de travail.

Quelles stratégies faut-il adopter pour favoriser une culture d’innovation et d’adaptation face aux changements constants sur les lieux de travail ?

Cette culture doit être vécue et ressentie par tout un chacun à travers l’entreprise. Pour ce faire, les professionnels des ressources humaines ont un rôle de catalyseur en mettant en œuvre des possibilités pour un dialogue franc et ouvert, tout en promouvant une culture du feedback. Il faut constamment être à l’écoute des besoins des services, et favoriser les opportunités de développement et de formation, avec une attention particulière sur les dernières tendances dans tous les métiers, ainsi que sur les nouvelles technologies qui nous impactent tous. Au-delà de ça, et dans la pratique, il faut donner la possibilité aux collaborateurs d’expérimenter sur leurs idées, de les accompagner, de les faire travailler sur des projets en équipe et de les challenger. Tout cela est ensuite renforcé par une culture où l’effort est récompensé, reconnu et partagé.

Comment encourageriez-vous le développement professionnel continu et l’engagement des employés à tous les niveaux de l’organisation ?

Il faut donner envie aux collaborateurs de se développer et leur montrer les possibilités qui s’offrent à eux. Par exemple, chez Transinvest, nous avons développé une grille de compétences qui dépeint le parcours standard de développement d’un métier ou d’un poste particulier, avec la possibilité de mouvements verticaux ou latéraux. Les compétences à acquérir à chaque étape sont clairement définies, et chaque collaborateur a la possibilité de discuter de son plan de carrière avec son responsable ou son mentor. Ils peuvent ensuite se mettre d’accord sur un plan de développement individuel, avec des objectifs de développement personnalisés. L’opportunité de progression se matérialise ainsi avec l’obtention des compétences voulues. D’autres facteurs en parallèle jouent au niveau de l’engagement des collaborateurs au sein d’une entreprise. Aujourd’hui, il faut également prendre en compte les valeurs de la compagnie, son engagement sociétal, ainsi que les engagements envers l’environnement, pour ne citer que ceux-ci. Nos collaborateurs attachent une importance grandissante à participer à toute action de l’entreprise qui favorise un environnement de travail sain, où un équilibre est trouvé entre vie professionnelle et vie personnelle.

Comment évalueriez-vous l’impact des programmes de formation et d’éducation pour le marché du travail ?

Il y a des programmes de formation qui répondent assez bien aux besoins des métiers en col blanc, mais malheureusement, il manque cruellement de formations qui répondent aux critères de compétences recherchées dans les métiers manuels. Les métiers de l’informatique peinent également à trouver du personnel formé et compétent. Le ministère du Travail fait certes des efforts pour contacter les employeurs afin d’être à l’écoute de leurs besoins, mais il me semble que le secteur de l’éducation, que ce soit au niveau secondaire, tertiaire ou vocationnel, peine à répondre à ces besoins. Je pense qu’il nous faut favoriser la mise en place de partenariats avec des écoles internationales qui pourront partager des cursus solides répondant aux besoins et aux attentes de ces employeurs. Il y a aussi un certain nombre d’initiatives qui peinent à être connues. Les différents ministères concernés devraient réellement miser sur plus de communication afin de promouvoir les formations qu’ils dispensent.

De nombreux jeunes professionnels quittent le pays pour travailler ailleurs. Pour quelles raisons selon vous ?

C’est une réalité tragique pour notre pays. Le secteur public tout comme celui du privé peinent à attirer les jeunes diplômés qui aspirent aujourd’hui à des carrières qui progressent plus vite, à des rémunérations qui rendent autonome plus rapidement, et à un environnement de travail où ils peuvent exprimer leurs compétences de façon plus libre. Beaucoup d’entre eux estiment également que leurs qualifications ne sont pas reconnues à leur juste valeur en termes de rémunération. De plus, il existe clairement la perception que la méritocratie est souvent occultée lors des recrutements et des promotions. Finalement, le work-life balance tient une place importante pour ces jeunes, qui aspirent à connaître des loisirs différents de ce que le pays offre actuellement.

Quelles stratégies adoptez-vous pour attirer et retenir les jeunes talents sur un marché concurrentiel ?

Nous misons sur un partenariat avec les établissements éducatifs ainsi que les universités qui forment les jeunes aux métiers de la construction. Nous faisons en sorte que des opportunités de stage, d’apprentissage et d’embauche leur soient offertes, avec un accompagnement de professionnels aguerris. De plus, nous misons beaucoup sur notre effectif existant de collaborateurs qui ont la possibilité de coopter des jeunes talents en leur parlant de leurs métiers et de leurs conditions de travail. Nous mettons aussi de l’avant, avec fierté, que nous sommes une entreprise de construction dont la main-d’œuvre est composée à plus de 98 % de Mauriciens. C’est extrêmement valorisant de faire partie d’une équipe qui croit dans l’avenir de la jeunesse mauricienne pour contribuer à la construction de son pays. Les opportunités d’apprentissage liées aux nouvelles techniques de construction, avec des moyens qui réduisent considérablement la pénibilité du travail, font que les métiers de la construction arrivent toujours à séduire aujourd’hui.

Comment créer un environnement de travail qui réponde aux attentes et aux aspirations des jeunes professionnels, notamment en matière de développement de carrière et de reconnaissance ?

Il est primordial d’être à l’écoute des jeunes professionnels. Il faut comprendre que les enjeux se trouvent dans la création d’un cadre de travail qui favorise l’exposition à de nouvelles techniques, de nouvelles technologies, et à la formation continue. Il faut qu’ils aient la possibilité de prendre rapidement des responsabilités et de grandir au niveau professionnel. Cela s’accompagne de défis à relever, de support managérial et enfin, de reconnaissance au niveau de la rémunération.

Durant les intempéries, les employés ont été appelés à travailler à distance. Comment gérez-vous les défis opérationnels ?

Il faut savoir qu’un chantier est souvent très dépendant des aléas de la météo et qu’en cas d’intempéries, nous n’avons pas la possibilité de déployer notre main-d’œuvre qui représente plus de 70 % de notre effectif. Parmi le personnel susceptible de travailler à distance, tous sont heureusement capables de rapidement se remettre en opération. Nous avons beaucoup appris de l’époque de la Covid-19 et nous avons digitalisé nombre de nos processus afin de pouvoir travailler à distance. Même si la construction demande aussi beaucoup d’administration, il faut heureusement reconnaître qu’une grande partie peut être gérée à distance.

Quelles compétences et qualités considérez-vous comme essentielles pour un leadership efficace ?

En ces temps dynamiques, l’agilité reste une compétence clé. La capacité d’anticiper et de s’adapter aux changements en gardant une cohésion d’équipe fait souvent la différence lorsque nous travaillons sur des projets complexes. L’aptitude à analyser les différentes situations, à maîtriser les risques, à prendre des décisions transparentes et surtout, à s’engager pour développer les compétences de ceux qui vous entourent fait un bon leader.

Quelles stratégies mettez-vous en œuvre pour promouvoir la diversité et l’inclusion sur le lieu de travail ?

Le secteur de la construction est souvent perçu comme le secteur pauvre en diversité de genre et où il est notamment difficile d’accueillir des personnes autrement capables. Cependant, cela est en train de changer grandement et nous en sommes fiers. Nous nous donnons les moyens d’encourager les femmes à rejoindre le secteur de la construction où elles ont pleinement leur place à tous les niveaux. En effet, il ne s’agit pas là de se cantonner aux métiers administratifs. Des chantiers aux bureaux, de l’ouvrière à la cadre supérieure, en passant par la cheffe de chantier, les femmes se distinguent par leur apport plus que positif à notre secteur. Pour cela, nous mettons régulièrement l’emphase dans toutes nos communications et campagnes de recrutement sur les nombreuses possibilités qui s’offrent aux femmes. Quant à l’inclusion, c’est un travail continu où nous arrivons chaque jour à avancer un peu plus. Nous sommes conscients que des améliorations restent à faire, que ce soit en termes d’accueil de personnes autrement capables, de personnes à différentes orientations sexuelles, de genre ou de communautés, et nous restons déterminés à avancer dans cette voie.

Quelles sont les perspectives de Transinvest sur l’avenir du travail dans l’industrie de la construction, en tenant compte des tendances émergentes telles que la numérisation et l’automatisation ?

Transinvest s’est déjà fortement engagée envers la numérisation et l’automatisation. Il est clair que l’avenir devra compter sur des méthodes de travail qui sont fortement dépendantes du numérique et de l’intelligence artificielle (IA). Les tableaux de bords dynamiques, le Business Intelligence, et l’IA sont au centre de nombreux ateliers de travail que nous avons aujourd’hui, et il est intéressant de constater que nous recrutons de plus en plus de développeurs en interne afin de répondre aux nombreux besoins digitaux de notre industrie. Nos conducteurs de travaux sont formés aux nouvelles technologies d’exploitation, aux avancées dans la recherche et le développement de nouveaux produits et méthodes constructives durables, au Building Information Modelling, à la réalité augmentée ou encore à la photogrammétrie, entre autres.

Quels sont les nouveaux défis pour les employeurs ?

Les défis se rejoignent sur plusieurs sujets dont majoritairement la santé au travail, la sécurité, l’environnement, l’évolution des nouvelles technologies ainsi que la formation. Les employeurs doivent s’adapter à la constante du changement et faire face au manque de main-d’œuvre qualifiée disponible. La compétition fait rage pour attirer et fidéliser les talents. Il appartient aux entreprises de se donner les moyens de convaincre et de bâtir un environnement de travail de qualité et inclusif afin de pouvoir accueillir les ressources humaines de demain.


Vingt ans à l’international

Julien Moutou est titulaire d’un diplôme en gestion des ressources humaines de la Curtin University of Technology, en Australie. Fort d’une expérience internationale de 20 ans à travers l’océan Indien, l’Afrique du Sud et l’Afrique de l’Est, dans divers secteurs tels que l’aviation, la construction, la finance et l’hôtellerie, il a rejoint Transinvest Construction Ltd en 2021 en tant que responsable des ressources humaines.