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Incursion dans l’univers de la BD en kreol morisien

23 février 2024, 21:00

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Incursion dans l’univers de la BD en kreol morisien

La semaine dernière, la bande-dessinée (BD) en kreol morisien «Goulous, Letan Margoz» a été lancée. Elle a été créée par le bédéiste Stanley Harmon, en collaboration avec Cynthia Pernet-Antoine, enseignante de kreol morisien, qui a travaillé sur les termes, et Alessandro Chiara, comédien, qui a participé à l’élaboration du scénario. Cette BD a été présentée par le Centre Nelson Mandela pour la culture africaine et créole dans le cadre de la commémoration du 189e anniversaire de l’abolition de l’esclavage. Stanley Harmon répond à nos questions et t’explique ce qu’est un bédéiste et quelle est l’importance de faire des BD en kreol morisien. Suis-nous dans cette aventure colorée.

C’est quoi un bédéiste? Est-ce que tout le monde peut le devenir ?

Je dirai que tout le monde peut le devenir mais que chacun a son style. Toutefois, il est important de suivre certaines règles propres à la BD. La BD c’est le neuvième art et pour moi, un genre littéraire à part entière. Il y a différents regroupements de règles: l’ordre de lecture d’un manga japonais est différent de celui d’un Marvel américain. Ne pas porter attention à cette différence, par exemple, pourrait nous faire lire l’histoire à l’envers. Mais les éléments de base sont là pour tous: des planches (pages), des cases, des bulles, des textes et des dessins organisés et traités de façon à susciter l’intérêt du lecteur. C’est de cette manière que l’on arrive à dire si on est bédéiste ou pas.

Vous êtes considéré par le Dictionnaire de la Bande Dessinée d’Afrique Francophone (2013) comme «le dessinateur du premier album édité en créole mauricien». Qu’est-ce que le fait de faire une BD en créole apporte de plus ?

C’est par passion que je fais de la BD, et qui plus est en créole, dans le cas de«Ze ek Melia» et «Goulous, Letan Margoz». La BD en général est un véhicule dynamique pour une langue maternelle et pour la culture d’un pays. Elle est une force. Le manga est identifié au Japon, tout comme les héros de Marvel (des BD au départ) sont identifiés aux Etats-Unis. Cela traverse nos écrans et même l’océan. Alors pourquoi pas nous ?

Pourquoi n’y-a-t-il pas plus de BD en kreol morisien ?

D’abord, être bédéiste à Maurice n’est pas un métier suffisamment rentable pour gagner son pain. Encore moins donc avec une BD en créole. C’est pourquoi il n’y a pas beaucoup de BD en kreol morisien. Faire de la BD a un coût. Faire une version album comme Tintin, par exemple, coûterait Rs 400 l’unité, voire plus. Puis, il y a la question de la culture : les Mauriciens n’ont pas le même engouement que les Japonais pour la BD.

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Quels sont les défis de faire une BD en kreol morisien ?

Pour faire une BD en général, on a besoin, au départ, d’un scénariste, d’un dessinateur et d’un correcteur. On peut être les trois à la fois mais ce n’est pas recommandé. Le défi, je dirai c’est le présent : trouver un standard linguistique propre à la BD mauricienne, qui se base sur l’orthographe du kreol morisien. La BD est un genre littéraire car elle a sa propre structure: discours direct, des onomatopées, entre autres, et parfois, essayer de faire tous les personnages parler dans une même langue alors qu’ils doivent être identifiés comme des étrangers par le lecteur n’est pas évident. Le défi est donc linguistique dans le sens qu’on découvre qu’on a des choix à faire. Chaque langue a, par exemple, des onomatopées qui lui sont propres. Prends le mot «slam» que j’accompagne avec une image de quelqu’un claquant la porte dans une BD anglaise. J’hésiterai forcément à l’utiliser pour le français, qui plus est, lui accorde une toute autre signification. Que diras-tu si c’est en créole ? On garde «slam» ou pas ? Et toi lecteur, qu’aurais-tu dit ?

À l’heure de la technologie, où le livre papier a tendance à céder la place au digital, quelle est la place de la BD et comment peut-elle aider l’enfant dans son apprentissage ?

La BD résiste au digital. Bien qu’elle soit présente souvent en format Pdf,par exemple, lire une BD ne se rythme pas à une lecture gauche-droite-gauche et verticale comme un roman ou un article de presse, par exemple. Un dessin peut-être à droite, ses bulles à l’extrême gauche ou encore la case, qui prend tout un espace et qui oblige le lecteur à zoomer, bouger, retourner pour pouvoir ‘lire’ l’image dans son ensemble et lire le contenu de la petite bulle ensuite. Et comme chaque planche (ou page) a sa propre structure, il est impossible de garder un ‘rythme de lecture’ sur son portable. La BD, selon moi, est incontournable pour un enfant. Ailleurs, nous avons des festivals de BD, le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, par exemple, parce qu’ailleurs, il y a une maîtrise de la langue maternelle autant que le dessin. Ici à Maurice, ce n’est pas une question de volonté de l’État mais de culture pas encore bien établie. Viendra le jour, et j’en suis sûr, d’un festival de BD à Maurice.


Stanley Harmon en bref

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Stanley Harmon est enseignant en arts plastiques dans un collège des Plaines-Wilhems. Il exerce cette profession depuis 1994. Le Dictionnaire de la Bande Dessinée d’Afrique Francophone indique en 2013 qu’il est «le dessinateur du premier album édité en créole mauricien : ‘Zistoir Ze ek Melia : lepok esklavaz’, publié en 2004». Outre d’être bédéiste, Stanley Harmon porte d’autres casquettes : il fait également de la peinture et a participé à des expositions. Il s’est également essayé au théâtre en écrivant «Rezistans» en 2005 et en réalisant «Agalega 1827» en 2009 et «Agalega 1806» en 2021. Et ce n’est pas tout car il s’est aussi lancé dans le cinéma en réalisant «Rays of life», une série, en 2023

L’histoire de «goulous, letan margoz»

Cette bande-dessinée a pour sujet le marronnage, qui sévissait au cours de la période française à Maurice. Pour cette histoire, Stanley Harmon a pris comme référence les noms de personnes qui ont vraiment existé à divers moments de notre histoire. L’histoire de «Goulous, Letan Margoz» raconte ainsi la fuite de Françoise, une esclavée. Elle est poursuivie par Madame Lavictoire. A travers cette histoire, le bédéiste te raconte comme les esclavés étaient traités et comment ils rêvaient d’un endroit où ils pouvaient se réfugier en toute liberté.