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Nécrologie
Ismet Ganti en a fini de bousculer les notions artistiques préconçues
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Nécrologie
Ismet Ganti en a fini de bousculer les notions artistiques préconçues

En 2023.
Art-choc, art-politique, art étendard de la pensée critique. Ismet Ganti inclassable. De toute façon pourquoi vouloir faire tenir un artiste pluridisciplinaire dans une case ?
6 février 1948–6 février 2025. Pour ses 77 ans, la semaine dernière, Ismet Ganti avait monté sa dernière exposition. Elle est visible au premier étage du Caudan Arts Centre jusqu’au 26 février. Quatre jours après le vernissage, Ismet Ganti, souffrant et assistant à cette ouverture en fauteuil roulant, nous quittait.
Sous le titre Pangée (référence au continent unique aujourd’hui disparu), l’artiste s’interroge et nous interroge. Levant le nez vers les étoiles et les sciences astronomiques pour mieux regarder l’humanité, la quête de savoirs scientifiques et l’avenir du monde. Pangée c’est le dernier legs de 55 ans de création, la première exposition d’Ismet Ganti datant de 1970. Avec son frère Firoz Ghanty, Ismet Ganti occupe une place à part dans le paysage culturel mauricien. Amis et artistes témoignent.
Son exposition «Pangée» se tient au Caudan Arts Centre. Il est parti pendant.
Amrita Dyalah : «Il a vendu mon premier tableau»
«C’est une beautiful soul de l’art contemporain qui a disparu. Son départ laisse un vide qu’il faudra beaucoup de temps pour combler. Ismet Ganti a permis à Maurice de découvrir ce que c’est que l’art contemporain. Personne ne savait ce que c’était. Ce sont les deux frères qui ont fait l’éducation des artistes au sujet de l’art contemporain.»
L’artiste Amrita Dyalah garde un souvenir impérissable de l’époque où il travaillait à la galerie municipale Max Boullé, à Rose-Hill. «Quatre fois par semaine, je passais du temps à l’atelier de Serge Constantin au Plaza.» Elle en profitait pour visiter les expos proposées par la galerie Max Boullé. Avant de participer à une expo collective dans cette galerie municipale. «Ismet m’avait encouragée dans la voie de l’art contemporain. Il m’a beaucoup aidée.» Mais surtout, «Ismet est la personne qui a vendu mon premier tableau. Li finn met enn bon lame. Depi sa zour-la mo vann tablo vini mem»
En 1996, au MGI.
Pourtant, au début, la première vente ne plaît pas à Amrita Dyalah. «J’avais signalé à Ismet Ganti que parmi mes tableaux, il y avait une huile qui n’était pas à vendre.» Mais c’est celui-là qu’Ismet Ganti a vendu. «Dimann mwa aster komie mo’nn vann sa tablo-la», lui lance Ismet Ganti pour la calmer. Avant de citer le chiffre de Rs 150, ce qui, autour de 1975, «est une petite fortune. À l’époque, pour Rs 300, on pouvait acheter un terrain de 100 toises», explique Amrita Dyalah. «Quand il a dit le prix, j’ai été choquée. Deswit li tir mo kas li donn mwa. Dans ces années-là, un tableau de Malcolm de Chazal se vendait à Rs 60 et une œuvre de Marcel Lagesse était à Rs 100.»
Ce souvenir, Amrita Dyalah dit l’avoir évoqué la semaine dernière avec Ismet Ganti. Elle souhaitait aussi lui parler de son nouveau projet. Mais la vie en a décidé autrement.
Jérome Boulle : «C’était l’époque où les fonctionnaires étaient des artistes pas des ronds de cuir»
«Indépendamment du départ d’Ismet Ganti, Pangée est vraiment une belle exposition, de standard international. Je trouve que l’artiste y a vraiment mis tout son cœur», souligne Jérome Boulle, journaliste, acteur et comédien. Pour lui, «l’ami» Ismet Ganti était «l’un des plus grands artistes contemporains». Il laisse une œuvre majeure dans le panorama artistique local.
Depuis l’Indépendance, Ismet Ganti est parmi ceux qui ont porté l’art mauricien, «avec une profondeur intellectuelle hors pair, même s’il n’était pas souvent reconnu». Jérôme Boulle conserve aussi l’image d’Ismet Ganti comme étant, «l’un des meilleurs guitaristes de rock». Le répertoire de Dire Straits et DeepPurple «n’avait aucun secret pour lui».
Il y a aussi Ismet Ganti le fonctionnaire, Welfare officer à la mairie de Beau-Bassin-Rose-Hill, dans les années 1970. Il s’occupait de la galerie Max Boullé. «C’était une époque où les fonctionnaires qui s’occupaient des arts ou des sports étaient avant tout des praticiens, des artistes, pas des ronds de cuir comme aujourd’hui», souligne Jérôme Boulle. «Si on avait continué à avoir ce type de fonctionnaires, nou ti pou lwin azordi».
Jérôme Boulle regrette aussi le départ d’une personnalité qui avait «le sens de l’amitié. Il était porteur d’une humanité dans ses œuvres».
Ismet Ganti salue Danielle Mitterrand en juin 1990, au MGI.
Nirveda Alleck : «Il ne s’est jamais conformé à quoi que ce soit»
Avec tristesse, l’artiste Nirveda Alleck trouve «tragique qu’un artiste qui avait encore autant d’élan pour réaliser des choses, mais dont le corps n’a pas suivi».
Ismet Ganti est un nom inscrit en toutes lettres dans l’histoire de l’art mauricienne. La chargée de cours, head du département Painting aux Beaux-Arts, du Mahatma Gandhi Institute (MGI), explique qu’Ismet Ganti appartient au mouvement postmoderne, avec son frère Firoz Ghanty. «Ils ont véritablement ancré l’art contemporain à Maurice.»
Comment ? En pratiquant la déconstruction, en perturbant les images préconçues de ce que c’était que le high art : les tableaux bien encadrés, accrochés dans des galeries. «Ils ont transformé la parole, l’image, l’idéologie politique pour qu’ils intègrent l’art, sans prétendre faire du high art.» Une mouvance qui a «résisté aux galeries, aux systèmes établis, aux normes». Si aujourd’hui, on comprend mieux que cette résistance fait partie de l’art contemporain, à l’époque où Ismet Ganti s’est lancé dans cette voie, «cela a fait un choc».
Nirveda Alleck poursuit l’analyse : «Pour sa génération, Ismet Ganti est un artiste avant-gardiste en continu. À aucun moment ne s’est-il conformé à quoi que ce soit.»
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