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Il avait dit

Ismet Ganti : «Les politiciens ont tort de penser que l’art est inutile»

16 février 2025, 17:00

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Ismet Ganti : «Les politiciens ont tort de penser que l’art est inutile»

En 2023 au Trianon Laboureurs Barracks.

Ismet Ganti ne s’est pas contenté de le dire. Il l’a fait. «Un artiste doit créer jusqu’à son dernier souffle.» Une conviction qu’il partageait en septembre 2019, à la faveur d’une expo et d’un concert de rock organisé pour les 50 ans du festival Woodstock 1969.

Des années hippies, il avait gardé les cheveux longs et les idées contestataires. Menant une carrière artistique ponctuée de polémiques percutantes et de solos qui interpellent. Le dernier en date lui a survécu. Intitulée Pangée, l’ultime exposition d’Ismet Ganti est toujours visible au premier étage du Caudan Arts Centre jusqu’au 26 février. Le Premier ministre adjoint, Paul Bérenger a assisté au vernissage de l’exposition. Quatre jours plus tard, le lundi 10 février, l’artiste pluridisciplinaire a définitivement posé le chapeau qui ne le quittait jamais. ismet.jpg Ismet Ganti en 2012.

Ismet Ganti avec un i. Il y tenait. Son nom Ganti, il l’avait mauricianisé. Marquant sa différence avec son frère artiste, Firoz Ghanty, son «jumeau philosophique», comme il l’appelait. Des frères que l’on reconnaissait de loin, à leurs silhouettes drapées dans des manteaux noirs, surmontées de chapeaux. Manière de dire qu’ils n’étaient d’aucune mode, d’aucune tendance. Ils avaient la parole parfois acide, toujours directe, tombant de leur barbe fournie. Leur posture nihiliste était éclairée par les yeux bleus perçants de Firoz Ghanty. Un phare dans le paysage artistique mauricien qui s’est éteint le 3 décembre 2019.

Après son duo artistique fusionnel avec son frère, Ismet Ganti avait élargi son cercle, participant à plusieurs expositions collectives. Comme en témoigne le bilan de sa dernière année. «Un artiste ne prend pas de retraite», affirmait le septuagénaire. 2024 a été hyperactive pour lui. Le 4 avril, Ismet Ganti était parmi les artistes invités par le ministère (alors celui des Arts et du patrimoine culturel) à participer aux consultations prébudgétaires. Consultations sur fond d’appel au boycott. Quelques jours plus tard, le 9 avril, le ministère des Arts et du patrimoine culturel lui décernait un Lifetime Achievement Award. Un honneur accordé à Ismet Ganti catégorie peinture, Henri Favory pour le théâtre, Jean-Claude Gaspard pour la musique et Pahlad Ramsurrun pour la littérature. A la clé, un chèque de Rs 250 000 et un trophée.

Deux mois plus tard – du 26 juillet au 14 août – Ismet Ganti est au catalogue de l’exposition collective KontanPorin, au Caudan Arts Centre. Une évidence, pour celui qui est reconnu par ses pairs comme un pionnier incontestable de l’art contemporain à Maurice dans les années 1970. L’an dernier, il a exposé avec d’autres qui se revendiquent désormais de la mouvance contemporaine jadis dérangeante. Ismet Ganti a partagé l’affiche avec Nirveda Alleck, Neermala Luckeenarain, Alix Le Juge, Nirmal Hurry, Nalini Treebhoobun, Mala Chummun Ramyead, Avilla Damar, Rishi Seeruttun, Salim Currimjee.

En novembre 2024, on retrouve Ismet Ganti à la galerie Imaaya dans un collectif qui fait honneur à la gravure. Pour occuper toute la place que mérite le médium de prédilection de Neermala Luckeenarain – qui depuis plus de 40 ans enseigne la gravure à l’école des BeauxArts du MGI – on retrouve des talents confirmés comme Ismet Ganti, Mala Chummun Ramyead et des talents émergents comme Arvin Ombika, Deepa Bauhadoor, entre autres.

Mais Ismet Ganti voyait beaucoup plus loin que ce fil tendu d’expositions. En 2019, il lançait : «L’industrie culturelle est presque inexistante à Maurice.» Son constat : plus de 50 ans après l’Indépendance, «Maurice n’a toujours pas de galerie nationale, ni de fonds d’art contemporain, ni d’orchestre national». Il ajoutait : *«Les politiciens ont tort de penser que l’art est inutile.» *Une remarque toujours d’actualité. Avec une galerie d’art nationale qui n’en a que le nom, sans espace d’exposition, sans collection et sans moyens substantiels pour des acquisitions.

Ismet Ganti avait côtoyé d’illustres prédécesseurs, en intégrant le département Welfare de la mairie de Beau-Bassin–Rose-Hill. «On était en 1968, j’avais 20 ans. André Decotter et Serge Constantin y étaient des responsables», se souvenait Ismet Ganti, ancien fonctionnaire municipal qui avait été responsable de la galerie Max Boullé. «C’était mon Bateau Lavoir», avait-il dit avec émotion. En référence à cette maison du quartier Montmartre, à Paris, qui avait vu passer dans ses ateliers Pablo Picasso, Henri Matisse, Guillaume Apollinaire ou encore Modigliani.

Avant 1982, le ministère des Arts et de la culture n’existait pas. «Ce qu’on avait commencé à faire, cela avait porté ses fruits. La National Art Gallery, même si elle n’a jamais fonctionné, a été créée», affirmait Ismet Ganti. Il restait optimiste.


Les polémiques

Les noms d’Ismet Ganti et de Firoz Ghanty – associés à la provoc’art – sont aussi synonymes de polémiques retentissantes. En 2015, ils ne cachaient pas leur mécontentement par rapport aux artistes représentant Maurice à la Biennale de Venise. Dans une tribune publiée dans Le Mauricien, ils exhortaient l’artiste Krishna Luchoomun, responsable de l’association pARTage de «répondre à cet Essentiel, c’est-à-dire sa participation en compagnie de sa femme, des membres de son association et de ses amis à la 56e Biennale de Venise». Au passage, ils signalaient : «Nous sommes catégoriques, Ismet Ganti n’était pas invité par Luchoomun pour Tabula Rasa, mais imposé par Fred Constant, alors conseiller culturel près l’ambassade de France!» Pour eux, le «plus triste c’est le contenu de cette participation faite de rafistolages de vieux machins, entre autres du linge étendu sur une corde, des nids d’oiseaux revus et corrigés pour illustrer leurs From one citizen you gather an idea. Quel citoyen et quelle idée ? C’est ça l’image, la vitrine de Maurice ? Il ne recule devant rien l’instit ! Il trouve ça historique ! AH ! Art Contemporain, que de crimes commis en ton nom !»

Sept ans auparavant, en octobre 2008, c’était la Triennale d’art contemporain organisée par la National Art Gallery (NAG) qui provoquait leur ire. Ils s’étaient joints à Fabien Cango, Neermala Luckeenarain, Mala Ramyead et… Krishna Luchoomun pour s’élever contre les conditions de participation à la triennale. Les frères avaient précisé avoir entré une action contre la NAG auprès de l’Independent Commission Against Corruption en 2005. «Depuis, nous avons rompu tout contact avec la NAG», avait précisé Ismet Ganti. «Pour rester cohérent, nous ne participons pas à la triennale et nous nous associons à d’autres artistes mécontents». Ajoutant que la triennale «aurait dû être une vitrine de Maurice, mais elle est cachée derrière un gros rideau». ganthy.jpg smet Ganti appelait son frère Firoz Ghanty (à g.) son «jumeau philosophique».


Lieux d’exposition atypiques

Artiste des galeries d’art ? Pas Ismet Ganti. Pour faire valoir l’art contemporain, l’artiste et son frère Firoz Ghanty ont tout au long de leur carrière choisi des lieux d’expositions atypiques. Ils ont été à la rencontre du public aux galeries Evershine. En 2001 c’était à l’hypermarché qui portait alors l’enseigne Continent. Ils ont exposé au Kitsch pub à Ebène, dans la maison familiale Ghanty à Cascavelle, Beau-Bassin ou encore à Mer Rouge.

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