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Budget 2025–26

J -1 : Lettre ouverte au Premier ministre et ministre des Finances

4 juin 2025, 05:35

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J -1 : Lettre ouverte au Premier ministre et ministre des Finances

M. le Premier ministre,

À quelques heures de la présentation du Budget 2025–26, que vous vous apprêtez à livrer en votre double qualité de Premier ministre et ministre des Finances, l’heure n’est plus aux promesses. Elle est à la vérité. La nation ne réclame plus de discours fleuris – mais des choix clairs, une ligne de conduite, une cohérence.

La dette publique s’élève à 91 % du PIB. Le déficit effectif flirte avec les 9,5 %. L’inflation est maquillée sous des moyennes nationales. Le déficit commercial a explosé à Rs 203,7 milliards. Mais ces chiffres ne sont que la surface visible d’un malaise plus profond : perte de capacité productive, désorientation stratégique, incohérence gouvernementale.

Et surtout, une gouvernance plombée par ses contradictions.

D’abord, un État qui dénonce son propre embonpoint tout en continuant à l’alimenter. Les ministères recrutent à tour de bras. Les conseillers spéciaux, les nominations politiques, les consultants pullulent pour cohabiter avec des fonctionnaires déjà en sureffectif. Pendant ce temps, le secteur public reste miné par l’inefficacité et l’absence d’évaluation. On parle de rationalisation. On pratique l’expansion.

Ensuite nous avons des entreprises publiques sous perfusion permanente. CEB, Air Mauritius, MBC, SIT, Rose-Belle Sugar Estate… la liste des gouffres budgétaires est longue. Malgré les restructurations promises, les garanties souveraines et les plans de sauvetage successifs, aucun assainissement sérieux n’a été engagé, hormis les licenciements de ceux recrutés à la dernière minute avant les élections. Le politique préfère l’attentisme électoral à la réforme structurelle.

Nous avons aussi une économie qui importe tout, mais ne produit plus rien. Le pays importe trois fois plus qu’il n’exporte. 80 % du PIB repose sur la consommation, dont 75 % de biens venus de l’étranger. Le secteur manufacturier local s’étiole. Pendant que le capital privé se jette sur l’immobilier de luxe pour étrangers, les zones industrielles tombent en ruine.

La fiscalité mauricienne reste aveugle à la richesse immobile. Pas de taxe sur le patrimoine. Pas de taxation réelle sur les plusvalues foncières. Et une MIC incapable de récupérer les milliards alloués à des groupes proches du pouvoir. Ce sont les PME et la classe moyenne qui paient la note. L’austérité est régressive. La justice fiscale, absente.

La rhétorique célèbre l’autonomie locale. Mais les dernières municipales ont montré le contraire. Les maires sont nommés à huis clos. Les conseils municipaux sont vidés de leur substance. Les ministères continuent de tout contrôler – budgets, nominations, décisions.

Tous ces contradictions et paradoxes traduisent une même incapacité : celle de choisir. Le gouvernement veut tout : des prestations sociales dignes de la Scandinavie sur une base fiscale africaine, le soutien du FMI et les applaudissements de la rue. Mais gouverner, c’est renoncer.

Monsieur le Premier ministre, vous l’avez dit : «Nous ne pouvons pas consommer la prospérité. Il faut la produire.» Ce Budget doit être le moment du sursaut.

Pas par des effets d’annonce. Mais par trois décisions fortes au moins.

1. Refaire de la production une priorité nationale.

Modernisez l’agriculture. Revalorisez l’enseignement technique. Investissez dans une industrie verte, tournée vers l’exportation et les chaînes de valeur régionales. Arrêtez de subventionner l’inutile. Orientez l’investissement public vers l’avenir.

2. Réformer la fiscalité avec équité et courage.

Il est temps de taxer les rentes : la terre, les héritages massifs, les plus-values immobilières. Introduisez une taxe sur la richesse, modeste mais transparente. Supprimez les exemptions obsolètes. Protégez les jeunes entreprises contre les monopoles d’hier.

3. Cibler les dépenses sociales.

Distribuer les mêmes allocations à tous est une hérésie. Un propriétaire côtier de Grand-Baie n’a pas les mêmes besoins qu’une mère célibataire à Vallée-Pitot. Utilisez les données. Visez les résultats. Établissez un pacte d’équité, pas d’égalitarisme vide.

Les marchés observent. Moody’s a déjà son stylo rouge à la main. Un déclassement ferait flamber les taux, plomber la roupie et affoler les capitaux. Le monde devient protectionniste. L’accord AGOA vacille. Face à cela, n’optez pas pour le repli.

Maurice s’est construite sur l’ouverture. N’abandonnez pas cet héritage au profit de subventions clientélistes. Tenez bon. Expliquez les réformes. Et assumez-les. Car ce qui est en jeu, ce n’est pas que le Budget. C’est la confiance.

Aujourd’hui, le gouvernement parle avec plusieurs voix. L’un promet des milliers d’emplois. L’autre dit que les caisses sont vides. Cette cacophonie est toxique.

Le peuple mauricien peut comprendre l’effort. Il ne pardonnera pas l’ambiguïté.

Monsieur le Premier ministre, ce mandat ne peut pas ressembler aux précédents. Les slogans ne suffisent plus. Il faut dire non – clairement et fermement :

• Non à l’endettement irresponsable.

• Non aux illusions fiscales.

• Non aux allocations universelles qui arrosent les riches.

Mais aussi dire oui :

• Oui à l’emploi des jeunes.

• Oui à l’industrie verte.

• Oui à la justice fiscale.

• Oui à une gouvernance tournée vers l’avenir.

Votre propre programme promet 7 % de croissance annuelle et douze réformes structurelles. Donnez-lui des dents. Donnez-lui du courage. Donnez-lui une vérité budgétaire.

Le moment est implacable. Mais il n’est pas sans espoir. Si vous gouvernez avec rigueur et que vous parlez vrai, vous pouvez restaurer ce qui compte le plus : la confiance.

Celle des marchés. Celle des citoyens. Celle du pays.

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