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Interview
Jacques Maunick : «Je suis un type très simple, mais je passe pour une terreur»
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Interview
Jacques Maunick : «Je suis un type très simple, mais je passe pour une terreur»

Jacques Maunick, spécialiste des médias
Une biographie pour raconter les nombreuses vies de Jacques Maunick. C’est sous le titre «Un électron libre» que la biographie de l’homme des médias a été lancée, le vendredi 18 juillet dernier au Hennessy Park Hotel. L’ouvrage est signé Anuradha Deenapanray.
🔵 Avez-vous dit toute la vérité dans la biographie lancée le vendredi 18 juillet dernier ?
À 99 % oui. Je ne parle pas de ma vie privée. Je n’en vois pas l’intérêt. Anuradha (NdlR : Anuradha Deenapanray, auteure de la biographie) a enfin réussi à me convaincre.
🔵 Après quinze ans, c’est ça ?
Vingt ans, même. Depuis que je suis venu prendre ma retraite à Maurice, certains journalistes, que je ne citerai pas, sont venus me voir pour écrire ma biographie. Je leur ai dit que «ça ne m’intéresse pas du tout». Je n’ai pas d’ego surdimensionné. Je ne me regarde pas le nombril dans un miroir.
🔵 Pourquoi avoir dit oui à Anuradha Deenapanray ?
Je lui ai dit oui, parce qu’elle me connaît depuis longtemps. Elle connaît en partie ma vie à Paris. En France, elle est venue chez moi. Elle n’était pas seulement la journaliste que j’ai un peu formée au début des années 2000 à la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC), qui me suit et qui m’est toujours reconnaissante de tout ce que je lui ai appris.
🔵 Ce n’est pas une fierté qu’une journaliste que vous avez formée raconte des parties de votre vie ?
Dans le contexte mauricien, il y a tellement de génies, tellement de personnes qui se prennent pour… pas des donneurs de leçons, mais qui sont des grosses têtes. Je suis gentil là. Je ne suis pas du tout comme ça. Contrairement à l’image que les gens ont de moi. Les jeunes ne connaissent pas Jacques Maunick, mais les gens d’une certaine génération. Ceux qui savent qu’entre 1973 à 1978 j’étais professeur au Lycée Labourdonnais. Ceux qui savent que j’ai fait une émission qui s’appelait Télescope à la télévision mauricienne, une fois tous les mois.
🔵 À l’époque où il n’y avait qu’une seule chaîne?
Une seule chaîne en noir et blanc. Cette émission a eu un impact incroyable parce que j’abordais des thèmes dont on ne parlait pas en direct à la télé.
🔵 La politique ?
Je suis toujours resté loin de la politique. L’émission parlait de la prostitution, les femmes battues. J’ai fait un numéro sur les autobus sales, qui font beaucoup de fumée. C’était des sujets que les gens n’avaient pas l’habitude d’entendre. Il y avait des questions de téléspectateurs prises par des gens que j’avais amenés à la MBC. (NdlR : en aparté) La confiance règne. Je posais des questions que l’homme de la rue avait envie de poser.
🔵 C’était votre ligne éditoriale?
Ma ligne éditoriale, c’était de me faire l’interprète du grand public.
🔵 Une ligne qui traverse tout votre parcours journalistique ?
C’est ce que je faisais quand j’étais à Radio France Internationale (RFI) dans l’émission Contact inter-îles océan Indien. Ça n’avait rien d’intellectuel. Regardez les articles que j’écris dans l’express. C’est très simple, les phrases sont très courtes. La première leçon qu’on doit enseigner dans une école de journalisme, c’est d’être simple, concis et précis.
Pour RFI, où j’ai travaillé pendant une vingtaine d’années, j’ai eu l’occasion d’aller en Afrique. J’étais d’abord animateur, producteur, ensuite cadre supérieur, responsable d’un certain nombre de magazines pendant une quinzaine d’années entre 1980 et 1995. Je suis revenu en 1995 à Maurice parce que Jean Claude de l’Estrac m’a dit : «À La Sentinelle, on veut faire une radio». Je suis revenu à Maurice, mais nous avons fait chou blanc parce qu’à l’époque, le gouvernement n’a pas libéralisé les ondes comme c’était prévu. Pendant cinq ans, j’ai fait un peu de formation. J’avais aussi fait, pas un gadget, mais une tentative : Net Radio One.
🔵 L’ancêtre de Radio One…
L’ancêtre de Radio One. C’était une tentative. Et en même temps, ça formait quelques personnes. Arrivé le moment où tout était prêt, j’ai dit que je ne voulais pas être le directeur de cette radio.
🔵 Pourquoi ? Il n’y a pas grand monde qui refuse des postes de direction.
Je commençais à être âgé déjà (NdlR : Jacques Maunick a aujourd’hui 82 ans). J’étais en mauvaise santé, depuis 1987, où j’ai été hospitalisé pendant un mois dans un grand hôpital en France. Avec du diabète, de l’hypertension, de la dépression. Mais ne dramatisons pas. Je n’ai pas besoin d’étaler mon bulletin de santé. Par la suite, on a fait appel à moi à la MBC. C’est marrant de retrouver la station après tant d’années. J’ai passé environ deux ans et demi à la tête de la radio à la MBC. Il n’y avait pas de directeur de la radio à l’époque. C’était un énorme guêpier. La première chose que j’ai faite en arrivant, c’est de faire changer les toilettes.
🔵 Un directeur de radio qui ne parle pas de grille de programmes mais de toilettes ?
Oui. La deuxième chose que j’ai faite changer, c’est la discothèque. Il y avait même des bandes d’archives qui traînaient par terre. Il y avait des boîtes en carton bourrées de 78 tours. Un trésor ! On s’apprêtait à les jeter. J’ai fait stopper ça net. Je ne sais pas ce que c’est devenu après moi.
Ces deux ans et demi à la MBC, ça a été vraiment jouer au balayeur. J’ai lancé Taal FM. Ça s’appelle Taal parce que j’ai adoré la musique de ce film (NdlR : sorti en 1999) qui était extraordinaire. J’ai revu le film trois ou quatre fois pour sa musique.
🔵 Vous avez eu plusieurs vies. Laquelle a été la plus dure ?
J’ai quitté Maurice au milieu des années 60, je suis allé à la Sorbonne, j’ai fait la licence et la maîtrise. Je voulais absolument faire un doctorat sur la soul music. Malheureusement, il fallait que je gagne ma vie. En 1969, j’ai habité pendant plus de quatre ans des chambres de bonne qui font à peu près quatre mètres par quatre mètres. Sans ascenseur, sans chauffage, sans toilettes, sans salle de bain, sans cuisine. Il y avait un lit, un petit lavabo et une armoire. Le soir, j’étais discjockey dans une des plus grosses boîtes black de Paris, au Palais Royal, en face de la Comédie-Française. À l’époque, Poiret et Serrault jouaient La Cage aux folles en face.
🔵 C’est cette vie-là que vous vous voyez bien revivre ?
Être disc-jockey dans une boîte black, ce n’est pas glamour du tout. Ça commence à 22 heures, ça se termine à 5 h 30 du matin. Tous les jours, y compris le dimanche après-midi. Et quand j’avais fini à 5 h 30 du matin, j’allais dormir deux heures. Après, je redevenais enseignant dans un cours d’enseignement privé au noir, mal payé. C’est une des raisons qui a ruiné ma santé.
Je n’avais pas une seconde pour écrire. J’ai fait ça pendant quatre ans, de 1969 à 1973, pour gagner ma vie. J’en parle parce que les gens pensent qu’aller à Paris, à la Sorbonne, waouh! La Sorbonne, c’était bien parce que j’habitais chez mon frère Édouard qui me logeait, me blanchissait, me nourrissait. Il vivait dans un petit deuxpièces dans le 19e arrondissement avec sa femme et son enfant qui venait de naître. Ça n’a pas été facile. Je regrette de n’avoir pas pu faire cette thèse sur la soul music.
Par contre, pour la maîtrise, j’ai fait un mémoire sur Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre où je démolis ce qu’on pense d’un certain nombre de choses. Bernardin de Saint-Pierre, vous savez pourquoi il a été renvoyé de Maurice ? Personne n’en parle. Il a harcelé Mme Pierre Poivre qui n’en pouvait plus et qui l’a dit à son mari, qui l’a viré. Bernardin de Saint-Pierre, c’est un grand auteur raté. Il se prenait pour l’héritier de JeanJacques Rousseau. Mais là, on est en train de comparer un éléphant avec une boîte d’allumettes.
🔵 C’est une référence à Maurice.
On érige beaucoup de statues aux pieds d’argile. Quand j’ai fait la licence, il y avait trois certificats qui étaient obligatoires. Littérature française, langue française, une langue étrangère, j’avais pris l’anglais, évidemment. Et il y avait un quatrième qui était un peu libre. C’est là où j’ai étudié la phonétique de la langue créole. J’ai fait un mémoire sur les sons français qui ont disparu dans la langue créole.
Votre recueil d’expressions «Lalang pena lezo» a fini par devenir une référence, à la faveur de la polémique autour de l’utilisation de «Manz bondie kaka diab». Avec le recul, qu’est-ce que cela vous inspire ?
Quand j’ai voulu faire Lalang pena lezo, tout le monde m’a découragé. On m’a dit : «pa pou vande sa». On m’a conseillé d’écrire sur la musique. Quand un auteur mauricien vend 400, 500 exemplaires, il ouvre la bouteille de champagne. Quand on a sorti Lalang pena lezo en 2018, ça s’est très peu vendu. Avec le bouche-à-oreille, à ma grande surprise, on en a vendu presque six mille copies. Ça c’est une information. On me demande de rééditer.
🔵 Vous avez dit oui ?
Je réfléchis, parce que tout ça coûte de l’argent. Jacques Maunick n’a pas de sponsor.
🔵 Cette vie à rebondissements, pourquoi c’était important de la raconter ? Pour laisser une trace ?
Anuradha, à force de me bousculer, m’a dit : «Mais les gens ne savent pas tout ce que tu as fait en Afrique, par exemple. Les gens ne savent pas que tu as interviewé James Brown, que tu as pris le petit déjeuner avec Carlos Santana, que tu as interviewé Fela Ransome-Kuti qui a inventé l’Afrobeat, que tu as assisté à un des tout derniers concerts de Jacques Brel, que tu es entré à l’Olympia dans les coulisses de Brel et de Piaf. Que tu as rencontré beaucoup d’artistes africains : Touré Kounda, Youssou N’Dour, Salif Keïta, Pierre Akendengué du Gabon. Je peux continuer encore comme ça».
J’ai travaillé à France Musique comme coproducteur d’un magazine sur les musiques traditionnelles du monde entier. J’ai fait un album dans la collection Ocora. C’était le temps des 33 tours. D’un côté, il y avait le séga ravanne de la troupe Kassambo, enregistré une nuit, live. De l’autre côté, du séga tambour de Rodrigues et des romances. Je n’ai aucune prétention à laisser une trace. La seule chose que j’ai à dire, c’est que, des huit enfants de ma famille, je suis le seul à avoir eu la chance de faire des études universitaires. Édouard n’a fait que la Senior (NdlR : SC) J’ai eu une autre chance, c’est que je n’ai jamais dans ma vie postulé pour un poste.
🔵 Comment vous avez trouvé du travail ?
Il faut que vous me disiez : Qu’est-ce que vous avez choisi ? De disc-jockey, comment je suis devenu cadre, producteur, journaliste à RFI ? C’est parce que Françoise Ligier (NdlR : journaliste et productrice de radio) et d’autres personnes de RFI m’avaient entendu faire des petites émissions musicales. Ils sont passés à Maurice et ils ont vu Télescope. Ils m’ont dit : Mais qu’est-ce que tu fous là ? Viens avec nous à RFI. Tout a toujours été comme ça.
🔵 Votre vaste culture musicale, elle vient d’où ?
Savez-vous que j’ai appris la musique classique indienne à Paris, pas à Maurice. À Maurice, on croit que les dolok distribués avant les élections, c’est de la musique classique indienne. Vous avez entendu parler de Subramaniam ? Le violoniste carnatique. Il a fait un concert à Paris. Je l’ai présenté à France Musique. Quand on parle de moi, on parle de musique.
🔵 Ça vous déplaît?
J’ai fait une licence et une maîtrise en lettres. J’ai été professeur de français, de littérature française, de phonétique. Tout ça, c’est moi aussi. Tout autant que la musique. Tout autant que ma culture cinématographique. J’ai fait des choses inattendues.
🔵 On vous qualifie aussi de «grande gueule». Ça vous va ?
Ce sont les gens qui ne me connaissent pas. Je pourrais être prétentieux. J’étais cadre supérieur à RFI à Paris pendant vingt ans. Jacques Maunick, c’est un type très simple, très humble, très sentimental, très romantique. Et je passe soi-disant pour une terreur.
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