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Kronik KC Ranzé

J’ai honte… et pourtant…

20 avril 2025, 05:00

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J’ai honte… et pourtant…

J’ai honte !

J’ai honte d’être citoyen d’un pays qui aurait délibérément assuré le «trimming and cooking of data… to convey a false sense of economic progress». Ainsi, la croissance du PIB a été volontairement surestimé par 2,8 points ou Rs 36,3 milliards, le déficit budgétaire est bien plus important qu’annoncé, la CSG est, en vérité, déjà déficitaire de Rs 9 milliards en 2024-25 avant même que la population ne vieillisse plus et la dette nationale, loin de baisser comme on l’a prétendu, serait, tout bien pesé, de 90 %+ du PIB ! J’ai honte que personne ne soit tenu responsable pour ce tripatouillage des statistiques, ni ceux qui donnent les ordres, ni d’ailleurs ceux qui s’y plient…

J’ai honte de faire partie d’une ‘humanité’ qui kidnappe et tue des Israéliens un certain 7 octobre 2023 et qui, en revanche, écrase et tue immodérément depuis, dans l’enclave de Gaza. Sans oublier les exactions et les injustices d’Israël en Cisjordanie ! J’ai honte du cas soudanais, déjà vingt fois la proie de tentatives de coups d’état et victime de 58 ans de guerre civile depuis son indépendance en 1956, un pays où la société civile et innocente ne respire plus, même au Sud Soudan où les chefs de guerre Kiir et Machar, ne s’entendent toujours pas.

J’ai honte d’être dans un pays, dont le Gouverneur de la Banque centrale déclare avoir subi (et a cédé à ?) des pressions ministérielles alors qu’il est supposé être indépendant de toute pression politique. J’ai aussi honte qu’un directeur du MIC, Deputy Governor de surcroît, puisse affirmer avoir subi les mêmes pressions et que le CEO de la même organisation, qui est aussi supposée être indépendante, y compris de son actionnaire exclusif, ne dit pas différemment ! Quand le CEO de l’EDB, confirme la même configuration, on se retrouve devant deux thèses : soit ils conspirent tous à salir l’ex-ministre des Finances avec des allégations malveillantes, soit le ministre tentait vraiment de dicter ses choix souvent malsains. Dans les deux scénarios, ma honte ne serait pas moindre, mais dans le premier, il resterait toujours à comprendre à qui bénéficierait les «Rs 300 millions de plus que prévus». Il est clair que seul un audit trail exhaustif, qui suivrait l’argent à la trace, pourrait nous mener à établir les motivations des uns et des autres et… à la vérité.

J’ai honte que mon pays n’ait toujours pas assuré un service 24/7 d’eau à sa population, malgré des promesses grandiloquentes et des dépenses substantielles, réussissant même, du coup, à augmenter le pourcentage de perdition dans la tuyauterie de distribution d’eau traitée de 58 à 62 % en une décade. Il tombe pourtant, en moyenne, DEUX MÈTRES d’eau sur le pays chaque année et nous ne mobilisons que seulement 8 % de cette pluie pour la consommation humaine, ayant alors le culot incroyable d’en perdre presque 2/3 dans les tuyaux !

J’ai honte de faire partie d’une humanité, qui peut générer les Khmers rouges du Cambodge, qui est capable de répandre 20 millions de gallons du défoliant ‘Agent Orange’ au Vietnam et qui peut aussi, au 21e siècle supposément respectueux des frontières existantes, remettre en question celles de l’Ukraine au nom d’un ‘ancien empire’ russe. Ce précédent ne pourrait-il pas d’ailleurs aiguiser l’appétit de la Chine à dénoncer la perte de la Mandchourie-Extérieure qu’elle fut obligée de céder en 1860, dans sa faiblesse d’alors, après les guerres d’opium ? Ce précédent n’est-il pas aussi à la base de l’appétit délirant de Trump pour le Groenland et le Canada, comme 51e état des États-Unis ? Des frontières neuves, au gré des plus forts, c’est le modèle de nos futurs ?

J’ai honte de la gestion de certains corps paraétatiques que l’on a laissé pourrir tout doucement, de manière irresponsable. Le Sugar Insurance Fund Board qui perd Rs 150 millions par an et qui doit Rs 1,6 milliard ; la Waste Water Management Authority qui croule sous des dettes de Rs 4,4 milliards et des pertes de Rs 443 millions ; la CWA qui doit Rs 3,9 milliards, la STC qui perdait Rs 4,3 milliards pour les 24 mois au 30 juin, devant alors à cette date, Rs 4,1 milliards net ; le CEB qui saigne… Qui va payer ? Les responsables, vous croyez ?

J’ai honte que BBC World, MW 1575, ne peut plus être, une fois encore, relayé par Multi Carrier, cette fois-ci depuis deux semaines ! À la place : de la neige… C’est pour refroidir la fin de l’été ?

J’ai honte de constater à quel point le système d’éducation national est peu productif, avec 70% des enfants inscrits au primaire ne finissant pas leur secondaire. Un autre tuyau qui fuit beaucoup ! Pour rajouter à la honte, rappelons le pass rate de 2,15 % à l’Extended Program après 5 ans d’études de supposé «rattrapage», le pass mark que l’on tripote assez libéralement pour améliorer les pass rates et la claque cinglante de la Banque mondiale dans son rapport de 2023, qui citait l’unique participation du pays au test PISA de l’OCDE, en 2009, nous classant à 90 points sous la moyenne mondiale, ce qui équivalait à trois ans d’écolage en moins ! Pourtant, le pays participera à l’exercice PISA 2025, nous dit l’OCDE, ce qui démontre un début de grand courage !

J’ai honte de la légèreté avec laquelle l’ordre économique mondial peut être explosé au prétexte que son membre le plus puissant et le plus riche se dise «exploité» par le reste de la planète. J’ai honte du cynisme avec lequel le produit des tarifs enclenchés sera surtout mobilisé pour payer des cadeaux fiscaux renouvelés aux multimilliardaires existants et que, pour tout couronner, cette initiative sera aussi aux dépens des filets de protection des moins fortunés.

J’ai, plus généralement honte de la polarisation de la fortune et des inégalités de plus en plus criardes. Si la globalisation a sorti plus d’un milliard d’humains de la pauvreté absolue, le nombre de pauvres est, selon Oxfam (*), resté stable alors que les milliardaires (en dollars) voyaient leur fortune augmenter par $ 2,000 milliards en 2024, soit 3 fois plus rapidement qu’en 2023.

Les 1 % possèdent 50 % des richesses mondiales. Pas acceptable !

J’ai honte des politiciens qui, comme Trump ou Lesjongard, utilisent l’expression «chasse aux sorcières» à tort (**), ce terme étant réservé aux innocents que l’on condamne par hystérie, plutôt que ceux que les pistes ou les faits dénoncent.

J’ai honte de la détérioration de la qualité de nos lagons, des coraux mourants, de la surpêche, de la pollution désinvolte. J’ai honte de l’état de nos rivières, souvent utilisées comme des dépotoirs de circonstance. J’ai honte de nos habitudes de consommation qui canalisent tant de déchets vers Mare-Chicose. J’ai honte de notre incapacité de concrétiser ne serait-ce qu’une partie de nos ambitions déclarées d’atteindre 60 % d’énergie renouvelable en 2030, tout en éliminant l’usage du charbon. Pour le moment, nous marchons à reculons…

J’ai honte des valises bourrées d’argent qui n’ont plus de propriétaires tellement ceux-ci en ont déjà ! J’ai honte de la suffisance qui mène à Ascot ; qui fait construire un bâtiment de Rs 238 millions à Addis-Abeba, pourtant pas au goût de monsieur l’ambassadeur ; qui pompe le MIC et autres de prêts de faveur ; qui aurait fait croire à un directeur qu’il n’a point besoin de déclarer son conflit d’intérêt ; qui anime un PM à dépenser Rs 5 milliards d’équipements hypersophistiqués pour espionner son peuple…

J’ai honte de mes congénères qui martyrisent ou maltraitent les Rohingyas ou les épris de liberté au Myanmar, les Kurdes en Turquie ou en Syrie, les Ouïghours en Chine. J’ai honte que plus de la moitié de la planète (91 pays sur 179, représentant plus de 72 % de la population mondiale, selon VDem 2025 (***), est aujourd’hui sous le joug de régimes autocratiques où les libertés individuelles sont éreintées par des régimes les uns plus contraignants que les autres. En tête d’affiche, la Chine, le Vietnam, l’Iran (****), La Russie (****), le Myanmar, l’Arabie saoudite, l’Afghanistan, le Venezuela (****), le Soudan…, une liste que Trump s’efforce activement de vouloir rejoindre ? Espérons sans succès !

Et pourtant, il faut ici reconnaître une forte raison de fierté récente. Mondialement, il y a eu 61 élections générales différentes en 2024, avec 50 pays ne changeant pas leur trajectoire démocratique, alors que sept changeaient négativement et seuls quatre bifurquaient vers une amélioration. Mon île est apparemment de ces quatre-là avec le Botswana, le Sri Lanka et la Tchéquie ! Ce réveil démocratique est sûrement salutaire, un troisième mandat invitant probablement à continuer le cheminement vers plus de centralisation des pouvoirs, vers le dévoiement accéléré des opérations parlementaires, vers le pillage plus régulier et insistant des caisses d’argent public, vers encore plus de tripotage de la comptabilité nationale, de népotisme et de favoritisme. Le peuple a voté contre et c’est assainissant. Il y a cependant maintenant un prix à payer pour échapper aux illusions et à la honte dont on a hérité. C’est de reconnaître la vérité et de confronter la réalité !

(*) Takers, Not Makers: The unjust poverty and unearned wealth of colonialism

(**) L'express.mu l Kronik KC Ranzé : On patauge, on patauge…

(***) Democracy report 2025 : 25 Years of Autocratization – Democracy Trumped?

(****) Des élections s’y tiennent, mais ne sont pas nécessairement ‘libres’

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