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Questions à... Mario Ramsamy, artiste

Mario Ramsamy : «J’ai payé le billet d’avion de Joëlle Coret pour qu’elle défende les droits des musiciens»

6 mars 2025, 06:38

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Mario Ramsamy : «J’ai payé le billet d’avion de Joëlle Coret pour qu’elle défende les droits des musiciens»

■ Joëlle Coret a fait la première partie d’Émile et Images en novembre 2022, en Belgique

Loin des yeux, près du cœur. Le refus du ministère des Arts et de la culture de payer un billet d’avion pour que Joëlle Coret, présidente de l’Union des artistes, assiste au prochain congrès de la Fédération internationale des musiciens, à Genève, n’a pas laissé insensible l’artiste Mario Ramsamy. Le vendredi 28 février, il lui a offert le billet d’avion. Joint au téléphone en France, il explique son geste.

Pourquoi avez-vous décidé d’aider Joëlle Coret ?

Je ne la connais que depuis peu. Elle a eu des ennuis de santé récemment ; je lui ai donné un coup de main pour s’en sortir. À partir de là, nous avons tissé un lien fraternel.

Elle avait fait la première partie d’Émile et Images en novembre 2022, en Belgique.

C’est là que je l’ai rencontrée pour la première fois. J’ai décidé de produire un album pour elle parce qu’elle est armée culturellement. Elle a un regard humain sur la résilience des Mauriciens. Elle est la présidente de l’Union des artistes. Il faut vraiment en avoir pour présider ce groupe où trois-quarts des membres sont des mecs. Peut-être que c’est un sentiment féminin en moi, mais j’ai voulu l’aider de tout mon cœur.

Vous dites que Joëlle Coret est «armée culturellement». Qu’est-ce qui vous touche dans son travail ?

Les textes qu’elle écrit. Il y a beaucoup d’humanisme, d’amour, de compassion concernant l’état de notre «mauricienneté».

C’est pour cela que vous allez payer son billet d’avion pour qu’elle assiste au congrès de la Fédération internationale des musiciens en Suisse, en juin ?

C’est fait (NdlR, le vendredi 28 février). Elle a reçu son billet il y a environ une heure.

L'express (620 x 330 px) (11).png Mario Ramsamy, artiste.

À Maurice, il a été question de contributions, mais vous avez payé l’intégralité du billet de votre poche ?

Oui (un temps de silence. Mario Ramsamy est sous le coup de l’émotion. Il poursuit après quelques instants). Tout cela me renvoie à mon départ de Maurice en 1974-5. Mo ti enn artis morisien sorti site Rosbwa. J’ai compris que je ne pourrais pas faire de la musique à Maurice. Je venais de regarder Mike Brant, Frédéric François et tant d’autres artistes français à la télévision. J’étais enfant et je voulais faire comme eux. J’ai la musique mauricienne dans le sang même si je n’ai pas beaucoup pratiqué le séga. J’ai tout fait pour partir, via le Club Med. J’ai eu cette chance-là.

Quelle est la chance d’un artiste mauricien aujourd’hui de pouvoir s’exprimer ailleurs qu’à l’île Maurice ? Participer à The Voice ? Pour moi, c’est un dé pipé à l’avance. Quelle est sa chance de s’exprimer, si son pays ne lui donne pas les moyens de le faire ? Comme j’ai pu m’expatrier en France, le pays m’a donné un droit d’expression. Je suis né à Maurice avec un certain talent dans le ventre. Si j’ai pu m’exprimer dans la langue que je voulais, c’est parce qu’on est pluriculturel à Maurice.

Pourquoi Joëlle Coret ? C’est parce qu’elle réunit tous ces critères. C’est pour cela que je compte produire un album pour elle, qui sera en français, anglais et en kreol, pour emmener Joëlle Coret là où je rêve qu’elle soit.

Qu’avez-vous pensé du refus du ministère des Arts de subventionner ce billet d’avion ?

(Il rit à gorge déployée) Je suis loin de la politique mais je suis un observateur. Ces dix dernières années, à Maurice, il y avait beaucoup de difficultés pour réaliser les projets. C’était assez fermé. Aujourd’hui, il y a un gouvernement qui a gagné parce qu’il a prôné le changement. Mon rêve était que ce gouvernement fasse un geste vis-à-vis des artistes mauriciens. Qu’est-ce qu’il y a aujourd’hui pour protéger les artistes ? Il n’y a pas une Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM).

■ Il y a la Mauritius Society of Authors (MASA) et ses problèmes. Voilà. Vous savez ce qui m’a sauvé ? Quand j’ai quitté le Club Med, j’ai travaillé pour une boîte française pendant dix ans. J’ai eu des fiches de paie. Le Club Med avait aussi payé des redevances à la SACEM, ce qui fait qu’à mon arrivée en France, j’ai pu m’y inscrire pour avoir droit à une petite pension, à des moyens de vivre la vie européenne.

Il y a le régime d’intermittents du spectacle où les établissements pour lesquels travaillent les artistes, contribuent à la SACEM, qui nous reverse des droits humains. Il y a un modèle social pour les musiciens en France : un salaire quand ils ne travaillent pas, une retraite.

Quel est le modèle social pour les musiciens à Maurice ? On s’étonne que ce pays aille mal. Qu’est-ce qui fait qu’on chante ? C’est la misère. C’est le pays dans lequel on vit qui fait qu’on chante. Cela vient de la nuit des temps, de l’esclavage, de toute cette souffrance. On chante pour effacer nos misères. Quelles sont les conditions autour pour soulager cette souffrance ?

Ce que vient chercher Joëlle Coret avec la Fédération internationale des musiciens, c’est une condition sociale pour que les musiciens mauriciens puissent vivre de leur art. J’en ai tellement souffert en tant que Mauricien. La souffrance que j’ai en ce moment, c’est quand je me demande comment fait un Mauricien qui a du talent pour survivre face aux musiques du monde entier. Pour moi, l’île Maurice représente le monde entier. Aujourd’hui, je suis dans une phase où je me demande ce que que je peux faire pour que mon pays avance culturellement.

Après 35 ans dans le showbiz français, à un niveau incroyable, je n’ai plus rien à prouver. Restons sur Joëlle Coret. Elle est jeune, mère de famille, donc responsable. Elle ne cherche pas à gagner la considération de qui que ce soit au niveau du gouvernement. Elle se bat pour que les droits des musiciens mauriciens soient respectés.

Vous avez collaboré avec plusieurs artistes mauriciens. Cela s’est bien passé ?

Nul n’est prophète dans son pays. J’ai travaillé avec Zulu, Denis Azor, à travers DJ Assad.

Linzy Bacbotte aussi.

Oui. Chaque artiste qu’on vient de citer a la tête dans son propre bocal. C’est difficile de voir ce que fait l’extérieur pour vous. Je ne demande pas de reconnaissance. Je ne demande rien du tout puisque je n’ai rien à prouver. Je l’ai fait parce que je suis Mauricien. À travers eux, j’ai voulu dire aux Mauriciens que je sais aussi chanter le séga.

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