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Budget 2025-26

Jean Claude de l’Estrac : «Le ministre des Finances devrait être à l’écoute et améliorer ses propositions»

12 juin 2025, 12:00

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Jean Claude de l’Estrac : «Le ministre des Finances devrait être à l’écoute et améliorer ses propositions»

Une semaine après la présentation du Budget 2025-26, quel est, à votre avis, le climat dans le pays ?

Pas de surprise ! Compte tenu de la rupture que le discours du Budget exprime - de la distribution de cadeaux au resserrement des prébendes - il est compréhensible que les contribuables ruent dans les brancards. Compréhensible mais pas totalement justifié.

La plupart des mesures annoncées s’expliquent par la nécessité impérieuse de redresser une économie nationale au bord de l’effondrement au bout de dix années d’une démagogie budgétaire débridée, qui a poussé les contribuables à s’attendre à toujours plus de bénéfices. L’ancien ministre des Finances n’a jamais admis qu’en fait il faisait dépenser à l’État de l’argent que nous n’avions pas. L’heure de vérité a sonné. C’est l’honneur de ce nouveau gouvernement de prendre les taureaux par les cornes au prix de sa popularité.

Cela dit, on peut débattre du bien-fondé de certaines des mesures annoncées.

Du prolongement de l’âge de la retraite par exemple ?

Oui et non. Oui parce qu’il est de bon sens de repousser l’âge de la retraite d’une population qui affiche aujourd’hui une bien plus longue espérance de vie que celle qui prévalait quand l’âge de la retraite avait été fixé à 60 ans. L’espérance de vie était alors de 65 ans. Elle est aujourd’hui de 77 ans pour les femmes et de 71 ans pour les hommes. La pyramide des âges s’est inversée.

Sur le plan économique, avec le vieillissement de la population, cela veut dire, si le statu quo est maintenu, que les contributions récoltées des actifs ne pourront plus assurer une pension aux générations futures. Trop peu d’actifs pour de trop nombreux seniors pendant très longtemps. Le compte n’y est pas. C’est aussi simple.

Et pourquoi non ?

En raison du raisonnement de nombre de contribuables, qu’il existe une catégorie de personnes exerçant des métiers pénibles, qui mériteraient de partir plus tôt à la retraite que ceux qui sont bien mieux lotis. Je partage ce sentiment. Et je pense que le gouvernement devrait l’entendre.

On comprend la difficulté de cerner le profil de ceux qui devraient en être exemptés et le risque de surenchère, mais je suis certain que si le gouvernement devait faire, en la circonstance, un geste d’empathie, cette réforme pourrait mieux passer. Il existe déjà dans le système une formule de dérogation pour les employés qui tombent dans la catégorie des Disciplined Forces. Ils peuvent obtenir leur pension plus tôt s’ils ont fait 25 ans de service. C’est un principe de différenciation, et quelque part de ciblage. L’ancien premier ministre, Pravind Jugnauth, alors ministre des Finances, avait, à juste raison, évoqué la nécessité de ce ciblage dans son discours du Budget en 2005 déjà.

Un discours du Budget n’est pas inscrit dans le marbre. C’est pourquoi d’ailleurs notre démocratie prévoit des débats parlementaires permettant l’analyse critique des mesures proposées. Les parlementaires, même quand ils sont de la majorité, devraient pouvoir faire remonter vers l’exécutif les réactions de leurs mandants. Et le ministre des Finances devrait être à l’écoute, et le cas échéant, améliorer ses propositions sans nécessairement diluer la stratégie budgétaire. Ce qui est vrai pour les parlementaires l’est autant pour tous les contribuables.

Est-ce que cette question de pension est la seule mesure controversable ?

Bien sûr que non. J’entends des réactions négatives dans divers milieux : les entrepreneurs, en particulier les petits ; les commerçants, notamment les concessionnaires de voitures ; les investisseurs, en particulier les promoteurs immobiliers surendettés… Il y en a d’autres certainement. C’est normal, pour ceux-là c’est effectivement ser sintir.

Mais il faudrait éviter l’asphyxie. Dans lequel cas, le gouvernement se tirerait une balle dans le pied. Il réduirait les perspectives de croissance et prendrait le risque de ne pas atteindre ses objectifs, peut-être trop ambitieux, d’accroissement de revenus. Le ministre des Finances n’avait pas beaucoup de choix, c’est vrai, mais dans l’exécution des mesures, quand les critiques sont justifiées, le gouvernement devrait faire montre de flexibilité.

Que pensez-vous de toutes les mesures annoncées concernant l’intelligence artificielle, l’économie bleue, les énergies renouvelables, la recherche ?

Je les achète. Mais j’aurai un conseil : ne jamais lâcher la proie pour l’ombre. Ces ambitieux projets seront longs à se matérialiser. Dans la plupart des cas, ils nécessitent des investissements colossaux, des technologies et un savoir-faire que nous n’avons pas. En attendant, il est impératif de consolider l’existant. L’histoire économique de ce pays s’est construite, au fil des années, par l’ajout de nouveaux piliers en maintenant toujours l’existant.

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