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Judiciaire : réformer sans dériver
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Judiciaire : réformer sans dériver
En 2016, le gouvernement mauricien, alors dirigé par l’Alliance Lepep, avait tenté d’instaurer une Prosecution Commission dans le but de restreindre les prérogatives du Directeur des poursuites publiques (DPP) d’alors, Mᵉ Satyajit Boolell. L’initiative, pilotée par Pravind Jugnauth, soulevait de sérieuses inquiétudes quant au respect du principe de séparation des pouvoirs, en plaçant un organe constitutionnel indépendant sous supervision politique indirecte. Face aux critiques internes, au retrait du PMSD de la coalition et à la pression de la presse et des citoyens, le projet fut abandonné. L’équilibre démocratique fut provisoirement rétabli.
Neuf ans plus tard, un schéma similaire semble se dessiner. Le contexte est différent, mais les dynamiques institutionnelles restent inquiétantes. Le gouvernement actuel évoque la création d’une nouvelle juridiction d’appel, distincte de la Cour suprême, alors que la cheffe juge, Rehana Mungly-Gulbul, est perçue comme pouvant être en décalage avec les intérêts du pouvoir exécutif. Des déclarations du nouvel Attorney General laissent entendre que des magistrats étrangers pourraient siéger au sein de cette nouvelle instance. Une telle évolution s’écarterait sensiblement des garanties constitutionnelles établies.
Le parallèle avec 2016 est saisissant : à l’époque, il s’agissait de reconfigurer l’espace judiciaire pour neutraliser un DPP perçu comme trop indépendant. Aujourd’hui, c’est le sommet de l’autorité judiciaire qui pourrait être visé si on ne fait pas attention. Dans les deux cas, l’architecture institutionnelle est remaniée non en fonction d’objectifs systémiques, mais pour répondre à des considérations politiques circonstancielles.
Pourtant, les principes de prudence, de transparence et de consultation avaient été clairement énoncés dans les rapports Mackay (1998) et Sachs (2001), deux documents de référence sur la réforme judiciaire à Maurice. Le rapport Mackay recommandait la création d’une section d’appel au sein même de la Cour suprême, compétente pour entendre les appels issus des juridictions inférieures et des tribunaux spécialisés. Cette Cour d’appel devait, selon Mackay, être exclusivement composée de juges en fonction : le/la Chief Justice, le/la Senior Puisne Judge et trois juges parmi les plus anciens de la Cour suprême. La Commission Sachs partageait cette position, insistant sur le mérite, la compétence et l’expérience du droit mauricien mixte (common law et droit civil) comme critères de nomination. Aucun des deux rapports n’envisageait le recours à des juges étrangers ou retraités sous contrat.
La Constitution mauricienne renforce cette position. L’article 10 garantit à tout justiciable le droit à un procès équitable devant une juridiction indépendante et impartiale. L’article 80(3), quant à lui, prévoit que les juges d’appel doivent provenir de la Cour suprême. L’introduction de juges contractuels ou étrangers risquerait de compromettre la perception d’impartialité, essentielle à la légitimité de l’appareil judiciaire.
L’ancien juge Vinod Boolell l’a rappelé dans une interview de l’expressdimanche : «Justice should not only be done, but should manifestly and undoubtedly be seen to be done.» L’indépendance ne se décrète pas, elle se constate, à travers des procédures, des nominations et des structures qui assurent l’absence d’ingérence.
La justice ne peut être instrumentalisée à des fins de règlement de comptes. Toute réforme motivée par des considérations personnelles – même déguisées en volonté de modernisation – affaiblit durablement l’État de droit. En 2016, le sursaut institutionnel fut possible grâce à un retrait politique stratégique et à une mobilisation démocratique. En 2025, la vigilance doit rester de mise.
Il ne s’agit pas de rejeter toute réforme du système judiciaire. Au contraire, une modernisation équilibrée, fondée sur les rapports d’experts et intégrée dans un dialogue institutionnel respectueux, est souhaitable. Mais cette modernisation doit se faire dans le respect de la hiérarchie constitutionnelle, de l’indépendance fonctionnelle des juges et de l’intégrité des rapports entre les pouvoirs.
En définitive, toute réforme qui vise à contourner la Cour suprême ou à marginaliser son autorité affaiblit la cohérence institutionnelle de Maurice. En manipulant la structure judiciaire pour des objectifs politiques à court terme, on court le risque de créer un précédent dangereux pour l’avenir. La démocratie repose sur un équilibre fragile : dès qu’un pouvoir tente de subjuguer les autres, c’est l’ensemble du régime qui vacille.
Il appartient aujourd’hui aux acteurs politiques, aux juristes, à la presse et au reste de la société civile de rappeler que les institutions ne doivent pas être taillées à la mesure des gouvernements de passage, mais consolidées pour durer.
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