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Interview de...
Kaviraj Sukon : «Il faut que l’enseignement supérieur devienne un pilier de notre économie»
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Interview de...
Kaviraj Sukon : «Il faut que l’enseignement supérieur devienne un pilier de notre économie»

Après avoir dirigé l’Open University, Kaviraj Sukon est désormais ministre chargé du portefeuille de l’enseignement supérieur. Il revient sur un secteur qui a été mis de côté pendant des années, sa vision pour rehausser le niveau des universités, la place de l’intelligence artificielle… et ses dépenses électorales.
Quel est votre constat depuis que vous êtes en poste ?
Ce n’est pas un secteur que je découvre. J’ai commencé ma carrière en tant que chargé de cours à l’Université de Maurice en 1994. C’est un secteur qui a été négligé. C’est d’ailleurs l’une des rai- sons m’ayant poussé à quitter le monde académique pour me lancer en politique. Savezvous qu’en 10 ans, il n’y a eu que trois ou quatre rencontres avec les responsables des universités ? Un des changements que j’ai déjà commencé à mettre en œuvre ce sont les rencontres régulières avec les universités pour comprendre leurs problèmes et trouver des solutions ensemble.
Quels sont ces problèmes ?
Le gouffre financier dans lequel nos institutions publiques se retrouvent est inquiétant. L’Open University est financièrement indépendante, mais les autres ont des ardoises très lourdes.
Auparavant, ce ministère était intégré à celui de l’éducation. Quelle est la logique derrière cette séparation ? C’est justement parce que le secteur a été négligé ! Il n’y avait que très peu d’interactions entre les autorités et les acteurs. Puis, il n’y a eu ni branding, ni marketing de l’éducation supérieure. A l’étranger, personne ne sait ce que nos institutions offrent. Pourtant, dans plusieurs pays, à l’instar de l’Angleterre, l’Australie et la Malaisie entre autres, l’enseignement supérieur est devenu un pilier de l’économie. Il faut que l’enseignement supérieur devienne un pilier de notre économie.
Donc, l’internationalisation est l’une des pistes pour sortir du rouge ?
Nous avons commencé cet entretien sur une note négative. Rattrapons cela. Nos universités publiques ont des personnes extrêmement compétentes et qualifiées. Les infrastructures sont de qualité. Malheureusement, tout cela n’a pas été exploité. Il y a une raison bien précise pour laquelle l’internationalisation figure parmi nos priorités. Dans les années 2000, le pays comptait environ 30 000 élèves qui passaient les examens du CPE. Aujourd’hui, les chiffres du PSAC sont clairs. Il n’y a eu que 13 500 élèves l’année dernière. Or, notre système d’éducation supérieure a été conçu pour en accueillir le double. En termes de place, nous avons ce qu’il faut. Puis, nous avons des universitaires à Maurice qui sont classés parmi les 50 premiers au niveau mondial. Nous comptons mettre tout cela en valeur.
Il faut aussi sortir des sentiers battus de l’internationalisation. Evidemment, notre souhait est que les étudiants viennent faire tout leur cursus aussi, ce qui non seulement aiderait les universités financièrement, mais aiderait aussi à refaire l’image du pays comme une destination d’enseignement supérieur. Mais il y a aussi ceux qui ne peuvent pas payer tout le cursus dans une université réputée en Angleterre ou au Canada ou en France pour être chère. Donc, ils peuvent venir faire une ou deux années ici et compléter ailleurs. Il y a les programmes d’échanges à ne pas négliger, où des étudiants viennent faire un ou deux semestres ici. On a déjà travaillé dessus puisque le premier contingent d’étudiants pour ce programme arrive de l’IIM Sirmaur de l’Inde en mars.
Mais on ne peut pas parler d’internationalisation sans tout ce que cela implique, comme le logement…
Il n’y a pas que le logement. Il y a tout l’écosystème à créer. Il y a le visa, le système de santé et les assurances. La liste est longue. Un comité est en train d’être créé pour travailler sur tous ces aspects de l’internationalisation. Concernant le logement, l’UoM a un projet de résidence pour les étudiants. Par la suite, lorsqu’il y aura un flux d’étudiants, il y aura forcément des inves- tisseurs qui vont créer des logements pour eux. Puis, je fais encore une fois un appel aux Mauriciens qui ont de la place chez eux. Louez aux étudiants étrangers. C’est de cette manière que nous avons pu étudier à l’extérieur, nous.
De plus, Maurice a l’avantage d’être un pays paisible qui figure parmi les choix de nos voisins qui ont certes de bonnes universités, mais où les tensions font que la vie est dangereuse. Cependant, ne nous faisons pas d’illusion sur l’internationalisation. Ceux qui ont les moyens choisiront toujours les pays comme l’Angleterre ou l’Australie. Nous, nous voulons attirer la classe moyenne, que ces familles incluent Maurice dans leur liste lorsqu’elles font la sélection.
Qu’en est-il des étudiants mauriciens ? Est-ce qu’il y a un plan pour les retenir ?
C’est la même configuration. Les familles qui ont les moyens choisiront les universités étrangères. Nous sommes très conscients de cela. Quant à ceux que nous voulons retenir, nous leur disons la même chose. Les étudiants peuvent faire une ou deux années ici, et compléter le cursus ailleurs.
Au-delà de l’internationalisation, vous avez d’autres pistes pour redresser la situation financière des universités publiques ?
J’ai totalement confiance en notre personnel et nos infrastructures. C’est la gestion qu’il faut revoir. Je vous donne un exemple concret. Je ne suis pas d’accord qu’un lecturer qui a atteint le niveau de professeur soit contraint d’enseigner les premières années. S’il souhaite le faire, il n’y a pas de souci. Mais quelqu’un qui a atteint le niveau de Professor doit avoir son propre centre de recherche et de consultation. Il doit pouvoir ramener de l’argent, il doit pouvoir diriger les thèses des doctorants. Il doit être une personne qui aide l’université !
Vous parlez de recherches. C’est un secteur qui a toujours été négligé dans l’éducation supérieure. Vous avez un plan pour la relance ?
C’est déjà en action. Nous travaillons sur la mise sur pied d’un comité sur la recherche. Ce sera le National Committee on Research Strategy. Comme c’est un segment qui a été négligé, nous avons été un peu stricts dans sa composition. Des chercheurs mauriciens de renom, qu’ils exercent à Maurice ou ailleurs, en font partie.
Je profite pour expliquer notre vision de la recherche. Comme nous sommes très en retard, nous ne pouvons pas nous éparpiller. Ce comité a pour but d’identifier les filières dans lesquelles nous allons nous focaliser. Nous voulons que dans 15 ans, Maurice soit reconnu dans le domaine. Maintenant pour arriver à cela, il y a des changements à apporter au système. Le Research Grant Scheme doit être revu. La Higher Education Commission (HEC) ainsi que le Mauritius Research and Innovation Council (MRIC) ont des fonds pour les chercheurs. Nous essayons de voir comment continuellement rendre ces fonds plus importants.
Avoir des papiers académiques est très bien, mais il y a beaucoup de chercheurs qui déplorent le fait que les conclusions finissent sous la poussière dans les tiroirs…
Parlons de la recherche appliquée. J’en ai parlé dans plusieurs de mes discours récents. La HEC finance les recherches fondamentales. La MRIC est plus tournée vers les recherches appliquées, qui donnent des solutions. Les deux sont également importantes car si les universitaires ne font pas de recherches fondamentales, il n’y aura pas de formule à appliquer. Durant les 10 dernières années, le nombre de patentes déposées a été pitoyable. C’est cela aussi que nous devons booster.
Dans le manifeste électoral, il y avait la promesse de créations de nouveaux secteurs, dont l’économie bleue. Or, il n’y a pas de formation universitaire pour ce domaine. Comment concilier les promesses avec la réalité ?
L’Open University avait lancé un cours sur l’économie bleue en collaboration avec la Commission de l’océan Indien (COI). En amont, il y avait eu des rencontres avec l’Université de Pretoria et l’Université Nelson Mandela, qui sont des experts dans le domaine. Mais il n’y a pas eu d’intérêt. Par contre, nous avions eu beaucoup d’étrangers. Cependant, cela ne veut pas dire que nous n’irons pas dans cette direction. J’ai déjà commencé les pourparlers avec des universités qui ont l’expertise requise dans les recherches dans ce domaine. Un projet que nous avons déjà envisagé est une étude sur les micro-plastiques dans nos eaux.
Je profite aussi de l’occasion pour demander aux industries d’ouvrir leurs portes aux étudiants pour la formation et la recherche. A Maurice, le lien entre les industries et les universités n’est pas très fort, mais c’est nécessaire. Un étudiant en ingénierie n’aura jamais accès aux produits et équipements des usines s’il n’y a pas cette collaboration. En même temps, cela aidera à la recherche.
Les idées sont là, mais les universités publiques ont souvent été pointées du doigt. Est-ce possible d’arriver à rehausser le niveau en gardant la même méthode de gestion des universités publiques ?
La discipline n’est pas un choix. Sans discipline, nous n’irons nulle part. Je sais de quoi je parle. A l’Open University, nous avions com- mencé de zéro, et j’ai quitté une institution financièrement indépendante. C’est la gestion qu’il faut revoir.
Concrètement, cela implique quoi ?
Prenons l’exemple des achats. On reçoit une plainte que la clim ne marche pas dans une classe. Si l’université la remplace sans passer par un appel d’offres, elle sera accusée d’avoir favorisé un fournisseur. Elle ne peut pas le faire. L’appel d’offres peut prendre plusieurs semaines, voire des mois. Mais les étudiants, eux, souhaitent que cela soit réparé le lendemain. Je comprends les deux. Donc, c’est le système qu’il faut changer. Nous irons vers le même procédé que le ministère des Infrastructures publiques. Il y aura un appel pour des fournisseurs, qui seront sélectionnés par un comité. Les universités pourront acheter directement auprès d’eux. Comme les achats seront collectifs, le prix sera moindre. Le temps d’attente sera aussi moindre. C’est cela que je dis lorsque je parle de changement dans la gestion. La transparence va assainir le système.
Parlons éducation. Quel est votre point de vue sur les trois «credits» pour accéder en HSC ?
Avec l’ancien système, la scolarité d’un élève s’arrêtait s’il avait trois credits. Ce résultat était une condamnation. Ce gouvernement a décidé de lui donner une nouvelle chance. Mais il ne faut pas oublier, et là, j’insiste dessus, que deux A Levels sont obligatoires pour accéder à l’université. Ce n’est pas tout. Il y a des cours comme la médecine et la loi qui requièrent de meilleurs résultats car il y a les règlements d’autres instances comme le Medical Council. Je tiens à lancer un appel aux parents pour se renseigner sur les demandes de ces instances qui règlementent certains domaines professionnels afin de ne pas avoir de problèmes à la fin des études.
Venons-en à la position de l’UoM dans le classement de QS World University Rankings…
Je ne suis pas là pour entrer dans ce jeu de classements. Je connais la recette par cœur. Elle a été appliquée à la National University of Singapour, qui, aujourd’hui est dans le Top 10 mondial. La même recette a été appliquée à l’université de Technologie de Singapour. Pour y arriver, il faut un financement soutenu, pendant au moins une dizaine d’années, d’environ Rs 800 millions par an. Nous n’avons pas les moyens.
Une autre critique récurrente vient du Council for Vocational and Legal Education concernant les études de droit, qui évoque une dissonance entre les cours dispensés à l’Université et l’examen du barreau.
Je ne pense pas que nous parlons de la même chose. Un LLB permet aux étudiants d’avoir une bonne base de la loi. L’examen du barreau, c’est pour devenir un professionnel. Prenons un exemple. En LLB, il y a un module de Criminal Law. Mais au barreau, il y a Criminal Procedure. Le Criminal Law donne une formation solide et permet de comprendre la théorie. Criminal Procedure, de l’autre côté, forme à l’application réelle de la loi. Les deux sont importants. Cependant, le point soulevé reste valide. Si les deux sont alignés, cela aidera les élèves. Dans ce cas, il faudra voir comment revoir les programmes d’études.
En 2025, il y a de plus en plus de demandes pour les cours en ligne. Est-ce une modalité de dispenser des cours qui sera développée ?
Rien ne sera imposé, mais nous allons encourager les universités à avoir plusieurs modes d’enseignement. Cela passe par un bon Learning Management System (LMS) et un Student Information System efficace. L’Open University a les deux, mais c’est le seul. Il faudra doter les autres d’un système similaire.
Mais ma vision ne s’arrête pas là. Aujourd’hui, l’évaluation du niveau d’un étudiant est faite pendant les examens. Pourquoi ne pas utiliser l’intelligence artificielle pour comprendre les faiblesses et les corriger avant les examens ? Par exemple, si l’étudiant ne se connecte pas sur le LMS pendant un certain temps et ne consulte pas les notes mises en ligne, il sera alerté, ainsi que son chargé de cours. Lorsque l’alerte est lancée et qu’il dit qu’il a des difficultés avec un chapitre en particulier, c’est l’IA qui va le guider et lui suggérer où trouver ses réponses. Bon, on est loin de cela, mais cela ne coûte rien de rêver.
Justement, l’IA est un sujet qui divise le monde universitaire. Estce que ce sera réglementé à un moment ?
La HEC prépare des guidelines, plus spécifiquement pour ChatGPT et autres outils du même type. Il y aura des consultations élargies avec toutes les parties prenantes du secteur avant. Personnellement, lorsque j’ai vu le démarrage de ChatGPT, j’étais sceptique, mais aujourd’hui, je suis enclin à dire qu’il faut permettre son utilisation à un certain niveau.
Aujourd’hui, il y a deux extrêmes. Il y a des universités qui ne donnent plus d’assignments et qui sont retournées vers les contrôles en classe. Cela élimine tota- lement l’utilisation de l’IA. A l’autre extrême, il y a celles qui encouragent son utilisation. Les assignments contiennent les questions à poser à ChatGPT. Avec les réponses, l’étudiant formule ses propres réflexions et analyses. Cela permet donc d’avoir beaucoup d’informations en peu de temps. Mais je le dis encore une fois, la décision ne viendra pas de moi, ce sera collectif.
Un autre problème qui gangrène le secteur est le trafic de visas pour permettre aux travailleurs étrangers de venir. Vous en avez entendu parler ?
Nous allons être intransigeant dessus. Cette pratique entache notre réputation en tant que centre d’enseignement supérieur, et rien n’a été fait pour y mettre un frein pendant 10 ans. Je lance un avertissement à tous ceux concernés. Nous allons être très sévère dessus.
Venons-en à la politique, et à vos dépenses électorales. Vous vous défendrez comment si votre élection est contestée ?
J’ai toujours cru en une chose : lorsqu’on décide de faire un bon travail, nous sommes aidés par le Ciel. Imaginez-vous ce qui se serait passé si le MSM avait remporté les élections. Nous n’aurions jamais su dans quelle situation économique le pays est et nous serions aujourd’hui un junk country. Plus d’investissements ! Je pense que nous avons fait un bon travail, nous avons été honnêtes. Nous sommes là pour aider le pays, et nous mènerons la mission à bien.
Parlons de ce travail alors. En 100 jours, comment voyez-vous le bilan du gouvernement ?
Je vais prendre un seul exemple. Il y avait une dévaluation terrible de la roupie. En 100 jours, nous avons mis un terme à cette dégringolade. Je ne dis pas que nous avons remonté la pente, mais au moins la chute a été stoppée. C’est ce que nous faisons dans tous les secteurs. Maintenant, il faut réparer les maux.
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