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Questions à…
Kevin Ramkaloan : «Sans cadre national adapté, l’économie en otage des intempéries»
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Kevin Ramkaloan : «Sans cadre national adapté, l’économie en otage des intempéries»

Kevin Ramkaloan, Chief Executive Officer de Business Mauritius.
Les décisions prises dans le sillage de l’alerte des fortes pluies, le 30 avril, ont occasionné une cacophonie dans le pays. Rappelant que Business Mauritius n’a pas le pouvoir d’exiger que les entreprises du privé renvoient leurs employés chez eux en cas d’alerte de pluies fortes ou torrentielles, Kevin Ramkaloan, son Chief Executive Officer, estime qu’il est urgent de revoir en profondeur le cadre national d’observation et de gestion du mauvais temps.
🔵Lors de l’épisode de fortes pluies du 30 avril dernier, il semble y avoir eu beaucoup de confusion quant à la réponse du secteur privé, et Business Mauritius, en particulier, a été la cible de critiques. Que s’est il passé exactement ?
Le 30 avril, alors que la matinée avait été marquée par des communications et des informations rapides et changeantes, une décision unilatérale, prise pour les employés de la Fonction publique, a laissé place au flou quant aux employés du privé, et c’est vers Business Mauritius que plusieurs se sont tournés. Cet épisode est venu mettre en exergue des lacunes dans notre approche nationale face à des épisodes météorologiques incertains.
Plusieurs aspects de cette journée méritent une attention particulière. D’abord, le système d’alerte et les décisions subséquentes ont illustré une réactivité qui demande à être revue : en quelques heures, nous avons eu droit à un avis de fortes pluies, puis torrentielles, une décision isolée pour la Fonction publique, suivie d’un ordre de fermeture généralisé, et finalement la levée des alertes peu après 15 heures, malgré les prévisions matinales d’une dégradation météorologique dans l’aprèsmidi. Cette chronologie met en lumière l’urgence de repenser en profondeur notre cadre national d’observation et de gestion face aux intempéries.
«Ce qui fonctionne pour un bureau ne fonctionne pas pour une usine. Ce qui est possible pour un développeur informatique ne l’est pas pour un employé de la construction.»
Il faut aussi clarifier le rôle de Business Mauritius dans ce contexte. En tant que représentant de la communauté des affaires, et non organe de régulation, Business Mauritius ne peut ordonner la fermeture des entreprises. Selon les directives officielles de l’État, notre rôle, lors d’une alerte météorologique, est d’activer notre protocole de Heavy Rainfall. Cela se traduit par une communication rapide et continue avec nos membres et le déploiement de leurs protocoles internes, élaborés en fonction de leurs spécificités sectorielles. La diversité de la communauté des affaires implique des impératifs opérationnels variés. Si les décisions prises par les différentes entreprises ont pu effectivement paraître discordantes par rapport à celles de l’unique employeur de la Fonction publique, le fait demeure que les spécificités de chaque secteur d’activité ne rendent pas possible une décision uniforme pour tous.
À présent, l’heure est à l’action. Il faudra travailler en collaboration afin d’établir un système national agile, qui prenne en compte les réalités climatiques, ainsi que les spécificités de nos secteurs public et privé.
🔵Dans quelle mesure le cadre juridique actuel fournit-il des directives claires pour les opérations du secteur privé pendant ces événements météorologiques extrêmes ? Y a-t-il un «flou juridique», qui contribue à l’incertitude actuelle et aux réponses variées des entreprises ?
Soyons directs : notre cadre légal actuel face aux intempéries est insuffisant, surtout vis-à-vis des pluies torrentielles, un phénomène croissant à Maurice. Conçu principalement pour les cyclones, il manque des directives adaptées à ces épisodes soudains, intenses et brefs. Le rapport commandé par Business Mauritius, suite aux événements des cyclones Belal et Candice, l’a mis en évidence : une majorité d’entreprises a rencontré des difficultés dans l’application des directives existantes autour des avis de fortes pluies.
En ce qui concerne les situations qui mettent en péril la sécurité des citoyens, une clarification des directives au sein du cadre national est impérative. Si Business Mauritius n’a pas le pouvoir d’ordonner des fermetures d’entreprises, cette prérogative relève exclusivement du bureau du Premier ministre, sur avis du National Emergency Operations Command (NEOC) et du National Disaster Risk Reduction Centre, et n’est justifiée qu’en cas de risque national, impliquant une fermeture généralisée. L’incohérence devient cependant, évidente lorsqu’une décision d’autoriser les employés du secteur public à rentrer chez eux est prise tandis que le secteur privé reste dans l’expectative.
Il est impératif d’adapter nos systèmes à nos réalités. Intégrer la technologie, notamment l’intelligence artificielle (IA), pour des prévisions en temps réel, est crucial. Nos consignes de sécurité doivent évoluer en fonction des épisodes climatiques spécifiques. Le Canada offre un modèle éloquent : lors de pluies torrentielles intenses mais de courte durée, la recommandation est de rester sur place jusqu’à la fin de l’épisode critique afin d’éviter les déplacements dangereux et les embouteillages, qui entravent les secours.
🔵Peut-on dire qu’il y a eu un échec de communication, que ce soit de la part de Business Mauritius, des autorités gouvernementales, ou des deux, qui a exacerbé la confusion au sein du public et du secteur privé ? Où pensez-vous que la communication a échoué et comment peut-elle être améliorée ?
Concernant la communication avec ses membres, Business Mauritius a rigoureusement suivi son protocole de Heavy Rainfall : informations relayées et contact constant maintenu. Conformément aux directives, les Heavy Rainfall Committees ont déployé les dispositifs de sécurité, télé-travail et logistique définis selon les risques, plaçant la sécurité des employés au premier plan. Durant la matinée, de nombreux retours indiquaient l’activation du télétravail et d’horaires flexibles, certaines opérations réaménagées tandis que d’autres entreprises maintenaient leurs activités avec les mesures adéquates.
Si la communication avec nos membres a été fluide, une extension efficace au public et au privé aurait été cruciale. Une coordination accrue inter-gouvernementale est impérative pour une communication unifiée. Nous regrettons vivement la non-convocation de Business Mauritius aux réunions du NEOC, contribuant à un déficit d’informations essentielles entre les secteurs. L’implication des entreprises au NEOC dépasse les intempéries, lors de crises majeures, elles ont été des partenaires actives.
La communication reste cruciale en urgence : au-delà des alertes, fournir des directives opérationnelles en temps réel via la technologie est essentiel. Business Mauritius réitère sa pleine disposition à collaborer pour un système de communication performant et rapide.
🔵Le public a l’impression qu’il y a deux poids, deux mesures, les employés du secteur public restant chez eux tandis que les employés du secteur privé sont contraints de travailler. Que répondez-vous aux accusations de traitement inéquitable et quelles mesures peuvent garantir l’équité dans les situations futures ?
Je comprends parfaitement la frustration que suscite cette perception d’iniquité et il est important d’aborder cette question de front. D’abord, rendonsnous à l’évidence qu’il se répand une perception erronée de la réalité des secteurs d’activités publics et privés, et que la comparaison directe entre les secteurs public et privé est parfois faite de manière simpliste. Les deux secteurs sont extrêmement divers, et cette diversité se manifeste même de manière différente. Le secteur public, bien qu’ayant un employeur unique, comprend également des services essentiels, qui continuent à opérer, même lorsque le service civil se voit accorder un jour de congé par cause d’intempéries.
Le secteur privé présente une hétérogénéité bien plus marquée. Nous parlons de plus de 30 000 employeurs et près de 500 000 employés, répartis dans une multitude de secteurs aux contraintes spécifiques. Des services essentiels comme la distribution alimentaire, la santé, et les télécommunications ont des responsabilités publiques directes. Parallèlement, des industries telles que l’exportation, l’agroalimentaire, et le tourisme opèrent avec des impératifs de délais, de péremption, et d’accueil client. À l’opposé, des domaines comme l’Information Technology et la finance bénéficient d’une plus grande flexibilité grâce au télétravail.
Cette hétérogénéité fondamentale du secteur privé rend impossible l’application d’une directive unique. Ce qui fonctionne pour un bureau ne fonctionne pas pour une usine. Ce qui est possible pour un développeur informatique ne l’est pas pour un employé de la construction. C’est cette réalité que nous devons tous comprendre, et c’est cette réalité que les protocoles nationaux doivent refléter.
Il est primordial de mettre en place des mesures qui reconnaissent et respectent cette diversité intrinsèque. Cela inclut l’élaboration de protocoles plus nuancés, tenant compte des spécificités sectorielles, la facilitation du télétravail lorsque cela est viable, des modalités claires pour la gestion des congés liés aux intempéries, et surtout, une communication transparente pour justifier les décisions prises. Les Heavy Rainfall Committees, mis en place par les entreprises guidées par Business Mauritius, ont précisément pour vocation de répondre à cette hétérogénéité – chaque entreprise et secteur d’activité adaptant sa réponse aux annonces météorologiques de manière appropriée.
L’objectif ici est de mettre en place un système qui protège tous les employés, tout en permettant à l’économie de fonctionner de manière réaliste et efficace. Cela exige une approche collaborative et une volonté politique forte, mais aussi une compréhension approfondie des réalités du monde du travail.
🔵**Sur la base de l’expérience de Business Mauritius et des commentaires de vos membres, quelles mesures concrètes ou quels protocoles devraient être mis en œuvre pour mieux gérer des événements similaires à l’avenir ? Quels sont les éléments clés d’un cadre national efficace ?*
Nos membres ont été très clairs, et leurs recommandations, corroborées par le rapport commandité par Business Mauritius, sont les suivantes :
Des protocoles clairs et précis, définis par la loi et élaborés en concertation avec les acteurs concernés.
Une coordination renforcée et une communication unifiée entre les organismes gouvernementaux, en intégrant des plateformes technologiques.
Une approche zonale de la gestion des risques, qui permet une réponse plus ciblée et moins perturbatrice pour l’ensemble de l’économie, en s’appuyant sur des données géolocalisées et des analyses prédictives.
La reconnaissance du rôle essentiel de certains services du secteur privé et des modalités de leur fonctionnement en cas d’intempéries, avec des solutions technologiques pour assurer la continuité des opérations.
L’intégration du télétravail dans le cadre légal, avec des modalités précises et des outils technologiques pour le faciliter.
Des investissements dans les infrastructures de prévision météorologique, en utilisant les dernières avancées en matière d’IA et de modélisation.
🔵Comment concilier le besoin de sécurité et l’impératif économique de maintenir la productivité pendant les événements perturbateurs ? Existe-t-il un moyen de prendre en compte les considérations de productivité sans compromettre le bien-être des employés ?
Pour les membres de Business Mauritius, la sûreté et la sécurité de nos employés sont la priorité absolue. En plaçant cette sécurité au premier plan, notre objectif est de pouvoir opérer dans le respect des paramètres établis par l’État.
Ces épisodes d’intempéries ne sont plus un problème ponctuel, mais une réalité à laquelle nous devons nous adapter. Attelons nous à développer une culture de résilience, où les entreprises sont préparées à s’adapter et à maintenir leurs opérations dans la mesure du possible. Des modèles existent ailleurs, qui permettent de maintenir un certain niveau d’activité économique, tout en protégeant les populations : le Canada, comme mentionné précédemment, mais aussi Singapour et le Japon, qui ont investi massivement dans des infrastructures résilientes et des systèmes d’alerte avancés. Inspirons-nous de ces exemples au lieu de nous contenter de fermer l’économie à chaque alerte météo.
«Singapour et le Japon ont investi massivement dans des infrastructures résilientes et des systèmes d’alerte avancés. Inspirons-nous de ces exemples au lieu de nous contenter de fermer l’économie à chaque alerte météo.»
🔵Face à la récurrence de ces événements, quel engagement spécifique Business Mauritius prend-il aujourd’hui pour impulser un changement concret dans la gestion des intempéries à Maurice, et quel est votre appel final à l’action pour l’ensemble des acteurs ?
Il est essentiel d’avoir un dialogue social constructif sur cette question. Nous devons impliquer toutes les parties prenantes dans la recherche de solutions, qui protègent les travailleurs, tout en minimisant l’impact sur la productivité. Le télétravail, les horaires flexibles, et l’utilisation de systèmes d’alerte précoce sont des pistes à explorer. L’objectif est de créer un environnement où la sécurité et la productivité sont des objectifs compatibles, au service d’une économie forte et durable. Nous devons avoir une vision à long terme, et cette vision doit intégrer pleinement le potentiel de la technologie pour construire un avenir où Maurice prospère face aux défis climatiques. Nous devons transformer cette adversité en une opportunité de moderniser notre approche et de renforcer notre compétitivité. C’est l’appel que nous lançons aujourd’hui.
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