Publicité
Stratégie, influence et «lakwizinn»
Kobita Jugnauth: L’autre visage du pouvoir
Par
Partager cet article
Stratégie, influence et «lakwizinn»
Kobita Jugnauth: L’autre visage du pouvoir
Kobita Jugnauth, épouse du chef du gouvernement, a toujours évolué dans l’ombre, affirmant, à chaque occasion, accorder un soutien indéfectible à son mari et niant une quelconque ingérence dans la politique du pays. Or, les révélations de «Missie Moustass» quant à son implication directe dans les décisions gouvernementales stratégiques, ainsi que ses échanges compromettants, jettent une autre lumière sur son véritable rôle dans les coulisses du pouvoir, allant dans le sens de ceux qui allèguent qu’elle est à la tête de «Lakwizinn», le véritable centre décisionnel du gouvernement.
Épouse du chef du gouvernement, bellefille de l’ancien Premier ministre, sir Anerood Jugnauth, et fille de sir Kailash Ramdanee et de Lady Ursule, née Maunick, Kobita Jugnauth est issue de l’élite entrepreneuriale de l’île. Maquillage discret, toujours vêtue de cotton sarees simples aux couleurs pastel, elle projette le reflet d’une femme simple et modérée. Or, elle possède une force de caractère, qui s’est révélée dès son plus jeune âge.
Lorsqu’elle reçoit une bourse d’études pour intégrer le Lorette de Port-Louis, ses parents préfèrent qu’elle aille au Queen Elizabeth College. Cependant, Kobita Jugnauth se montre réticente car elle préfère aller au Lorette de Quatre-Bornes, en raison de sa proximité avec leur domicile et du fait que son frère aîné, Sanjiv, est scolarisé au Collège du St-Esprit. Pour la convaincre, ses parents sollicitent l’aide de son professeur particulier, sachant l’influence qu’il a sur elle. Finalement, elle accepte de rejoindre le collège d’élite de Rose-Hill.
Durant sa scolarité, Kobita Jugnauth s’illustre dans les matières scientifiques et après sa FormVI, elle envisage d’abord des études en pharmacie, comme son père. Sur les conseils de ce dernier, elle s’oriente finalement vers la comptabilité et la finance et part poursuivre ses études en Grande-Bretagne.
C’est lors de vacances à Maurice qu’elle rencontre Pravind Jugnauth, avec qui elle partage rapidement une connexion profonde. «Sa maturité, son bon sens, sa simplicité et ses valeurs, notamment sa fidélité, m’ont conquise», confie-t-elle dans un entretien à l’express en juin 2004. Pravind Jugnauth lui demande sa main et lui propose de se fiancer avant qu’elle ne reparte pour compléter ses études. Kobita Jugnauth accepte. Après leurs fiançailles, en 1991, elle retourne au Royaume-Uni pour terminer les études commencées. Ils se marient en 1992. Elle lui a donné trois filles, Sonika, Sonali et Sara.
Piètre diplomate loin des micros»
Bien que Kobita Jugnauth se défende de faire de la politique, elle admet être impliquée mais toujours en coulisse. Lors de l’affaire MedPoint, par exemple, elle avait déclaré que «si Pravind va en prison, je l’accompagne». Lors d’un entretien accordé à l’express en juillet 2015, Kobita Jugnauth répond à la question «Femme de politicien, est-ce un métier ?», en ces termes : «Ça dépend de comment on le voit. Si on se sent obligée d’aller à toutes les fonctions, d’être souriante, tout ça, oui, c’est presque un métier. Moi, je ne fais rien par obligation. Être aux côtés de Pravind dans les moments importants est une conviction.» Kobita Jugnauth dément là toute idée selon laquelle elle serait un «instrument» au service des ambitions politiques de son mari, affirmant : «Mon mari ne se sert pas de moi, j’ai un caractère trop trempé pour ça. Je ne serai jamais une machine à révérences. Au contraire, je suis une piètre diplomate. Mon francparler me joue parfois de mauvais tours.»
Si elle n’a pas d’avis sur tout, elle confie donner son opinion quand quelque chose la dérange, même au risque de déplaire : «Si une décision politique me dérange, si le gouvernement fait fausse route, je le dis. Je ne m’interdis pas de donner mon avis à Pravind.» Toutefois, malgré son influence, elle reste dans l’ombre, loin des projecteurs, précisant que «la lumière ne m’attire pas. Je suis bien là où je suis, loin des projecteurs. Cela ne veut pas dire que je ne m’implique pas politiquement. Je le fais mais loin des micros.» Quant à ceux qui prêtent à Kobita Jugnauth un rôle de stratège, tirant les ficelles du parti, dans ce même entretien, elle répond avec ironie: «Les gens disent tellement de choses… Ceux qui nous connaissent bien, Pravind et moi, savent que quand Pravind me dit non, c’est non. Je ne mène pas mon mari à la baguette.»
Dans un entretien antérieur à l’express, en juin 2004, Kobita Jugnauth disait se préparer à tout car elle estimait qu’on ne peut vouloir rester au pouvoir à tout prix. «La crédibilité et les valeurs doivent primer. Je n’aurais pas voulu que Pravind fasse quelque chose qui soit bon pour lui sur le court terme, rien que pour rester au pouvoir mais que cela soit au détriment du pays et du parti», avait-elle dit. En 2005, c’était d’ailleurs le Parti travailliste qui avait remporté les élections.
«Lady Macbeth» et «Lakwizinn»
Lors de la prestation de serment de son époux en tant que Premier ministre, Kobita Jugnauth avait fait une déclaration à la presse à la State House concernant son rôle durant la campagne électorale. Elle avait affirmé qu’en tant qu’épouse, elle est là pour le soutenir. «Quand il a besoin de se confier, je suis là pour l’écouter, comme pour les petites choses à la maison, dans la cuisine.» C’est la première fois que Kobita Jugnauth évoquait elle-même Lakwizinn.
En janvier 2017, Roshi Bhadain avait défié Kobita Jugnauth, qui avait qualifié son départ du MSM de «comportement enfantin». Il avait évoqué Lakwizinn, reprenant l’expression de Joe Lesjongard, qui en avait parlé en premier lorsqu’il avait quitté le MSM. «Ne m’obligez pas à parler, sinon vous ne saurez plus où mettre la face», avait répliqué Bhadain lors d’un point de presse, ajoutant : «La ou pou kone ki kwi dan lakwizinn et kuma sa opere.» Lakwizinn est donc devenu le surnom donné à l’antichambre du pouvoir, dirigée par Kobita Jugnauth. Après sa démission en tant que Chief Executive Officer de Mauritius Telecom, Sherry Singh avait balancé les noms de ceux qui feraient partie de Lakwizinn. Celle à la tête, avait-il affirmé, ne serait nulle autre que Kobita Jugnauth, qu’il a surnommée Lady Macbeth, l’un des personnages de Shakespeare, tantôt qualifiée de séductrice, tantôt de manipulatrice et de folle. L’instigatrice meurtrière de Shakespeare a été diabolisée depuis la première représentation de la pièce Macbeth. Dans l’imaginaire populaire, Lady Macbeth est la caricature d’une femme qui cherche le pouvoir à travers son mari.
Vie privée, cyberharcèlement et politique
En 2014, une bande sonore divulguée sur les réseaux sociaux exposait des aspects de la vie privée de Pravind et de Kobita Jugnauth. Cet enregistrement a suscité une vive controverse. Seetulsing Meetoo avait été inculpé de trois chefs d’accusation pour «utilisation d’un service de communication à des fins d’importuner une autre personne», en violation des articles 46 et 47 de l’Information and Communication Technology Act (ICT Act). Il lui était reproché d’avoir posté à trois reprises, le 20 décembre 2016, des vidéos accompagnées de commentaires critiques envers Kobita Jugnauth, contre son beau-père, sir Anerood Jugnauth et les proches de Pravind Jugnauth. Parallèlement, Manindra Utchanah et son père, Mahen, avaient également été poursuivis dans le cadre de cette affaire. La cour a, par la suite, rayé les charges retenues contre eux. Fait intéressant, en 2014, l’intelligence artificielle (IA) n’avait pas encore la présence médiatique et les capacités qu’on lui connaît aujourd’hui. Et à l’époque, personne n’a évoqué l’hypothèse de la manipulation par IA.
Rigg Singh Needroo, un directeur d’entreprise, était accusé d’avoir «utilisé des services d’information et de communication pour transmettre un message grossièrement offensant», en infraction avec l’ICT Act. Cette accusation faisait suite à une publication qu’il avait partagée sur Facebook en 2018. La plaignante dans cette affaire n’était nulle autre que Kobita Jugnauth. L’avocat de ce dernier était Me Akil Bissessur. L’avocat avait par la suite fait comprendre que c’est justement à cause de son implication dans cette affaire qu’il avait été pris pour cible par la Special Striking Team. Me Bissessur avait confié lors d’un entretien à l’express qu’il envisageait d’appeler Kobita Jugnauth comme témoin. C’était justement ce jour-là que la SST était venue chercher des documents chez lui et c’est à ce moment-là que la drogue aurait été plantée chez lui. Les charges ont d’ailleurs été rayées contre lui.
L’aspect controversé de cette affaire réside dans l’enchaînement des démarches de la police. Celle-ci avait recueilli la déclaration de l’accusé avant même que Kobita Jugnauth n’ait officiellement déposé sa plainte, ce qui soulève des questions quant à de possibles directives non officielles données. De plus, un inspecteur affecté à l’unité de lutte contre la cybercriminalité s’était déplacé au domicile de Kobita Jugnauth, à Angus Road, Vacoas, pour recueillir sa plainte.
De l’ombre à la lumière politique
Bien que le 23 janvier 2017, lors de la passation de pouvoir entre son mari et son beau-père, elle disait ne pas avoir de rôle au gouvernement et qu’elle voulait se tenir à l’écart de la scène politique, Kobita Jugnauth a tout de même pris la parole lors de certains évènements publics, ces dernières années. En 2021, elle a inauguré un atelier pour les ménagères au complexe sportif de Côte-d’Or, circonscription de son mari. La même année, lors d’un comité régional de l’aile féminine du MSM à Bambous, elle s’était adressée à l’assistance, appelant ses «soeurs» à oeuvrer pour le «bien-être du pays». Elle a fait d’autres interventions remarquées, notamment à une cérémonie de remise de prix aux étudiantes chagossiennes à Pointeaux- Sables et à une exposition des femmes entrepreneures à Vacoas.
En avril 2022, Kobita Jugnauth avait participé à une cérémonie de remise de certificats aux bénéficiaires d’un programme de formation, organisé par la Mauritius Renewable Energy Agency. Elle a aussi pris la parole lors de la journée mondiale des personnes handicapées, à la State House, le 6 décembre 2022. Mais lorsqu’elle participe à des cérémonies officielles aux côtés de son mari, elle reste souvent en retrait. En revanche, lorsqu’elle intervient, c’est généralement en l’absence de Pravind Jugnauth.
Publicité
Les plus récents