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Plaintes

Kusraj Lutchigadoo dit avoir donné des cadeaux à des gardiens de prison

10 octobre 2023, 18:42

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Kusraj Lutchigadoo dit avoir donné des cadeaux à des gardiens de prison

Caël Permes a été battu à mort alors qu’il était emprisonné. Kusraj Lutchigadoo a vu dans quel état il était arrivé à la Bastille.

Le présumé trafiquant de drogue Kusraj Lutchigadoo est un témoin clé dans la mort de Caël Permes. Il aurait maintenu sa déclaration à ce propos et a même juré un affidavit malgré les pressions exercées sur lui. Il a aussi dénoncé la remise de pots-de-vin…

Comment Lutchigadoo a-t-il pu se renseigner à propos de Caël Permes ? Il faut savoir qu’après son escapade du centre de détention de Vacoas, en 2018, Kusraj Lutchigadoo a été transféré à la prison de la Bastille, Phoenix, et placé dans une cellule qui se trouvait juste à côté de celle de Siddick Islam. Celui-ci possédait une petite radio portative qui indiquait également l’heure. De sa cellule, Lutchigadoo pouvait voir toutes les allées et venues dans la cour de la prison. Ainsi, il a vu dans quel état Caël Permes est arrivé à la Bastille: menotté dans le dos, les pieds enchaînés, et portant une cagoule qui n’était pas comme celle des gardiens qui l’accompagnaient et qui avait des ouvertures au niveau des yeux et du nez. C’était en fait un polo-shirt qui ne laissait passer ni la lumière ni l’air. Lutchigadoo l’a vu se débattre, probablement manquant d’air et recevant des coups quand même. Lutchigadoo a tout noté dans les moindres détails dans un petit calepin, y compris l’heure de chaque mouvement. Siddick Islam lui communiquait l’heure exacte à chaque fois que Lutchigadoo la lui demandait.

Après la mort de Caël Permes, un haut cadre de la prison apprend que Lutchigadoo a tout vu, entendu et noté. Il décide alors de lui proposer un marché : que Lutchigadoo oublie tout et, en retour, il sera transféré dans une autre prison où il serait plus libre de ses mouvements. C’est ainsi que le prisonnier sera transféré à la prison de Beau-Bassin, et c’est là-bas qu’il se lie «d’amitié» avec des membres de la section 24/7. Ces derniers lui font vite comprendre que c’est le boss lui-même qui leur a ordonné de lui accorder un traitement préférentiel. Cependant, sachant que Lutchigadoo a beaucoup d’argent, des membres de cette unité commencent à monnayer des faveurs supplémentaires. «Pas to komand twa», lui dit-on. Surpris et ne voulant pas trop croire à tant de sollicitudes, le toujours-détenu (NdlR, il attend le jugement de la cour d’assises depuis mars 2022), leur répond: «Si koumsa, bé amenn enn portab Samsung Touchscreen.»

Lutchigadoo comprendra très vite le marché lorsqu’on lui demande Rs 100 000 pour le portable. C’est ainsi que le «trafic» a commencé: on lui soutirera d’autres sommes contre d’autres faveurs. «La section 24/7 est un peu la Special Striking Team de la prison», nous dit-on. «Laissée libre, elle fait ce qu’elle veut car personne ne peut lui faire de reproches vu les services perso rendus à la hiérarchie.» Bénéficiant de la protection de cette section, Lutchigadoo devient très vite le caïd de la prison de Beau-Bassin. Et, par la même occasion, une «machine à sous pour certains membres de la section 24/7».

Paiement en BMW

Lutchigadoo possède toujours, à travers une de ses proches, un business d’achat et de vente de voitures d’occasion. En fait, les bagnoles ne sont pas vraiment d’occasion, mais presque neuves et toutes luxueuses. L’appétit venant en mangeant, les gardiens du 24/7, R., M. et Mo lui demandent, en 2019, de leur faire cadeau d’une BMW, année 2017 et de couleur rouge qui leur ont tapé dans l’œil lors d’une visite à la Car Gallery. La demande est bien sûr liée aux services rendus au détenu. Après maintes négociations, Lutchigadoo accepte et la bagnole qui valait Rs 1,8 M leur est cédée. On parle d’un double enregistrement du véhicule qui aurait dès lors deux Horse Powers...

Quelques mois après, le Lead Prison Officer (LPO) R., au nom duquel la voiture a été enregistrée, la vend pour partager la recette avec ses deux complices gardiens. Mais, entre-temps, un ordre est venu d’en haut pour que le détenu Lutchigadoo se rétracte dans ses témoignages lors des parades d’identification des gardiens qu’il avait cités ainsi que d’autres témoins dans l’enquête de la Major Crime Investigation Team sur la mort de Caël Permes. Or, Lutchigadoo refuse et ce sera le début de la détérioration de ses relations avec les gardiens de la section 24/7. Il reçoit alors des menaces de «planter» de la drogue dans sa cellule. Mais comme cela retomberait sur l’administration et les gardiens, leur rappelle Lutchigadoo, la menace n’est pas mise à exécution.

On le menace alors de le retransférer à la Bastille. Lutchigadoo alerte sa famille. Il contacte son avocat et décide de déposer plainte à la police et à l’Independent Commission against Corruption (ICAC). Il fournit toutes les preuves à la commission anticorruption concernant les «cadeaux» qu’il a offerts aux membres de la section 24/7. Il remet des photos, des enregistrements audios et vidéos où l’on peut voir les gardiens prenant livraison de colis des proches de Lutchigadoo et où l’on peut même entendre les négociations entre les protagonistes.

Octobre 2022 : l’ICAC devait organiser une parade d’identification avec tous les protagonistes impliqués dans les livraisons et collectes de colis destinés à Kusraj Lutchigadoo, y compris les proches de ce dernier et les gardiens de la section 24/7. Mais la parade est annulée à la dernière minute. Nous avons demandé à la cellule de communication de l’ICAC : «Can you please confirm whether Kusraj Lutchigadoo and/or parents have made a declaration against prison officers of Beau-Bassin concerning allegations of corruption?» En réponse, nous avons reçu «faux», simplement, à cette question et à d’autres aussi posées.

La famille de Kusraj Lutchigadoo dépose en même temps plainte au poste de police de Barkly, accompagnée de deux avocats, contre le LPO R. pour menaces proférées à l’encontre de Kusraj Lutchigadoo. Encore une fois, on n’a jamais su la suite. Pourtant, un responsable de ce ce poste de police s’est même personnellement déplacé pour prendre les dépositions des témoins et de l’accusé. L’enquête serait en cours, nous dit une source. Nous avons essayé en vain d’entrer en communication avec le quartier général de la prison.

Le grand absent de la prochaine enquête préliminaire Après notre article sur la mort de Caël Permes (voir l’express du 6 septembre), nous apprenons que le commanditaire de l’agression et principal organisateur du cover-up se prépare en ce moment même à partir avec toute sa famille au Canada. Des bruits circulent qu’il aurait déjà en poche son permis de résident permanent au pays des caribous. Donc, peu de chance qu’il revienne au pays! Des employés de la prison se demandent pourquoi les autorités le laissent filer à l’anglaise, d’autant que l’enquête préliminaire sur la mort de Permes débute bientôt.