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Boutiquier passionné de chevaux

La chevauchée fantastique d’Ibrahim

17 décembre 2023, 20:00

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La chevauchée fantastique d’Ibrahim

«Kan li ti vinn ici, li ti meg. Asterla get kouma li’nn repran, li’nn vin for.» Ses yeux brillent lorsqu’il parle de ses chevaux. Ce jour-là, il faisait référence à Alyaasaat, ancienne gloire du Champ-de-Mars, désormais au repos dans son box à Terre-Rouge. Que fait-il là ? Et qui est donc Ibrahim Nauzeer, dont le nom est évoqué avec insistance par des jockeys ?

Dans une interview, Nirvan Nastili relatait son parcours et avait évoqué son passage chez M. Ibrahim lorsqu’il s’entraînait à devenir jockey. Zeeshaan Muthy avait aussi parlé de lui lorsqu’il se remémorait ses débuts. «J’ai formé plus d’une vingtaine de jockeys. Il y en a qui ne sont plus à Maurice et qui ont une carrière internationale», dit-il, sans aucune arrogance. Installé sur un tabouret en plastique dans sa cour, derrière la boutique de quartier qu’il gère, cet homme de 45 ans se remémore du début de son histoire d’amour avec les chevaux. La passion pour cet animal a toujours brulé en lui, mais c’est en 1997 qu’il décide d’en accueillir un. «Ne me demandez pas comment cela c’est fait. Je savais simplement que je devais en avoir un.» Il a donc entamé les démarches pour avoir un cheval à la retraite. Depuis, il en a accueilli plus d’une centaine.

À peine son récit débuté qu’Alyaasaat le réclame. Quelques coups de sabots par terre, amortis par l’épaisse litière de copeaux de bois et des hennissements étouffés, c’est le code pour les caresses. Lorsque cela se produit, le boutiquier abandonne tout pour aller voir son ami la bête avant de revenir sur ton tabouret. «Ils sont comme des hommes. Chacun a son caractère et ses humeurs. Il faut comprendre et s’adapter lorsqu’on interagit avec eux.» Revenant à 1997, il raconte qu’il allait à Port-Louis à cheval. C’était son moyen de transport. À l’époque, la flotte de véhicules n’était pas aussi importante et en évitant les routes principales, le parcours se faisait sans difficulté. «C’est comme ça que j’ai appris à connaître les chevaux, à comprendre que chacun est différent. On ne les guide pas tous de la même manière. Certains sont courageux, d’autres timides. Certains aiment aller vite, d’autres prennent leur temps. Il faut tout d’abord comprendre l’animal avant de le monter. Akoz pa enn masinn sa. La nou pe koz dé lavi ki bizin travay ansam.»

Ibrahim ne fait pas que monter les chevaux. Tout d’abord, il fait tout pour les remettre en forme car des fois, ce sont des chevaux cassés par les courses qui lui parviennent. Commence alors un long travail de soin, de murmures, caresses et réassurances pour les remettre en confiance. Il se souvient encore de ces journées et nuits passées avec ses bêtes; et cela ne plaisait pas à son père car il ne s’occupait pas du commerce. Mais c’était plus fort que lui. «Vous savez, il y a eu des fois où les chevaux ont tellement repris du poil de la bête chez moi que les écuries les ont repris pour courir.» Cette fois-ci, il ne cache pas sa fierté, car remettre un cheval sur pied et lui redonner confiance n’est pas une mince affaire.

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Comment forme-t-il les jockeys ? Ibrahim avance qu’il n’a pas de formation lui-même. Il a appris à connaître, comprendre et manier les chevaux par lui-même. Puis, il a travaillé à avec eux à plusieurs endroits, notamment au Domaine les Pailles, La Brasserie ou encore à Pointe-aux-Sables. Il a montré aux apprentis les rudiments de la monte, comment créer l’osmose avec l’animal et comment le gérer. De bouche à oreille, son nom a marché et les apprentis se sont tournés de plus en plus vers lui. Sans prétention et sans demander de rémunération, il les a formés. D’où le mention de son nom à plusieurs reprises.

Se remettre en selle

Comment Alyaasaat a atterri chez lui ? L’histoire n’est pas simple. Depuis 1997, plus de 100 chevaux sont passés chez Ibrahim. Il avait même loué un domaine à Notre-Dame, où il avait des boxes, une piste et tout l’attirail pour le bien-être de ses animaux. Il y faisait des entraînements ou il mettait juste le tout à disposition de ceux voulant s’initier à l’équitation ou à simplement faire un tour de cheval. Mais son rêve s’est vite brisé lorsqu’il a été trahi par son partenaire d’affaires. Il n’en dira pas plus car il y a une affaire en cour. Mais dans la région, tous les habitants se souviennent de l’épisode de courses de chevaux dans les rues de Terre-Rouge dans la nuit du 7 septembre et il est de notoriété commune que l’ex-ami en était à l’origine pour le narguer. «C’était il y a deux ans. Comme j’avais tout perdu, je me suis dit que j’allais arrêter et passer à autre chose.»

Son désir de se trouver une autre passion a duré à peine quelques semaines. Il a été contacté par une écurie et il n’a pas fallu beaucoup d’insistance pour qu’il accepte de reprendre des chevaux chez lui. Comme il n’avait plus de lieu pour les accueillir, il a fait construire deux boxes dans sa cour à l’abri des regards indiscrets. À Terre-Rouge, peu de gens savaient qu’il avait repris sa passion. «Mes animaux sont bien traités. Ils ne font pas de bruit. Il n’y a pas d’odeur car les boxes sont toujours propres», fait ressortir Ibrahim. De plus, il fait attention à leur nourriture pour éviter les coliques et autres complications de santé.

Va-t-il toujours à Port-Louis sur ses montures ? Absolument pas. D’ailleurs, aujourd’hui, le règlement est strict. «Les chevaux s’entraînent sur une piste que j’ai aménagée sur un terrain à côté de ma maison. L’accès se fait par ma cour. J’évite de les sortir dans la rue pour éviter les accidents.» D’ailleurs, cela fait une dizaine d’années qu’Ibrahim n’en monte plus. Désormais, ce sont ses enfants, plus particulièrement sa fille, qui ont pris le relais et ont promis de poursuivre la passion de leur père.