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Jugement historique

La Cour suprême dépénalise la sodomie entre deux hommes consentants

5 octobre 2023, 17:14

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La Cour suprême dépénalise la sodomie  entre deux hommes consentants

Tim Otty, fondateur de Human Dignity Trust, Ryan ah Seek et, Gavin Glover.

Dans une décision historique rendue hier, les juges David Chan Kan Cheong et Karuna Devi Gunesh-Balaghee ont statué que les actes de sodomie entre deux hommes consentants ne constituent pas un délit.

Ils ont jugé que le Code pénal, qui criminalise la sodomie, est en violation de la Constitution. Cette décision marque un tournant majeur dans le système juridique du pays et dans la lutte pour les droits de l’homme et l’égalité entre les personnes, ainsi que pour les défenseurs des droits des lesbiennes, gays, bisexuels.les et transgenres (LGBT) à travers le pays. La Cour suprême s’est prononcée dans les cas de Najeeb Ahmad Fokeerbux, Vipine Aubeeluck, Imesh Fallee et Jürgen Soocramanien Lasavanne, membres de la Young Queer Alliance, représentés par la firme Dentons et de Ridwan Ah Seek, président du Collectif Arc-en-Ciel. Tous avaient demandé une réparation constitutionnelle, arguant que cette disposition violait leur droit à la vie privée et à l’égalité devant la loi.

C’est la première fois que la Cour suprême se prononce sur ce sujet crucial, marquant une victoire significative pour les droits des personnes LGBT dans le pays. La section 250 (1) du Code pénal a été vivement critiquée par les activistes des droits de l’homme et les groupes LGBT pendant de nombreuses années. Elle criminalise spécifiquement les actes de sodomie entre hommes, imposant des peines de prison allant jusqu’à cinq ans et des amendes pour ceux reconnus coupables de cette pratique consensuelle. Les plaignants avaient affirmé que cette disposition violait le droit à la vie privée et l’égalité devant la loi, garantis par la Constitution. Dans les deux cas, les juges ont déclaré anticonstitutionnelle la section 250 (1) du Code pénal.

Fokeerbux et autres lexp - 2023-10-05T171203.009.jpg L’équipe de Dentons.

Le 6 septembre 2019, quatre jeunes Mauriciens de la communauté LGBT, Najeeb Ahmad Fokeerbux, Vipine Aubeeluck, Imesh Fallee et Jürgen Soocramanien Lasavanne, issus de toutes les couches de la société, avaient demandé à la Cour suprême l’autorisation d’intenter une action en réparation constitutionnelle. Ils demandaient une déclaration selon laquelle la section 250 de la loi mauricienne du Code pénal de 1838 violait leurs droits et libertés fondamentaux et était inconstitutionnelle. Ils faisaient valoir dans leur recours en réparation constitutionnelle que l’article 250 n’avait pas sa pertinence dans l’île Maurice moderne et démocratique, soulignant que les personnes LGBT, comme tous les autres citoyens, devraient avoir le droit fondamental de choisir leur sexualité. Ils ont estimé que l’article 250 était contraire aux valeurs de la démocratie, qu’il traitait les personnes LGBT comme des individus de seconde zone et entraînait discrimination, inégalité, stigmatisation et persécution des personnes LGBT.

La Cour suprême a conclu que l’article 250 (1) du Code pénal était discriminatoire envers les plaignants, violant l’article 16 de la Constitution car il criminalisait l’acte de sodomie, la seule façon naturelle pour les hommes homosexuels d’avoir des relations sexuelles. Par conséquent, les juges ont déclaré cet article inconstitutionnel dans la mesure où il s’applique aux actes de sodomie consensuelle entre adultes masculins en privé.

Les plaignants avaient expliqué, dans leur demande, comment cet article du Code pénal leur avait porté préjudice dans leur vie professionnelle et sociale. Ils étaient légalement représentés devant la Cour suprême et à titre bénévole par Dentons (Mauritius) LLP. L’équipe juridique était composée de l’avoué Me Sandeep Ramlochun, des avocats Mes Priscilla Balgobin-Bhoyrul, Emmanuel Luchmun et Sandy Bhaganooa. Les plaignants étaient également soutenus par la Young Queer Alliance et la Love Honor Cherish Foundation.

Ridwan Firaas Ah-Seek WhatsApp Image 2023-10-05 at 12.30.04.jpeg

Lors de son témoignage devant la cour, Ridwan Firaas Ah-Seek avait déclaré qu’en raison de cette loi, la menace d’arrestation planait constamment au-dessus de sa tête. «C’est comme une épée de Damoclès. Je suis juste une personne normale, je paie mes impôts. Je ne veux pas être considéré comme un criminel.» Les juges ont accepté que son orientation sexuelle soit naturelle et innée. Elle ne peut être modifiée et est une variante naturelle de sa sexualité. «Nous constatons que l’article 250(1) du Code criminel, bien qu’ostensiblement neutre, est discriminatoire ‘dans son effet’ à son encontre en raison de son orientation sexuelle, violant ainsi l’article 16 de la Constitution. Même si l’article 250 (1) s’applique à tous les hommes, il nie de facto au plaignant, en tant qu’homosexuel, le droit à l’expression sexuelle et à la satisfaction sexuelle de la seule manière, qui lui soit accessible, c’est-à-dire par les rapports sexuels anaux tandis que les hétérosexuels ont le droit à l’expression sexuelle de manière naturelle pour eux, c’est-à-dire par les rapports vaginaux», ont conclu les juges. Ils ont là aussi statué que l’article 250 (1) est donc discriminatoire en vertu de la Constitution à l’encontre du plaignant et des autres hommes homosexuels en raison de leur orientation sexuelle. L’article en question interdit de facto la seule forme d’expression sexuelle qui leur soit accessible. Il a pour effet de criminaliser l’orientation sexuelle du plaignant, qui est une caractéristique innée de son identité et sur laquelle il n’a pas le choix. «Le choix du partenaire sexuel du plaignant ne peut pas être la base de la discrimination et il n’appartient pas à l’État de faire ce choix à sa place.» Ridwan Ah-Seek était représenté par Me Gavin Glover, Senior Counsel, Tim Otty, King Counsel, et Me Yanilla Moonshiram et l’avouée Komadhi Mardemootoo.

Gavin Glover, SC: «une grande première»

Me Gavin Glover se réjouit de cette déclaration de la Cour suprême qui, dit-il, est une grande première dans la justice mauricienne et qui confirme des jugements précédents dans d’autres juridictions des pays du Commonwealth. «Cette déclaration dit que la section 250 (1) du Code pénal est anticonstitutionnelle dans son application pour deux hommes consentants. Je dis un grand bravo à Ridwan Ah-Seek, qui a eu le courage de porter cette affaire devant la Cour suprême. Je remercie aussi le Collectif Arc-en-Ciel et le Human Dignity Trust de Londres, ainsi que le King Counsel Tim Otty, qui ont plaidé cette affaire avec moi.»

Me Emmanuel Luchmun de chez Dentons : «plusieurs personnes n’y croyaient pas»

Beaucoup de gens m’ont dit qu’obtenir ce jugement serait impossible. Aujourd’hui, je suis très heureux de pouvoir leur dire qu’ils avaient tort et que Maurice peut encore grandir et devenir meilleur si les gens se battent pour défendre leurs droits. C’est pour ce type de moments que je pratique le droit. Ce jugement est extrêmement important pour le droit constitutionnel mauricien et je suis fier d’y avoir contribué.»

Quatre ans d’attente qui en valaient la peine

Les jugements rendus hier représentent la fin d’une longue lutte pour les organisations non gouvernementales et les défenseurs des droits humains en général.

L’affaire ne date pas d’hier. En 2019, la contestation de la constitutionnalité de l’article 250 est portée en Cour suprême par Ridwan Ah-Seek. La contestation du même article par Najeeb Fokeerbux, Vipine Aubeeluck, Imesh Fallee et Jürgen Lasavanne est portée devant cette instance la même année. Il a fallu quatre ans pour que les jugements tombent. «L’attente a été longue. Très longue. J’ai passé ces quatre années à me poser des questions, à penser à cette affaire sous tous les angles possibles», a confié Ridwan Ah Seek.

La journée d’hier a été une montagne russe d’émotions. Rien ne laissait présager que la décision allait tomber. Ridwan Ah-Seek était au travail lorsqu’il a su que le jugement a été rendu. Mais à ce moment-là, personne ne savait s’il était en sa faveur ou pas. Après plusieurs longues minutes, il a eu la nouvelle. «Toutes les émotions se sont mélangées. Je savais que la décision de la justice allait tomber, mais là, c’était soudain !» C’est un grand pas en avant pour le pays.

Selon lui, depuis qu’il a porté l’affaire en cour jusqu’à aujourd’hui, il y a eu une évolution dans la perception de la communauté LGBTQIA+. «L’affaire a mis en perspective la discrimination dont une partie des citoyens était victime. Leur vie intime était criminalisée. Cette affaire a donné de la visibilité à ce combat, aux lois coloniales, qui ont été supprimées ailleurs.» Il est désormais un citoyen à part entière et libre d’aimer qui il veut. Les générations futures pourront vivre sans crainte.

Quant au vice-président du Collectif Arc-en-Ciel (CAEC), Dimitri Ah-Yu, il avance que cette décision marque l’histoire. «Cette journée restera gravée dans l’histoire de notre organisation et de toute la communauté LGBTQIA+ à Maurice. Le changement social prend du temps ! Il est important de rappeler que l’article 250 date de 1838. C’est un héritage du passé que nous avons combattu avec acharnement, et nous pouvons aujourd’hui célébrer une étape cruciale vers l’égalité.» Il ajoute cependant que l’idéal aurait été la suppression complète de l’article 250, afin d’embrasser pleinement la notion des droits de l’homme et de transcender l’orientation sexuelle. «Je tiens sincèrement à exprimer ma reconnaissance envers la Cour suprême pour avoir choisi l’inclusion plutôt que le conservatisme et la réprobation.»

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Nathalie Germain est la secrétaire du conseil d’administration du CAEC et membre fondatrice de cette organisation non gouvernementale. Elle ne cache pas sa joie face à ce pas en avant. «C’est un grand jour car la justice de notre pays a reconnu le caractère discriminatoire de certaines de nos lois envers des citoyens mauriciens en raison de leur orientation sexuelle.» Le CAEC a été créé il y a 18 ans. Depuis, il y a eu un combat sans relâche pour l’obtention de la reconnaissance de l’égalité de tous les citoyens En cours de route, le collectif a remporté de petites victoires en faisant reconnaître et inclure dans certaines lois la discrimination en raison de l’orientation sexuelle. «C’est un pas de plus, certainement le plus fort symboliquement. Je suis très émue en pensant à tous mes camarades ‘membres fondateurs’ comme moi et je suis sûre qu’ils doivent savourer cet instant comme je le fais. Je leur dis merci. Nous avons été un peu fous et idéalistes, mais qu’est-ce qu’on a eu raison.»

Nathalie Germain a aussi une pensée spéciale pour Ridwan, qui a courageusement défendu cette cause commune. «Il y a encore des combats à mener, ce n’est pas terminé mais cela fait 18 ans que nous sommes prêts, alors nous allons continuer.» lexp - 2023-10-05T183302.724.jpg

Cette affaire a aussi été soutenue par le Human Dignity Trust. La Chief Executive Officer de cette ONG, Téa Braun, se dit ravie d’avoir soutenu Ridwan Ah-Seek et son équipe dans ce combat. «Nous le félicitons d’avoir fait de Maurice un meilleur endroit pour tous les citoyens. Cette décision renverse 185 ans de state-sanctioned stigma envers la communauté LGBT. Maurice envoie un signal à d’autres pays africains. Ces lois doivent disparaître.»