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Blanchiment, primes et silence
La face cachée des informateurs de la police
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Blanchiment, primes et silence
La face cachée des informateurs de la police

À mesure que progresse l’enquête sur le dossier du Reward Money, il devient évident que Lilram Deal, assistant commissaire de police, n’a pas pu agir seul dans un système aussi opaque. La Financial Crimes Commission (FCC), qui enquête sur des faits présumés de blanchiment d’argent en violation de la loi de 2002 sur le renseignement financier et la lutte contre le blanchiment, envisage de convoquer d’autres hauts gradés pour comprendre le mécanisme mis en place.
Deal est soupçonné d’avoir détourné des dizaines de millions de roupies, retrouvées sur son compte bancaire, issu de fausses demandes de primes destinées aux informateurs de la police. Présenté devant la cour de district de Port-Louis Sud, il a été provisoirement inculpé. Son maintien en détention a été ordonné (voir plus bas), les autorités redoutant une possible interférence avec les témoins. Dans les milieux des enquêteurs, on évoque au moins deux autres cas, où environ Rs 150 millions auraient été détournées.
Un parallèle troublant émerge : il y aurait un lien entre la market value estimée des drogues saisies et le montant des primes allouées à certains informateurs obscurs. Parfois, ce seraient les mêmes personnes qui détermineraient les deux montants. «Qui fixe la market value, et sur quelle base de données ?», s’interrogent des sources proches de l’enquête.
Depuis que la FCC s’intéresse au Reward Money, un climat de méfiance s’est installé entre les Casernes centrales et le Réduit Triangle. Certains hauts gradés de la police affirment que les enquêteurs de la FCC empiètent sur leur terrain dans la lutte antidrogue. «Cela pourrait pousser certains à révéler les noms des informateurs, mettant ainsi leur vie en danger ainsi que celle de leurs contacts au sein de la police», prévient un enquêteur de l’Anti Drug and Smuggling Unit.
Du côté de la FCC, on insiste au contraire sur la nécessité de faire la lumière sur cette zone grise où les rapports ambigus entre informations et argent peuvent facilement dégénérer. «Ces primes, versées pour encourager la dénonciation, échappent trop souvent à tout audit rigoureux», souligne un enquêteur.
Une enquête menée en 2021 par la défunte ICAC sur une récompense de Rs 700 000 liée à une saisie record de 135 kg d’héroïne avait déjà mis en évidence l’absence d’acquittements signés par les bénéficiaires, comme l’a rappelé l’ancien juge Vinod Boolell dans l’express-dimanche. Le commissaire de police avait été sommé par la justice de soumettre tous les documents afférents – recommandations, bons de paiement, reçus – sans succès.
Si la confidentialité de l’identité des informateurs reste essentielle, elle ne saurait justifier l’opacité de la gestion des fonds. Le Standing Order 122 prévoit bien que l’agent payeur certifie le paiement sur un bon spécifique, sans y annexer le reçu de l’informateur afin de garantir son anonymat. Mais cette procédure montre aujourd’hui ses limites.
L’ancien Premier ministre, Pravind Jugnauth, avait déclaré que plus de Rs 5,5 millions avaient été allouées entre 2016 et 2017 pour rémunérer les informateurs, soulignant leur rôle clé dans la lutte antidrogue. Depuis l’arrêt du système par l’ex-commissaire Servansing, une certaine démotivation se serait installée au sein des unités concernées.
Le flou entourant la distribution de ces fonds appelle désormais à une réforme. Certains suggèrent la présence d’un témoin indépendant lors de la remise de l’argent ainsi qu’un audit annuel transmis aux autorités compétentes. Reste la question de fond : peut-on continuer à se fier à un système fondé sur la confiance, sans mécanismes solides de reddition de comptes ?
N. S.
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