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Pillage organisé
La FCC face à un système miné par les failles
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Pillage organisé
La FCC face à un système miné par les failles

Un chiffre. Puis deux. Et bientôt, une avalanche de montants. Ce qui n’était d’abord qu’un soupçon de fraude de Rs 19 millions s’est mué, en l’espace de quelques semaines, en une révélation d’un détournement systémique de fonds publics à travers le mécanisme du Reward Money. L’enquête de la Financial Crimes Commission (FCC) s’apparente désormais à une longue plongée dans un gouffre où se mêlent l’impunité, la complicité, la défaillance des contrôles et l’avidité. Une somme vertigineuse de plus de Rs 107 millions aurait transité par un seul compte bancaire d’un assistant commissaire de police (ACP). Et ce n’est probablement que la partie émergée de l’iceberg.
Les enquêteurs de la FCC n’excluent pas un nouveau coup de filet cette semaine. Plusieurs officiers de police de différents rangs figureraient sur une liste d’individus soupçonnés d’avoir indûment bénéficié de ces fonds. Des interrogatoires under warning sont prévus. Initialement, la FCC s’était penchée sur des versements suspects de Rs 3 millions à Rs 19 millions attribués à quelques officiers de police en septembre et octobre 2024. Mais très vite, les enquêteurs ont découvert que les montants réellement en jeu sont d’une tout autre échelle. Des virements bancaires massifs, des documents falsifiés, des justifications fictives pour des informateurs inexistants : le système de Reward Money, conçu à l’origine pour récompenser les informateurs et motiver les officiers dans la lutte contre la criminalité, semble avoir été transformé en vache à lait pour un réseau bien structuré.
L’envolée des chiffres est révélatrice :
⚫ Juillet 2024 : Rs 4 586 450
⚫ Août 2024 : Rs 368 900
⚫ Septembre 2024 : Rs 11 242 900
⚫ Octobre 2024 : Rs 38 932 450
⚫ Novembre et décembre 2024 : Rs 0
Le pic enregistré en octobre interpelle : près de Rs 39 millions auraient été déboursées en un seul mois, pour des «récompenses». Des documents comptables récupérés par la FCC laissent supposer qu’une bonne partie de ces montants n’a jamais atteint ni les véritables policiers méritants ni les informateurs. À la place, plusieurs comptes bancaires personnels, incluant celui d’un assistant surintendant de police déjà interrogé, présentent des mouvements financiers anormaux.
Une réunion dans les hautes sphères
Avant ces révélations, une réunion stratégique a eu lieu, il y a environ un mois, entre des représentants de la FCC, du Prime Minister’s Office et de la Mauritius Police Force (MPF). L’objectif : une refonte complète du système de décaissement du Reward Money. Il ne s’agit plus simplement d’une réponse ponctuelle à un scandale, mais d’une réforme en profondeur. La FCC a, dans ce contexte, enclenché un Prevention Review Exercise, conformément à la section 6 de la FCC Act. Cette mission vise à auditer le système de récompenses, à identifier les failles de procédure, et à proposer des recommandations obligatoires pour renforcer la transparence et la reddition de comptes.
Selon nos informations, «ce n’est plus une question de bonne volonté». Sous la FCC Act, toute institution concernée par un Prevention Review est légalement tenue de mettre en œuvre les recommandations émises. En l’occurrence, la police ne pourra plus se soustraire à ses obligations. En effet, là où les recommandations de la défunte Independent Commission against Corruption (sous la Prevention of Corruption Act) n’étaient que consultatives, la FCC, par la section 141(5) de sa loi, dispose d’un pouvoir contraignant. En d’autres mots, si la Mauritius Police Force ne donne pas suite aux directives de la FCC, elle pourrait se retrouver en violation de la loi, exposée à des sanctions légales et administratives.
Parallèlement, la FCC, consciente que la prévention passe aussi par l’éducation, a intégré la Police Training School dans son plan d’action. Une collaboration avec la Division de la formation de la police est en cours pour introduire une formation sur la prévention de la corruption, le blanchiment d’argent, les délits financiers et l’éthique policière autour du Reward Money. Les formateurs de la FCC interviennent directement auprès des nouvelles recrues et des cadres supérieurs de la police dans le but d’instaurer une culture de responsabilité et de transparence. Cette approche vise à éviter que des abus similaires ne se reproduisent dans le futur.
Commission d’enquête ou réforme structurelle ?
Interrogé au Parlement, le Premier ministre a également souligné que la démarche actuelle de la FCC – basée sur des audits ciblés et des recommandations légales – permet déjà de poser les bases d’une réforme durable. «Il ne suffit pas d’identifier les coupables. Il faut repenser le système pour que les mêmes erreurs ne soient plus possibles», a-t-il déclaré.
Ce qui avait commencé comme une simple enquête sur un versement suspect est en train de dévoiler un pillage à grande échelle des fonds publics, orchestré sous le couvert d’une mesure censée récompenser l’engagement contre le crime. La FCC, en engageant une réforme ambitieuse et légalement contraignante, pourrait bien être en train d’opérer un tournant historique dans la gouvernance policière à Maurice. Mais tout dépendra de la volonté des institutions de s’attaquer aux racines du mal – et pas seulement à ses symptômes.
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