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La fracture ethnique comme système

14 juillet 2025, 10:00

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Il y a des instants où l’Histoire, lasse d’attendre, pousse un cri dans le silence du quotidien. Cette semaine, elle a choisi deux visages : celui d’un jeune étudiant de l’université, et celui du numéro trois du gouvernement. Tous deux, pourtant si éloignés, nous ramènent à un même mal endémique : la fracture identitaire qui continue de bloquer l’épanouissement de notre démocratie.

Le premier s’appelle Sarvesh Dhookeeya. Invité de l’émission La Vérité Zeness, il s’est exprimé maladroitement sur la drogue et la société. On l’a cloué au pilori numérique. Un extrait a été sorti de son contexte, comme on extrait un verset d’un livre sacré pour mieux le transformer en épée. Personne ou presque n’a pris le temps d’écouter ses regrets. Encore moins d’entendre son appel au respect mutuel. Il s’est excusé avec dignité, mais l’opprobre avait déjà fait le tour des réseaux, tel une meute de chiens lâchés dans un champ de canne.

Le second, Shakeel Mohamed, a dénoncé ce qu’il considère comme une tentative de communaliser une décision administrative de son ministère, celle de faire respecter la loi sur nos plages. Il affirme qu’on l’accuse, lui, musulman, de vouloir démolir des lieux de culte hindous. Il répond que la vérité est ailleurs : dans les rapports, dans les lois, dans la chronologie des faits. Mais le soupçon, une fois instillé, devient poison.

Ces deux épisodes n’ont, en apparence, rien en commun. L’un relève de l’apprentissage civique d’un jeune, l’autre des manœuvres politiciennes. Et pourtant, en profondeur, ils sont liés par un fil rouge – ou plutôt un fil brun : celui des réflexes communautaristes qui irriguent encore, au fond des consciences, notre manière de penser le pouvoir, l’identité, la citoyenneté.

Car ce pays, qu’on aime appeler arc-en-ciel, a toujours préféré les pigments à la lumière. Au lieu de les fondre en clarté commune, on les a figés dans des cases, des quotas, des appartenances. Et ce qui n’était, au départ, qu’un compromis fragile – celui de la Constitution de 1968 – est devenu un système. Un système d’assignation. Une République aux prénoms segmentés.

Tout continue, disions-nous, parce que rien n’est encore désethnicisé.

Oui, le mot est rude. Il frotte. Il secoue. Mais il dit ce qui est. Tant que nous n’oserons pas mettre sur la table le lien organique entre nos institutions et les appartenances ethnoreligieuses, alors les mêmes scènes se rejoueront, génération après génération. Et nos enfants auront beau naître dans le métissage et le numérique, nous leur imposerons, au moment du vote, du recrutement, ou de la nomination, une carte d’identité raciale invisible.

C’est cela, le vrai poison. Non les maladresses de langage, ni même les instrumentalisations politiques. Mais la lenteur avec laquelle la République elle-même continue à entériner des appartenances fixées, figées, fossilisées.

Il ne s’agit pas de nier les origines, ni les héritages. Il ne s’agit pas non plus de réclamer une société d’amnésiques. Non. Il s’agit simplement de faire respirer notre démocratie. De lui retirer la camisole communautaire dans laquelle elle se débat depuis trop longtemps.

Pourquoi, encore aujourd’hui, un étudiant doit-il craindre que ses mots soient interprétés à travers le prisme de son nom ? Pourquoi, encore en 2025, un ministre doit-il affirmer qu’il ne détruit pas un kalimaye parce qu’il est musulman ? Pourquoi, toujours, les alliances politiques sont-elles dictées par les équilibres de castes plus que par les projets de société ?

On se réclame, ici, du vivre ensemble, mais on l’organise comme une cohabitation sous haute surveillance. Chacun dans sa case, chacun dans sa chapelle, chacun dans sa vérité. Et dès qu’un mot dépasse, dès qu’un geste dérange, on brandit les identités comme autant de drapeaux de guerre.

Il faudrait oser, un jour. Oser dire que notre patrimoine n’est pas seulement mortuaire. Qu’il est vivant. Qu’il est ce que deviennent nos enfants quand ils se rencontrent sur les bancs de l’école, dans les bureaux, sur les plages. Qu’il est fait de leurs amitiés, de leurs amours, de leurs colères aussi.

Il faudrait un jour écrire, non pas un Testament des Ancêtres, mais un Testament de la Raison. Un texte simple, limpide, qui dirait que la foi n’est pas une barrière, que la culture n’est pas une prison, que la caste ne fonde aucune autorité républicaine.

Oui, nous avons besoin d’une réforme. Non pas d’un rebranding politique. Mais d’une mutation constitutionnelle. Il est temps de retirer de notre Loi suprême les assignations ethnoreligieuses, ces articles qui obligent les candidats à déclarer leur «communauté» pour siéger à l’Assemblée. Il est temps d’abolir ce Best Loser System, devenu le plus mauvais gagnant du siècle.

Il est temps de déséthniciser. Et d’humaniser.

Car, au fond, la République n’a qu’un seul visage : celui d’un enfant, d’une étudiante, d’un ministre, d’un citoyen – qui voudrait être reconnu, non pour sa caste, mais pour ses actes, sa probité.

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