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Interview d’Amaresh Ramlugan

«La franc-maçonnerie a bien toute sa place au 21e siècle»

18 février 2024, 22:00

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«La franc-maçonnerie a bien toute sa place au 21e siècle»

Amaresh Ramlugan, premier mauricien élu grand maître adjoint du GODF

Deux événements majeurs ont marqué les loges du Grand Orient de France à Maurice en 2023, et qui impactent dans son ensemble l’histoire contemporaine aussi bien de l’île que celle de l’obédience. Tout d’abord, dans le sillage des 250 ans du Grand Orient de France (GODF), Maurice a été choisie pour le «bouquet final» de ses célébrations dans les villes de France. Ensuite, Amaresh Ramlugan est le premier Mauricien à être élu Grand Maître Adjoint de l’obédience.

C’est un très grand honneur d’être le premier Mauricien élu à ce poste au GODF ?

Le GODF est présent à Maurice depuis 1778 à travers la loge La Triple Espérance. Hormis l’aspect inédit de mon élection comme Conseiller de l’Ordre, puis de ma désignation aux fonctions de Grand Maître Adjoint du Grand Orient de France (GODF), bien au-delà de ma personne, je pense que cet honneur revient à l’île Maurice avant tout. Être le premier Mauricien nommé Grand Maître Adjoint du GODF est surtout une immense responsabilité qui nécessite un réel sens du devoir, afin d’être à la hauteur de cette confiance placée en vous par les membres, mais aussi de la reconnaissance d’un engagement au sein de l’obédience, le GODF étant une institution historique qui perdure depuis trois siècles.

Le GODF, première obédience libérale adogmatique au monde, qui rassemble environ 55 000 membres dans près de 1 400 loges réparties sur tous les continents, se distingue également par sa structure, sa composition et son organisation. Ses loges sont souveraines. Les loges sont représentées à son assemblée générale (le Convent) selon le principe «une loge, un délégué, une voix». Les différentes fonctions et mandats (Grand Maître, Conseillers de l’Ordre, présidents des loges...) sont tous électifs et encadrés sur le plan du cumul, du renouvellement et de la durée. Le fonctionnement prioritairement démocratique du GODF permet, depuis plus de 250 ans, à tout un chacun, indistinctement, d’aspirer à sa manière, s’il le souhaite, au renforcement de son engagement au sein de l’obédience. C’est en grande partie grâce à ce modèle égalitaire du GODF que je dois mon élection. De cette perspective, c’est effectivement un grand honneur de pouvoir se mettre, avec humilité et dévouement, au service de cette institution historique, d’une telle envergure et riche de 300 ans d’histoire.

Que fait concrètement un Grand Maître Adjoint ?

Nous sommes trois Grands Maîtres Adjoints au sein du Grand Orient de France, chacun ayant des responsabilités bien définies. Nous faisons partie du Bureau et sommes membres à part entière du Conseil de l’Ordre, l’équivalent d’un conseil d’administration, présidé par notre Grand Maître, Guillaume Trichard. En tant que Grand Maître Adjoint, «Maçonnisme et Juridictions», je suis chargé, d’une part, du «Maçonnisme», qui comprend l’évolution de nos rituels mis à la disposition des loges pour qu’elles puissent travailler, ainsi que d’un certain nombre de traités et accords avec d’autres instances maçonniques réparties en France, mais aussi à travers le monde. Je m’occupe également de l’allocation de «patentes d’usage de rites» à ces obédiences amies, souhaitant travailler sous une patente du GODF, entre autres.

L’obédience dispose d’une élévation maximale en 33 degrés, selon les rites, dont les trois premiers aboutissent à l’obtention du grade de maître. Une fois ce grade atteint, les membres du GODF peuvent, s’ils le souhaitent, continuer leur cheminement à d’autres niveaux, et notre obédience nous offre la possibilité de le faire au travers des «Juridictions» bien établies en son sein : le rite français (qui est notre rite de référence), le rite écossais ancien accepté, le rite de Memphis-Misraïm, le rite d’York et le régime écossais rectifié ont tous trouvé leur place dans l’obédience au cours de sa longue histoire. D’autre part, ma fonction est justement l’aspect relationnel et administratif avec nos cinq juridictions.

Quand et comment a commencé votre parcours de franc-maçon ?

J’ai intégré la franc-maçonnerie du GODF en février 2003, initié à la loge Louis Léchelle. Lors de ce cheminement de 20 ans, j’ai également, avec d’autres membres du GODF, été membre fondateur de deux loges. Fort de la confiance des membres, j’ai eu le plus grand bonheur d’être le Vénérable maître de l’une d’elles. J’ai continué mon cheminement au sein de la Région Afrique-AsieAmériques-Pacifique-Océanie dite «Région 03 – Le Monde», l’île Maurice appartenant à ce territoire. Cette «Région 03» regroupe actuellement 74 loges réparties à travers le monde (hors métropole française). J’ai été élu secrétaire et ensuite président du Congrès régional de cette région. Puis, j’ai été élu Conseiller de l’Ordre en 2021 pour cette même région. Pour ma première année en tant que Conseiller de l’Ordre, le Grand Maître d’alors Georges Sérignac, avec qui j’ai éprouvé un réel plaisir à travailler durant deux ans, m’a confié la responsabilité de Délégué régional de la «Région Monde» et ensuite Grand officier délégué aux loges d’Asie, du Pacifique et de l’océan Indien, aux «Colloques et Événements» de notre obédience.

En 2022-23, il m’a confié la responsabilité de présider la commission «Communication et Extériorisation» du GODF, une responsabilité qui m’a permis de renforcer mes connaissances. En août 2023, j’ai donc été désigné Grand Maître Adjoint, «Maçonnisme et Juridictions». Je travaille depuis sous l’égide et le leadership de notre jeune et dynamique Grand Maître Guillaume Trichard. Depuis 2021, je suis également membre du comité de direction de la SOGOFIM et membre des commissions «Finances», «Maçonnisme et Juridictions» et «Politique internationale» du GODF.

Qu’est-ce que toutes ces expériences vous ont apporté ?

Mon engagement bénévole et indéfectible depuis 20 ans au sein du GODF, au travers de l’universalisme et autres valeurs primordiales à mes yeux qu’il prône, a été pour moi une «lifetime experience», qui a été avant tout une aventure humaine extraordinaire. Le GODF propose une voie humaniste, initiatique et fraternelle. S’enrichir de l’«autre», de nos différences même, et ce, dans la tolérance, l’écoute et le dialogue ont été des critères sine qua non dans qu’a été ce cheminement qui se poursuit. Cet engagement nous offre également un espace de liberté d’expression, un lieu de réflexion, de construction de la pensée ; nous travaillons selon une méthode particulière, certes initiatique, mais faite surtout du respect de la parole de l’autre. Priment aussi, avec notre progression, un sens du devoir et de responsabilité, la volonté permanente de la transmission du savoir, en agissant toujours de façon mesurée et tout faire pour être à la hauteur de la confiance que nous font nos semblables. Au-delà la notion de l’amélioration individuelle et de notre quête de vérité, il y aussi les aspects de convivialité et de sociabilité, l’un des piliers fondateurs étant la solidarité, toujours attachés à la recherche d’une société meilleure et éclairée.

Qu’est-ce que le travail dans la cité ?

Historiquement, les maçons étaient des bâtisseurs de cathédrales ; nous sommes donc dans la construction de l’édifice. Chaque membre, en sortant de sa loge, s’engage donc à poursuivre au-dehors «l’œuvre maçonnique». Il me semble évident de pouvoir considérer que l’action maçonnique puisse se manifester dans la cité. On entend parfois parler de méthode maçonnique : elle s’applique en premier lieu au cours du travail commun en loge, jamais achevé, et complété par la recherche individuelle qui est le propre du franc-maçon. Pour rappel, «la franc-maçonnerie travaille à l’amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social de l’Humanité». Le GODF est fidèle aux principes de sa devise : «Liberté, Égalité, Fraternité». Il prône l’éthique, le civisme, la responsabilité, la solidarité, le respect des autres, la tolérance mutuelle et la liberté de conscience qui constituent les clés pour réaliser une réelle communauté de citoyens. Du triptyque «Liberté, Égalité, Fraternité» découlent de nombreux engagements pour les francs-maçons du GODF. À partir de là, nous agissons en fonction des époques. Dans le panorama maçonnique contemporain, la spécificité du GODF qui, depuis 300 ans, se veut être acteur de la transformation sociétale et, très humblement, nous pensons pouvoir être partie prenante de cette transformation sociétale en y étant ses vecteurs. La recherche du progrès a toujours été, pour les francs-maçons du GODF, le moteur de leurs réflexions comme dans leurs actions, et nous prônons ainsi une démarche humaniste équilibrée entre réflexion sur la cité et travail initiatique.

La franc-maçonnerie a-t-elle encore une place en 2024 ?

La franc-maçonnerie a bien toute sa place au 21e siècle. Face à l’arbitraire, aux injustices, aux mutations profondes de notre société, à la persistance de l’inégalité entre les êtres humains, à la généralisation des égoïsmes et de l’indifférence, aux dérives totalitaires, à l’obscurantisme, et donc, aux nombreux défis et enjeux auxquels le monde fait face aujourd’hui, je suis convaincu que la franc-maçonnerie, forte de son histoire et de ses méthodes, de ses valeurs et de principes a d’autant plus toute sa place en 2024. Le GODF, laboratoire d’idées, espace de réflexion et de pensées, travaille pour l’émancipation et l’épanouissement de tous et de chacun pour une citoyenneté pleine et entière. Il œuvre à l’amélioration de l’être humain et de la société. Je reste persuadé qu’elle dispose toujours – après trois siècles d’implication sociétale – d’incontestables ressources en elle-même et parmi ses membres, ses pratiques et des valeurs qui nous animent, pour relever les inquiétants défis qui nous guettent.