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Neuf ans après

La lutte des rastas n’est pas partie en fumée…

16 mai 2025, 16:00

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La lutte des rastas n’est pas partie en fumée…

Matraques, gaz lacrymogène, arrestations… Voilà comment s’est soldé le rassemblement du 6 mai 2016 au jardin de la Compagnie. Neuf ans plus tard, les rastafaris continuent de revendiquer la reconnaissance de leur culture et la dépénalisation du cannabis à Maurice. Entre stigmatisation persistante et combat pour les libertés, leur engagement, lui, ne s’est jamais évaporé. Jahfazon, artiste et militant, continue de porter ce combat. «Mo espere ki Premie minis ek vis Premie minis fer seki zot finn dir avan eleksion», lance-t-il.

«Legaliz gandia (…) nou fim dan trankilite.» Ce cri de ralliement résonne encore dans les mémoires. Le 6 mai 2016, sous les arbres du jardin de la Compagnie, une quarantaine de rastas s’étaient rassemblés pour une cérémonie «spirituelle», le Nyabinghi, au rythme des djembés. Chants, fumées d’encens, réchaud improvisé et, au centre de ce cercle pacifique, un plant de cannabis élevé au rang de symbole culturel. Mais ce moment d’unité allait être brutalement interrompu.

Vers 13 heures, une délégation s’était rendue au Bureau du Premier ministre pour remettre une lettre réclamant la reconnaissance de la culture rasta. «On nous a demandé de revenir dans une heure», expliquait Selven Govinden, porte-parole du Cannabis Legalization and Informative Movement. Au lieu d’une réponse officielle, ce furent les forces de l’ordre qui firent irruption.

La Special Support Unit (SSU), l’Anti-Drug and Smuggling Unit et la Criminal Investigation Division (CID) envahirent le jardin. La scène devint rapidement chaotique : tandis que les policiers de la CID saisissaient le plant de cannabis, ceux de la SSU appréhendaient sans ménagement un rasta qui alimentait le réchaud. Bousculés de toutes parts par les forces de l’ordre, les rastas s’écrièrent :«Aret nou, me pa bat nou!»

En solidarité, la foule se dirigea vers les Line Barracks. La circulation fut bloquée, la tension monta d’un cran. Des policiers des Line Barracks tentèrent de disperser la foule, mais ce fut l’intervention des membres de la SSU, armés de matraques, qui mit fin à ce rassemblement pacifique.

Très vite, les rastas furent matraqués et gazés. Des scènes de chaos se déroulèrent sous les yeux des témoins. Des images poignantes – des rastas frappés à terre, matraqués, des mères effrayées portant leurs enfants en bas âge, des manifestants traînés sur l’asphalte – firent le tour des réseaux sociaux. Une question s’imposa : jusqu’où la police pouvait-elle aller pour «faire respecter la loi» ? Au-dessus des lois ?

Bilan de cette journée : 12 arrestations. Anastasia St Mart, Siva Pareemanum, Jacob Sagor, Aldo Augustin, Gregory Auriant, Pascale Sérieuse, Alan Labonté, Jessica Fauvrelle, Alan Puthiya, Wendy Ambroise, Yannick Françoise et Reagan Chuttoo furent interpellés. Défendus par Dev Ramano, ils furent rapidement libérés. Mais la blessure, elle, resta vive.

Interrogé à l’époque, l’inspecteur Shiva Coothen, du Police Press Office, affirma que la police était intervenue après avoir été informée de la présence d’un plant de cannabis dans un lieu public. «En arrivant sur place, les policiers se sont retrouvés nez à nez avec une foule hostile et qui s’opposait à ce que la police fasse son travail. Elle a dû utiliser la manière forte pour opérer.»

Une version validée dès le lendemain par le Premier ministre d’alors, sir Anerood Jugnauth : «Rasta pa rasta, ena lalwa.Tant que je serai là, il n’y aura pas de dépénalisation du gandia !»

Neuf ans plus tard, rien n’a changé. Les rastafaris dénoncent toujours la stigmatisation et la répression de leur culture. Pendant que certains pays amorcent des réformes vers la dépénalisation, voire la légalisation du cannabis, Maurice, elle, préfère ne pas leur emboîter le pas.

Les rastas, eux, continuent de revendiquer leur droit à vivre et à pratiquer librement leur foi. Leur lutte pour la reconnaissance culturelle, enracinée dans la terre et la foi, se poursuit. Et comme l’herbe qu’ils défendent, elle ne cessera de pousser.

Par M.M

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Jahfazon: «mo espere ki premie minis ek vis premie minis fer seki zot finn dir avan eleksion»

Neuf ans plus tard, «l’express» a retrouvé Wendy Ambroise, connu sous son nom d’artiste Jahfazon, figure marquante de cette journée. Chanteur engagé et militant rasta, il avait été arrêté lors du rassemblement. À la cour, il avait choisi d’assurer lui-même sa défense. «Mo’nn servi mem largiman kot ena bann pwin legal ek spiritiel ki figir dan Commonwealth. Mo bann pwin finn valide par mazistra», explique-t-il avec fierté, en soulignant que son affaire a été rayée. Mais ce combat lui a laissé un goût amer. «Mo’nn al konpran ki mo pou lager pou enn pep ingra, mo pou bizin imol momem pou fer mwa vinn enn tors pou ekler bann aveg», lance-t-il, déplorant le manque de soutien de la société. Il accuse certains professionnels, notamment des journalistes, d’avoir exploité sa lutte à des fins sensationnalistes, sans sincère engagement. Il concède toutefois une amélioration des rapports avec la police. «Kominote Rastafari an antie inn remarke ki sa mantalite ki lapolis ti ena la finn ameliore», affirme-t-il. Mais il exhorte les responsables politiques à tenir leurs promesses. «Mo espere ki Premie minis ek vis Premie minis fer seki zot finn dir avan eleksion», conclut Jahfazon

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