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Exode des mauriciens
La main-d’œuvre étrangère, une planche de salut
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Exode des mauriciens
La main-d’œuvre étrangère, une planche de salut
Depuis des décennies, le recours à la main-d’œuvre étrangère dans divers secteurs est crucial pour l’économie mauricienne. Face à une main-d’œuvre locale en déclin, notamment en raison de l’exode des Mauriciens, les travailleurs étrangers sont devenus une planche de salut pour beaucoup. Aujourd’hui, le pays compte 42 700 étrangers actifs dans différents secteurs économiques.
Le Budget 2024/25 ouvre la voie à l’accueil de talents étrangers pour permettre à l’économie mauricienne de soutenir des niveaux de croissance plus élevés. L’annonce de la suppression du quota sur les travailleurs étrangers dans le secteur manufacturier, de la bijouterie, des technologies de l’information et de la communication (TIC) et du Business Process Outsourcing (BPO) a été bien accueillie. «Nous sommes extrêmement satisfaits de la levée du quota sur la main-d’œuvre étrangère. Toutefois, en tant que patriotes, nous voulons offrir du travail aux Mauriciens. Mais il n’y a plus de compatriotes qui veulent faire certains métiers», explique Maya Sewnath, vice-présidente de la Small & Medium Enterprises Chamber. «La plupart des Mauriciens quittent le pays pour travailler à l’étranger. Nos jeunes préfèrent partir car le coût de la vie a augmenté et ils voient des opportunités plus attractives ailleurs. Grâce aux travailleurs étrangers, nous pouvons continuer à opérer.» Elle souligne que la réduction du seuil des permis de travail pour les professionnels de Rs 30 000 à Rs 22 500 permettra aussi de recruter des experts pour améliorer la technologie dans divers secteurs. D’ailleurs, dit-elle, les petites et moyennes entreprises (PME) ont investi dans la technologie et il faut des professionnels qualifiés pour opérer les machines.
Les travailleurs manuels, poursuit-elle, sont ceux qui sont les plus recherchés par les PME à Maurice. «Avec l’enseignement gratuit, les Mauriciens veulent apprendre et ne souhaitent plus effectuer de travaux manuels.» Elle souligne également un manque de professionnels qualifiés. «Je suis moi-même à la recherche de comptables et je n’en trouve pas. Différents secteurs se plaignent et sont obligés de chercher des comptables à l’étranger.»
Les membres de son association recrutent principalement des Bangladais, mais se tournent désormais vers des Indiens, Népalais et Malgaches. Pour la vice-présidente de la SME Chamber, le gouvernement devrait élargir les marchés de recrutement à la Chine, Hong Kong et l’Algérie, car ces pays possèdent la main-d’œuvre nécessaire pour les secteurs d’activité à Maurice.
Le manque de travailleurs étrangers est également criant dans le secteur des TIC/BPO. «Nous faisons face à une pénurie de travailleurs depuis des années, et cela s’aggrave avec l’exode des cerveaux», soutient Jenny Chan, présidente de l’Outsourcing & Telecommunications Association of Mauritius (OTAM). La suppression du quota sur les travailleurs étrangers allège la situation car auparavant, il fallait respecter des quotas stricts au sein des entreprises. «Cette mesure nous ouvrira plus de portes car nous manquons de main-d’œuvre. Nous recevons des demandes de clients internationaux, mais il est frustrant de ne pas pouvoir y répondre, ce qui nous oblige à chercher des solutions ailleurs.»
Face à cette pénurie, Jenny Chan souligne que certaines entreprises sont contraintes de s’implanter dans d’autres pays pour y opérer des sites avec de la main-d’œuvre locale. Elle précise que la main-d’œuvre étrangère dans le secteur des TIC est principalement d’origine indienne et africaine, mais qu’il est essentiel d’avoir des travailleurs dont le coût est raisonnable.
Pour accélérer le recrutement de travailleurs étrangers, le Budget prévoit des modifications aux Agricultural Workers (Job Contractors’) Regulations afin d’offrir plus de souplesse dans les embauches. Selon Arassen Chinan, membre de l’Agricultural Development Marketing Association, le secteur agricole est confronté à une pénurie croissante de main-d’œuvre, en raison notamment du vieillissement des planteurs et du manque de relève parmi les jeunes. «C’est une mesure bienvenue qui facilite l’importation de travailleurs étrangers.» Il emploie actuellement des Malgaches dans ses plantations, en soulignant que d’autres agriculteurs, initialement employant des travailleurs indiens, se tournent progressivement vers les Malgaches en raison de la proximité géographique et de la facilité de communication. Arassen Chinan ajoute que les travailleurs étrangers présentent plusieurs avantages, notamment leur disponibilité à travailler tous les jours.
Obstacles à l’embauche
Maya Sewnath souligne plusieurs défis associés à l’arrivée des travailleurs étrangers dans l’économie mauricienne. Elle mentionne notamment l’aptitude des différentes nationalités à cohabiter dans les dortoirs, les obstacles liés à la communication et à l’adaptation à la technologie. Il faut généralement deux à trois ans pour qu’un travailleur étranger s’adapte à Maurice, après quoi son permis de travail doit être renouvelé. Cependant, ce renouvellement peut être incertain, avec parfois des refus inattendus. Elle considère que l’initiative récente de renouveler les permis pour une durée de dix ans est positive, mais insiste sur la nécessité de simplifier et d’accélérer le processus de renouvellement.
Pour Jenny Chan, même si le quota de travailleurs étrangers est supprimé, un mécanisme efficace pour permettre leur arrivée rapide est également important. Elle exprime des préoccupations quant au délai actuel de six mois pour l’arrivée des travailleurs étrangers, craignant que cela ne fasse perdre des contrats à plusieurs entreprises confrontées à une concurrence mondiale où la rapidité est cruciale.
Arassen Chinan partage ces préoccupations et déplore que le traitement des dossiers nécessite au moins six mois. Il remet en question la rentabilité de l’agriculture mauricienne, pointant du doigt les nombreux frais à payer, y compris la Contribution sociale généralisée, nécessaires pour l’em- ploi de travailleurs étrangers. Il se demande si ces coûts rendent l’agriculture véritablement rentable. Malgré ses efforts pour recruter des travailleurs malgaches, il prédit que le secteur agricole est en danger en raison des coûts de production élevés.
L’Association of Mauritian Manufacturers (AMM) salue les mesures prises dans le Budget pour faciliter l’accès à la main-d’œuvre étrangère et promouvoir la diversité dans le secteur manufacturier. Selon l’association, ces initiatives sont essentielles pour maintenir la compétitivité de l’industrie manufacturière mauricienne. «Nous avons besoin de ce soutien pour maintenir notre compétitivité.» La suppression des quotas sur la main-d’œuvre étrangère dans ce secteur et la réduction du délai maximal de délivrance ou de renouvellement des permis de travail à trois semaines sont particulièrement bien accueillies. De plus, l’extension de la période maximale de renouvellement des permis à dix ans est perçue comme un cadre crucial pour une gestion optimale des ressources humaines dans le secteur manufacturier.
«Pas des machines»
Faizal Ali Beegun, syndicaliste et défenseur des droits des travailleurs, exprime des préoccupations nuancées sur l’emploi des travailleurs étrangers et sur les politiques gouvernementales en matière d’économie. Tout en soutenant le recrutement de travailleurs étrangers, il insiste sur le respect de leur dignité et refuse toute forme d’exploitation. «Je suis pour le recrutement des travailleurs étrangers mais je refuse toute exploitation.» Il ajoute que si cela signifie exploiter les travailleurs étrangers au nom de l’économie, il s’oppose fermement à leur venue à Maurice.
Les travailleurs étrangers ne sont pas des machines mais des individus qui méritent respect et dignité. «Le travailleur étranger a une dignité qu’on doit respecter. Il n’est pas une machine.» Reconnaissant la pénurie de main-d’œuvre à Maurice, il note que les ouvriers étrangers rencontrent également des difficultés liées à la vie chère sur l’île. Il exprime ses doutes quant aux garanties de confort sur dix ans pour ces travailleurs.
Faizal Ali Beegun soulève également des pré-occupations sur la question du trafic humain, se demandant si le gouvernement «continuera de fermer les yeux sur le trafic humain». Le syndicaliste ne cache pas ses préoccupations profondes concernant l’émigration croissante des Mauriciens à la re- cherche de meilleures opportunités économiques. Il critique le gouvernement pour ne pas faire assez pour encourager nos compatriotes à rester et à contribuer à l’économie nationale avec des salaires décents. «Que fait le gouvernement pour encourager les citoyens pour qu’ils travaillent pour faire tourner l’économie avec un salaire décent ?»
Cette émigration accrue, ainsi que l’attrait pour des emplois sur des bateaux de croisière pour gagner sa vie, sont symptomatiques d’une défaillance des politiques économiques internes. Il critique l’absence d’ajustement salarial significatif face à la hausse continue des prix. «Après 56 ans d’Indépendance, les Mauriciens doivent quitter leur pays. On en revient à la même situation qu’avant l’Indépendance.»
Reeaz Chuttoo, président de la Confédération des travailleurs du secteur privé (CTSP), exprime des inquiétudes profondes concernant la démographie et l’émigration. Il pointe du doigt le faible taux de fertilité et la diminution de la main-d’œuvre locale, aggravés par le départ des Mauriciens vers l’étranger à la recherche d’opportunités économiques meilleures. «Nous nous retrouvons dans un problème démographique.»
Il critique également le recrutement par des agences étrangères de nouveaux diplômés mauriciens, ce qui entraîne une perte de ressources humaines pour le pays. Il souligne que les travailleurs étrangers contribuent au système de pension mauricien mais déplore que ce soit souvent au détriment de la jeunesse locale qui n’a pas suffisamment de choix sur place. Exprimant ses craintes quant à l’avenir de Maurice, en comparant la situation à celle du dodo, il appelle à un changement dans la politique d’immigration. «Nous devons prendre des mesures pour ouvrir nos frontières.»
Pour Reeaz Chuttoo, l’arrivée de travailleurs étrangers est souvent vue comme une opportunité économique par ceux qui prônent le capitalisme, mais il insiste sur la nécessité d’établir des mécanismes de protection pour les droits des travailleurs étrangers. Il critique également le patronat pour privilégier souvent l’embauche de travailleurs étrangers au détriment des compatriotes.
Selon les chiffres du ministère du Travail, en mai 2024, Maurice comptait 16 300 travailleurs indiens, 11 358 Bangladais, 7 204 travailleurs népalais et 5 761 Malgache.
Rapport us sur le trafic humain : Des progrès en matière de protection des travailleurs étrangers
L’ambassade américaine a présenté hier le «Trafficking in Persons (TIP) Report» 2024, focalisé sur Maurice. Au niveau des travailleurs étrangers, il ressort que le pays a démontré des progrès notables dans la protection des travailleurs migrants contre la traite des personnes au cours de la dernière année. Le pays, reclassé au Niveau 2 dans le rapport 2024 du Département d’État américain sur la traite des personnes, a montré des efforts accrus malgré quelques lacunes persistantes.
Les travailleurs migrants, en particulier ceux employés dans l’industrie textile et de la construction, sont souvent vulnérables à la traite des personnes. En réponse à cette problématique, le gouvernement a pris des mesures significatives pour identifier et protéger ces individus. Parmi les mesures notables, le gouvernement a signalé avoir identifié cinq victimes de travail forcé parmi les travailleurs migrants, les premières victimes adultes de travail forcé identifiées en quatre ans. Cette identification a été rendue possible grâce à une formation ciblée pour les officiers de liaison, chargés de repérer les signes de traite parmi les travailleurs migrants.
Le gouvernement a également adopté des amendements à la loi sur l’emploi en 2023, visant à éliminer les frais de recrutement payés par les travailleurs migrants. Cette législation représente une avancée majeure pour réduire les risques de servitude pour dettes, une forme courante de traite des travailleurs. Les frais de recrutement élevés contraignent souvent les travailleurs migrants à contracter des dettes importantes, les rendant vulnérables à l’exploitation.
En outre, le ministère du Travail, des relations industrielles, de l’emploi et de la formation a renouvelé les licences des agences de recrutement, bien que le nombre exact d’inspections effectuées ne soit pas précisé. Cette action vise à renforcer la réglementation et la surveillance des entreprises de recrutement, une étape essentielle pour garantir des pratiques de recrutement éthiques et prévenir les abus.
Par ailleurs, le gouvernement a continué à exploiter une ligne d’assistance dédiée aux travailleurs migrants, offrant un point de contact essentiel pour ceux qui cherchent de l’aide ou signalent des abus. Cette initiative fait partie d’un ensemble plus large de mesures visant à accroître la sensibilisation et la prévention de la traite des personnes parmi les populations vulnérables.
Malgré ces progrès, des défis subsistent. Les services de protection disponibles pour les victimes adultes de la traite restent limités, et le gouvernement doit encore augmenter les ressources et le personnel alloués à ces services. De plus, la coordination entre les forces de l’ordre et les procureurs doit être renforcée pour garantir des enquêtes et des poursuites efficaces contre les trafiquants.
Le rapport met également en évidence la nécessité de réduire la demande de main-d’œuvre forcée en renforçant l’application des lois contre les pratiques de recrutement frauduleuses et en assurant une surveillance stricte des entreprises de recrutement. Le gouvernement doit également améliorer ses efforts de collecte de données pour suivre et rapporter avec précision les statistiques sur la lutte contre la traite et améliorer le partage d’informations entre les agences gouvernementales.
En conclusion, Maurice a fait des progrès significatifs dans la protection des travailleurs migrants contre la traite des personnes, mais il reste des domaines clés nécessitant une attention continue. Le renforcement des services de protection, l’amélioration de la coordination des forces de l’ordre et l’augmentation de la sensibilisation et de la prévention sont essentiels pour continuer à avancer dans la lutte contre ce crime odieux.
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