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Internet et intelligence artificielle

La pollution cachée derrière l’image immatérielle du numérique

7 mai 2025, 18:00

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La pollution cachée derrière l’image immatérielle du numérique

■ Les centres de données, essentiels au fonctionnement du numérique, consomment énormément d’énergie – une consommation dont la production est en grande partie polluante – et nécessitent également de grandes quantités d’eau pour leur refroidissement.

L’internet et l’intelligence artificielle transforment de nombreux secteurs. Toutefois, ces avancées technologiques soulèvent des inquiétudes, tant sur leurs effets sociétaux que sur leurs conséquences environnementales. En effet, leur fonctionnement requiert une quantité considérable d’énergie et d’eau, tout en générant des émissions significatives de gaz à effet de serre et des déchets électroniques. Avez-vous déjà pensé à l’empreinte écologique d’un simple clic ?

La numérisation progresse rapidement, générant à la fois des opportunités et des défis pour le développement durable. Son expansion transforme en profondeur nos modes de vie, de travail, nos productions ainsi que les processus de prise de décisions. Cette transformation s’appuie sur une utilisation toujours plus massive d’Internet à l’échelle mondiale.

Selon le Digital 2024 Global Overview, plus de 66 % de la population mondiale – soit 5,35 milliards de personnes – sont aujourd’hui connectées. Les principaux usages restent la recherche d’informations, la communication ainsi que le visionnage de vidéos et de films. Par ailleurs, 94,6 % des internautes accèdent à l’internet via leur smartphone, et un internaute type passe en moyenne 6 heures et 40 minutes en ligne chaque jour. L’analyse de Kepios de 2024 révèle également que 62,3 % de la population mondiale sont actifs sur les réseaux sociaux – un chiffre qui ne représente toutefois pas nécessairement des individus uniques.

L’intelligence artificielle (IA) demeure au cœur des avancées technologiques actuelles. Une étude menée par l’Université de Melbourne en collaboration avec KPMG dans 47 pays montre que son adoption progresse rapidement, bien que la confiance envers cette technologie reste un enjeu majeur. Aujourd’hui, 66 % des personnes interrogées utilisent régulièrement l’IA, et 83 % estiment qu’elle apportera des bénéfices significatifs. Selon McKinsey, l’IA pourrait remplacer entre 15 % et 30 % des emplois dans le monde d’ici 2030. Par ailleurs, le rapport 2023 de la Fédération internationale de robotique indique que 553 052 robots industriels ont été installés dans les usines en 2022, soit une hausse annuelle de 5 %.

Au-delà des enjeux économiques et sociaux, ces nouvelles technologies sont également mobilisées pour répondre aux défis environnementaux, notamment en réduisant l’empreinte écologique dans les secteurs du transport, du bâtiment et de l’industrie en favorisant le progrès technologique et l’efficacité industrielle.

Toutefois, leur impact environnemental direct ne doit pas être négligé : les appareils numériques et les infrastructures TIC génèrent des émissions tout au long de leur cycle de vie, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à leur fabrication, leur distribution, leur utilisation et leur fin de vie.

Internet et IA

L’internet est un réseau mondial qui permet de connecter des millions d’ordinateurs, téléphones et autres appareils pour échanger des informations et communiquer à travers le monde. Grâce à l’internet, on peut accéder à des sites web, envoyer des messages ou encore regarder des vidéos. De plus en plus, l’IA utilise l’internet pour fonctionner, car elle a besoin de vastes quantités de données et de puissance de calcul. L’IA est une technologie qui permet aux machines de «réfléchir» un peu comme un humain : apprendre, analyser et prendre des décisions. C’est grâce à la connexion et à l’échange d’informations sur l’internet que l’IA peut être si efficace.

L’infrastructure de l’internet repose sur des câbles sous-marins, satellites, centres de données, et serveurs qui traitent et stockent l’information. L’IA repose sur des algorithmes complexes qui traitent de grandes quantités de données et nécessite une puissance de calcul importante, souvent réalisée dans des centres de données où des serveurs sont utilisés pour exécuter ces tâches. En mars 2024, environ 11 800 centres de données existaient dans le monde, dont 5 426 aux États-Unis, ainsi que dans d’autres pays comme l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Chine et la France. Concernant le nombre de serveurs, bien que les chiffres précis soient difficiles à obtenir, le marché connaît une forte croissance, ayant généré 77,3 milliards de dollars au quatrième trimestre 2024, soit une hausse de 91 % par rapport à l’année précédente.

Technologie Énergivore

Souvent vanté pour son caractère virtuel, le numérique a longtemps donné l’illusion d’être sans impact. Pourtant, son empreinte environnementale varie selon les technologies, et les études menées à ce sujet deviennent rapidement obsolètes face à la vitesse des évolutions numériques. Elles prennent encore rarement en compte les effets des développements récents de l’intelligence artificielle. Il est cependant établi que des gestes en apparence anodins – envoyer ou conserver un e-mail, interagir sur les réseaux sociaux, regarder un film ou écouter de la musique en streaming – génèrent une pollution non négligeable. En cause : les infrastructures nécessaires au stockage, au traitement et à la transmission des données, qui consomment de grandes quantités d’énergie.

Les centres de données, qui sont au cœur du fonctionnement numérique, ont utilisé environ 460 térawattheures (TWh) d’électricité en 2022. Entre 2018 et 2022, la demande électrique des 13 plus grands fournisseurs, dont Amazon, Alphabet, Microsoft et Meta, a plus que doublé. L’Agence internationale de l’énergie prévoit que cette consommation mondiale pourrait atteindre 1 000 TWh en 2026. Dans certains pays, cette croissance rapide provoque des tensions sur les réseaux électriques locaux, qui peinent parfois à suivre la demande nécessaire pour alimenter ces installations.

D’autres institutions comme Deloitte soutiennent que si les tendances actuelles de développement de l’IA et d’amélioration des performances se maintiennent, la consommation électrique liée à l’IA pourrait atteindre 2 000 TWh d’ici 2050 et équivaudrait à environ 3 % de la consommation mondiale d’électricité. Il existe, selon ce dernier, une incertitude concernant l’ampleur de l’usage de l’IA, les progrès en efficacité énergétique et la disponibilité d’énergies renouvelables pour alimenter les centres de données – ces bâtiments physiques qui hébergent les serveurs constituant ce qu’on appelle communément le cloud.

Cela démontre la demande croissante d’électricité, qui provient encore très souvent de sources non renouvelables. En 2024, indique Data Centre Dynamics, la demande énergétique des centres de données a fortement augmenté, poussant à la diversification des sources d’énergie. Le nucléaire, bien que prometteur, reste freiné par des défis réglementaires et des délais de mise en œuvre. Des entreprises comme Microsoft et Meta ont signé des accords pour des approvisionnements à long terme en énergie nucléaire. En parallèle, les énergies renouvelables – solaire et éolien – ont connu une forte croissance, avec des contrats de 50 GW signés aux États-Unis par le secteur des centres de données et plus de 12 GW en Europe par Amazon, Google, Microsoft et Meta. Cependant, la dépendance aux énergies fossiles est toujours présente, les projections montrant une demande importante d’ici 2030. Enfin, le développement des infrastructures de transmission peine à suivre la croissance rapide du secteur. Résultat : cela génère du gaz à effet de serre.

Empreinte carbone

Le journaliste Guillaume Pitron, dans son ouvrage L’enfer numérique, indique que le numérique représente environ 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre mobilisant 10 % de l’électricité produite dans le monde, contre 2,4 % des émissions mondiales de gaz à effet pour l’aviation, et que ces chiffres continuent d’augmenter à mesure que nos vies se connectent davantage. Il souligne que derrière un simple «like» ou un déplacement dans la rue avec un smartphone qui retrace la géolocalisation, il y a une immense infrastructure physique : centres de données, barrages et centrales, construits pour fournir puissance, rapidité et refroidissement.

Selon WebFX chaque jour, un milliard d’heures de vidéos YouTube sont regardées, générant 6 milliards de grammes de CO2, l’équivalent de 62 trajets en voiture jusqu’à la Lune. De plus, 306 milliards d’e-mails sont envoyés et reçus quotidiennement, produisant 1,2 trillion de grammes de CO2, soit l’équivalent de 12 000 trajets jusqu’à la Lune. Facebook, avec ses 1,7 milliard d’utilisateurs actifs quotidiens, génère 1,3 milliard de grammes de CO2 chaque jour, équivalant à 13 trajets en voiture vers la Lune. Enfin, les 3,5 milliards de recherches effectuées sur Google chaque jour entraînent 700 millions de grammes de CO2, soit l’équivalent de 7 trajets vers la Lune. Ces informations ont été publiées dans une étude récente sur l’impact environnemental des activités numériques.

Plus l’internet et l’IA sont utilisés, plus leur impact sur l’environnement devient important. Et l’IA est encore plus énergivore alors que l’utilisation d’applications d’IA générative grand public devient massive telle que ChatGPT depuis 2022, ou encore Gemini. D’après l’Agence internationale de l’énergie, chaque requête envoyée à ChatGPT consomme environ dix fois plus d’énergie qu’une recherche Google, en raison des ressources importantes mobilisées par les centres de données. Car les IA génératives permettent en effet de produire non seulement du texte, mais aussi du code, des images, des vidéos ou de la musique, ce qui augmente leur consommation énergétique. En 2019, des chercheurs de l’université du Massachusetts ont estimé que l’entraînement d’un seul modèle d’IA pouvait générer autant de CO2 que 205 vols aller-retour entre Paris et New York.

Empreinte hydrique

Les centres de données ont non seulement des besoins considérables en électricité, mais aussi en eau. L’empreinte hydrique de l’internet et de l’IA est significative en raison des besoins en eau pour le refroidissement des centres de données et des infrastructures associées.

De nombreuses industries à forte consommation d’eau parviennent à limiter, voire à diminuer, leurs besoins mais le secteur du numérique évolue dans le sens contraire. Selon l’analyse d’AdVaes, la consommation en eau de plusieurs grandes entreprises technologiques continue d’augmenter. À titre d’exemple, Microsoft a utilisé 4,5 millions de m³ d’eau en 2021, contre 4 millions l’année précédente, soit une hausse de 12,5 %. Google, quant à lui, a vu sa consommation atteindre 17,2 millions de m3 en 2021, enregistrant une progression de 21,8 % par rapport à 2020.

Selon l’Université de Tulsa, cette eau est souvent potable, posant un problème de concurrence avec les besoins humains, en particulier dans des zones arides comme Phoenix, aux États-Unis. Une enquête de The Guardian et SourceMaterial révèle que plusieurs géants technologiques – comme Amazon, Microsoft et Google – installent leurs centres dans des régions déjà soumises à un stress hydrique, aggravant la pression sur les ressources locales.

Avec la croissance fulgurante de l’IA, cette empreinte hydrique s’intensifie. Chez Microsoft, l’entraînement du modèle GPT-3 a nécessité environ 700 000 litres d’eau potable, selon une étude des universités du Colorado et du Texas. Une autre étude de l’Université du Colorado a calculé que 25 requêtes envoyées à ChatGPT représentent un demi-litre d’eau douce. Rapporté aux centaines de millions d’utilisateurs de cet outil, cela équivaut à des millions de litres.

Ces usages varient selon le climat, les ressources locales et les technologies de refroidissement. Certaines méthodes réduisent la consommation d’eau, mais augmentent la demande en électricité. D’après Deloitte, l’IA pourrait utiliser jusqu’à 6,6 milliards de m3 d’eau d’ici 2027, ce qui représente une part significative de son impact environnemental global.

Déchets électroniques

Selon le Global E-waste Monitor 2024, la production mondiale de déchets électroniques (e-waste) a atteint un record de 62 millions de tonnes en 2022, soit une augmentation de 82 % par rapport à 2010. Cependant, seulement 22,3 % de ces déchets ont été correctement collectés et recyclés.

Bien qu’il n’existe pas de données précises sur la part exacte des centres de données dans les déchets électroniques mondiaux, ces infrastructures – essentielles au fonctionnement du cloud et de l’internet – en génèrent une quantité significative. Le renouvellement rapide de leurs équipements (serveurs, dispositifs de stockage, systèmes de refroidissement), souvent remplacés tous les trois à cinq ans, contribue fortement à ce flux de déchets électroniques.

Selon Data Centre Knowledge, cette tendance pourrait s’aggraver avec l’essor de l’IA générative, qui repose sur des serveurs puissants rarement réutilisés après l’entraînement des modèles. L’accumulation de matériel obsolète, contenant des substances toxiques comme le plomb ou le mercure, constitue un risque important pour la santé et l’environnement, d’autant plus lorsque ces déchets sont mal recyclés ou expédiés vers des pays en développement.

En conclusion, bien que l’internet et l’IA apportent des avancées majeures et ont un potentiel indéniable pour améliorer de nombreux domaines, leur impact environnemental croissant risque de freiner certains objectifs climatiques. Par exemple, la croissance des centres de données en Irlande. Selon The Guardian, ces centres, alimentés par des géants technologiques comme Amazon et Meta, consomment une grande quantité d’énergie, souvent d’origine non renouvelable. Cela met en péril les objectifs climatiques du pays, en raison de la demande électrique excessive, freinant ainsi les efforts pour réduire les émissions de CO2 et promouvoir les énergies renouvelables.


Des stratégies insuffisantes face à un défi croissant

AVEC l’utilisation croissante d’Internet et de l’IA, combinée à la prolifération de centres de données et de serveurs, la pollution numérique devient plus préoccupante. En 2024, l’UNESCO a publié un article démontrant le potentiel de l’IA pour accélérer l’action climatique, tout en mettant en garde contre ses effets négatifs sur l’environnement. L’UNCTAD dans son rapport Digital Economy Report 2024 recommande des actions pour un numérique durable, incluant :

• Sensibilisation aux impacts environnementaux de l’IA et lutte contre le greenwashing ;

• Normes internationales de transparence sur les émissions numériques ;

• Investissement dans les énergies renouvelables et la gestion de l’eau dans les centres de données;

• Conception de centres écologiques avec refroidissement naturel et algorithmes optimisés ;

• Promotion de l’économie circulaire et du recyclage des équipements.

Contribution des utilisateurs

En plus des efforts institutionnels et des recommandations pour un numérique durable, chaque utilisateur peut également jouer un rôle essentiel dans la réduction de l’empreinte numérique. Des gestes simples, souvent négligés, peuvent avoir un impact collectif considérable. Par exemple, la suppression régulière des emails inutiles, la réduction du streaming HD ou l’optimisation de l’usage des appareils permettent de limiter la consommation d’énergie. De même, éviter l’utilisation de l’IA pour des tâches simples ou privilégier des outils légers comme des moteurs de recherche classiques contribue à réduire l’empreinte carbone numérique.

Nuisance environnementale

Outre, selon une étude de Deloitte publiée en 2024, l’impact environnemental de l’IA peut être significativement réduit si quatre leviers sont mis en œuvre :

• L’efficacité énergétique, par la conception de systèmes et d’algorithmes peu gourmands ;

• L’adoption des énergies renouvelables, pour alimenter les infrastructures numériques ;

• La transparence, sur la consommation énergétique et les efforts d’atténuation ;

• Une approche écosystémique, prenant en compte l’ensemble du cycle de vie des technologies.

Pour leur part, les opérateurs technologiques contribuent également à réduire l’empreinte numérique. À l’instar de Google, qui optimise les itinéraires sur Google Maps, réduisant ainsi les émissions de CO2. DeepL héberge ses services dans des centres alimentés à 100 % par des énergies renouvelables en Islande. Enfin, Salesforce développe des modèles d’IA spécialisés et privilégie les logiciels libres pour réduire la consommation énergétique et les émissions.

L’Union européenne a adopté le règlement sur l’IA le 13 mars 2024, entrant en vigueur le 1er août 2024. Cependant, des experts critiquent son manque de mesures écologiques contraignantes, notamment en matière d’énergie et de CO2. La Green Software Foundation et la Fondation Heinrich Böll jugent insuffisantes ses recommandations volontaires et appellent à des exigences strictes pour réduire l’empreinte carbone de l’IA.

Malgré les efforts, les stratégies actuelles semblent insuffisantes. Face à la pollution numérique croissante, il est crucial de renforcer les politiques et d’adopter des bonnes pratiques à l’échelle mondiale.

22h 3.jpg ■ Chaque action en ligne – un like, un message, une commande à ChatGPT – laisse une trace qui contribue à l’empreinte numérique.

22h 2.jpg ■ Chaque requête envoyée à ChatGPT consomme environ dix fois plus d’énergie que celle d’une recherche Google.

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