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De 60 à 65 ans

La réforme du siècle, expliquée comme au siècle dernier

10 juin 2025, 04:29

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Il y a dans toute rupture un moment décisif, un virage que l’histoire n’efface jamais. Pour Maurice, ce virage s’est amorcé le jour où Navin Ramgoolam a proposé, dans son Budget 2025-2026, de repousser l’âge de la retraite de 60 à 65 ans. Une réforme économiquement logique. Socialement explosive. Politiquement mal ficelée. Et humainement, mal expliquée.

Oui, les chiffres sont implacables. Le coût annuel de la pension universelle dépasse les Rs 50 milliards. Le ratio cotisants-bénéficiaires s’effondre. L’espérance de vie augmente, la fécondité diminue, les jeunes fuient vers Dubaï, Luxembourg ou Toronto et le pays vieillit à vue d’œil. La réforme s’impose donc. C’est une nécessité budgétaire. Mais fallait-il pour autant la balancer comme une douche froide sur une population habituée aux sirops anesthésiants de l’État-providence ?

Ce n’est pas la mesure qui choque. C’est la manière.

Car, au fond, la question est simple : comment annoncer à un peuple qu’il devra travailler cinq ans de plus… sans lui parler, sans l’écouter, sans le respecter ?

Dimanche matin, à Camp-Diable, Paul Bérenger, le vice-Premier ministre, a craqué. À une question posée par un journaliste sur la colère populaire, il a rétorqué : «Pran kritik-la al lakaz» L’homme, jadis tribun de l’opposition et défenseur des travailleurs, ne supporte plus l’inconfort de la vérité. Ce jour-là, il a sans le vouloir résumé le problème de fond : une réforme d’État lancée sans pédagogie, sans préparation, sans humanité.

Le peuple a changé. L’État, non.

Maurice n’est plus cette île des années 80 où l’on se satisfaisait d’une pension, d’un job stable et d’un petit terrain au nom de papa. Nous sommes désormais une société éclatée : des jeunes hyperconnectés qui rêvent d’aller ailleurs, des seniors qui redoutent l’abandon, une classe moyenne qui croule sous les crédits et des fonctionnaires qui vivent encore dans une illusion d’éternelle sécurité. Le pays est devenu vieux, mais aussi méfiant, désabusé et surtout, beaucoup plus exigeant face aux décisions prises «d’en haut».

Le gouvernement, lui, agit encore comme s’il suffisait d’un trait de plume au Budget pour faire accepter une réforme majeure. Mais les temps ont changé. Il ne s’agit plus seulement d’annoncer ; il faut convaincre. Expliquer. Répéter. Humaniser. Il faut montrer l’exemple ; le nombre de ministres et de «junior ministers», et les allocations, souvent rétroactives, dépassent notre capacité à payer. Le Duty-Free doit être aboli pour montrer qu’élus et proches du pouvoir font des sacrifices comme tout le monde ; qu’il n’existe pas de privilégiés.

Et c’est là que tout coince. Ce relèvement de l’âge de la retraite aurait pu être une opportunité historique pour refonder le contrat social. Au lieu de cela, il devient le symbole d’un divorce entre la classe politique et la population.

Personne ne conteste que notre modèle de pension universelle est devenu insoutenable. Mais pourquoi cette réforme est-elle si mal reçue ? Parce qu’elle arrive brutalement, sans distinction de métiers, de conditions physiques ou de parcours de vie. Travailler jusqu’à 65 ans dans un bureau climatisé n’est pas la même chose que porter des briques sur un échafaudage ou faire des ménages. Et pourtant, la mesure est uniforme. C’est là le péché originel.

À cela s’ajoute l’amnésie politique. Ceux qui gouvernent aujourd’hui avaient, hier encore, promis qu’ils ne toucheraient jamais à l’âge de la retraite. Le peuple a la mémoire longue. Il se rappelle les promesses. Il voit les trahisons.

Une autre erreur fondamentale est de croire que l’État peut tout. Qu’il doit tout. Qu’il saura tout. Or, comme le rappelle un échange vif sur un groupe de citoyens engagés : «En concentrant, sans garde-fou, autant de moyens entre les mains d’un État et de ses représentants de fait irresponsables, la tentation d’usage personnel, d’abus et de pratiques corrompues est trop forte.» La Basic Retirement Pension est devenue le symbole d’un État qui donne sans prévoir, qui promet sans planifier, qui protège sans responsabiliser.

L’assistanat généralisé a fini par produire une société sous perfusion budgétaire. Mais demain, qui paiera ? Et comment ?

Ce qui manque cruellement dans cette réforme, ce n’est pas le courage politique – il en a fallu pour toucher à un sujet aussi sensible. Ce qui manque, c’est l’intelligence politique. Celle qui consiste à expliquer, à phaser, à accompagner.

Pourquoi ne pas avoir prévu des dispositifs de retraite anticipée pour les métiers pénibles ? Des comptes individuels gérés par des fonds privés avec des mécanismes de réassurance solide ? Un système hybride où chacun choisit ses modalités de contribution et de sortie ? Pourquoi ne pas avoir impliqué les partenaires sociaux, les jeunes, les retraités dans un débat national sur l’avenir de la retraite ?

La vraie réforme, ce n’est pas seulement repousser l’âge de la pension. C’est faire de la retraite un choix éclairé, un parcours personnalisé, un acte de responsabilité citoyenne. Ce n’est pas à l’État seul de garantir la dignité de nos vieux jours. C’est à chacun de nous – aidé, bien sûr, mais pas infantilisé.

Maurice ne peut plus se payer le luxe de rester figée. Sa démographie l’y contraint. Sa dette publique aussi. Mais si le gouvernement veut réussir sa réforme, il doit changer de méthode. Il faut parler vrai. Écouter les craintes. Admettre les erreurs. Et surtout, cesser de mépriser ceux qui posent les bonnes questions.

On ne réforme pas un pays à coups de rouleau compresseur. On le réforme avec une boussole morale, une vision de long terme et un dialogue honnête.

Sinon, de Camp-Diable à Cap-Malheureux, c’est tout un peuple qui dira au gouvernement : «Rant zot lakaz.»

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